Le procès des évêques a bien eu lieu

Pour nous suivre

Le 20 juin 1992 a eu lieu, à l’initiative de la Libre Pensée, le procès des évêques catholiques pour leur rôle sous le régime de Vichy.

Les lecteurs de La Raison trouveront dans ce numéro la sentence prononcée par le jury symbolique.

Nous contestons la commission présidée par René Rémond, mise en place par le cardinal Decourtray, commission composée quasi exclusivement par des catholiques. On a demandé à des catholiques de juger leur Église. Le résultat s’est montré à la hauteur du but : la commission René Rémond a innocenté l’Église.

C’est pourquoi nous avons refusé de faire juger l’Église par les seuls libres penseurs. Nous avons donc proposé un jury paritaire, composé à égalité par jurés laïques et par des jurés croyants.

Dans ce dessein, nous avons pris contact avec:

  • René Rémond, historien catholique
  • Jacques Duquesnes, écrivain,
  • Paul Thibaud, directeur de la revue Esprit
  • André Frossard, journaliste,
  • Jacques Julliard, rédacteur en chef du Nouvel Observateur,
  • René Riquet, prêtre, ancien déporté,
  • André Mandouze, responsable de Témoignage chrétien.

Hormis Jacques Julliard qui a refusé par écrit, aucun ne nous a répondu ; aucun non plus n’a participé au procès des évêques.

En outre, nous avons écrit trois fois, par des lettres recommandées, à Messieurs

  • Lustiger, archevêque de Paris
  • Decourtray, primat des Gaules
  • Duval, président de la conférence épiscopale.

Aucun d’eux ne nous a répondu, aucun n’est venu.

Force est de constater que personne n’a voulu défendre l’Église catholique. Serait-elle donc indéfendable ?

Malgré la dérobade des évêques, le procès a eu lieu.

Joseph Berny, Président du tribunal symbolique, a ouvert le procès en présentant d’abord les excuses et l’expression de la sympathie de :

  • Michel Vovelle, professeur d’histoire à l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne
  • Claude Mazauric, professeur d’histoire moderne à l’Université de Rouen
  • Georges Guingouin, lieutenant-colonel, ancien résistant FTP, libérateur de Limoges, Compagnon de la Libération
  • Henri Caillavet, parlementaire honoraire.

Joseph Berny a fait état des obstacles rencontrés dans la préparation de cette séance de tribunal symbolique, notamment à propos de la réservation d’un amphithéâtre de faculté, d’abord obtenue, puis annulée par la présidente d’université … qui a prêté le même amphi à René Rémond, pour une conférence sur le même sujet, traité, certes, dans une perspective bien différente. Le Président du tribunal a présenté l’acte d’accusation de la Libre Pensée, en précisant pourquoi celle-ci visait les évêques.

Jean-Louis Argentin a rappelé les déclarations et les actes de l’Église sous Vichy, contre la laïcité, la démocratie, les juifs, les Francs-Maçons, les communistes et les résistants ; il a rappelé le soutien entier des évêques au régime de Pétain, à la Milice, à la Charte du travail, au STO.

Nicole Bossut a montré que le soutien et la participation des évêques au gouvernement de Pétain, destructeur de la République, découlait de la condamnation par le Vatican de la Révolution française. L’Église a toujours condamné les principes de la démocratie, de la laïcité, de la République.

Quelques participants sont intervenus, soit pour renforcer l’accusation, soit pour relativiser cette accusation.

Christian Eyschen a exposé le réquisitoire contre la haute hiérarchie catholique, sur la base de l’acte d’accusation publié dans La Raison de juin 1992. Il n’y aura sans doute jamais de procès Touvier, ou Papon, ou Bousquet : cela impliquerait trop de personnes, dont des évêques. La Libre Pensée, avec ce tribunal, a servi la vérité historique et la mémoire de ceux qui sont tombés, victimes de l’Église et des responsables qu’elle a soutenus.

Le Président du tribunal symbolique a constaté l’absence des évêques, ou de leurs représentants qui auraient pu assurer la plaidoirie de la défense. Le jury s’est retiré pour délibérer. La sentence a été lue par Joseph Berny.

Malgré les obstacles dressés contre la tenue de ce procès, il a eu lieu. Il a été un succès, tant par la rigueur morale et historique des interventions que par la présence d’un public nombreux qui a rempli la salle. Ce procès fera date. Un numéro spécial de l’Idée Libre, revue théorique de la Libre Pensée, en donnera le compte rendu intégral.

Christian Eyschen

Responsable de la commission « Pour la vérité sur le passé de l’Eglise sous Vichy ».

COUPABLE !

Le tribunal solennel mis en place à l’initiative de la Libre Pensée, au nom des valeurs laïques et républicaines, réuni à Paris le 20 juin 1992, chargé de se prononcer sur le rôle des évêques catholiques sous le régime de Vichy, entre 1940 et 1944, prononce publiquement la sentence.

Après avoir entendu l’acte d’accusation de la Libre Pensée contre les évêques, prononcé par Joseph Berny, le réquisitoire de Christian Eyschen et tous les témoignages et contributions fournis au cours du procès,

*considérant que la Libre Pensée a fait tout ce qui était en son pouvoir afin de permettre à l’Église catholique de se défendre et d’être dûment représentée

* considérant que l’absence des jurés catholiques et des évêques sollicités (Messieurs Duval, Decourtray et Lustiger) ou de leurs représentants est uniquement imputable à la volonté de l’Église catholique qui refuse de rendre des comptes sur son passé, le tribunal déclare que les évêques catholiques ont fait partie d’un corps criminel et qu’ils sont reconnus

  1. coupables d’avoir soutenu le régime antirépublicain de Vichy, d’y avoir participé, d’avoir soutenu la Milice, d’avoir encouragé la collaboration avec le Troisième Reich nazi et le service du travail obligatoire (STO) destiné à servir la politique belliciste du régime hitlérien ;

  1. coupables d’avoir inspiré la politique antisémite, antimaçonnique et anticommuniste, d’avoir soutenu cette politique qui a conduit à Drancy et à Auschwitz, notamment, des dizaines de milliers de personnes et des milliers d’autres au peloton d’exécution ;

  1. coupables d’avoir tiré un avantage financier considérable de ce soutien au régime du maréchal Pétain pour les églises, les œuvres, les écoles catholiques, avantages financiers détournés des fonds publics ;

  1. coupables d’être acteur principal par l’inspiration et complice actif par l’application dans la mise en œuvre d’un régime corporatiste, notamment par la Charte du Travail qui a détruit toutes les organisations syndicales indépendantes et, aussi, par la mise en place de la corporation paysanne qui s’inspirait des mêmes principes ;

  1. coupables d’avoir occulté constamment la vérité sur cette période, de garder dans les archives de l’Église en France dans celles du Vatican les éléments de preuves sur la culpabilité de personnes accusées de crimes de guerre, ce qui constitue un obstacle à la nécessaire recherche de la vérité et de la bonne marche de la justice.

C’est pourquoi le Tribunal du 20 juin 1992 considère que les évêques catholiques, membres d’un corps constitué, devraient répondre des articles suivants du Code pénal :

art. 258 pour usurpation de titres ou de fonction

– art. 60, 265, 267 pour association de malfaiteurs

– art. 379 pour vols

– art. 61, 240 pour protection de criminels

– art. 244 pour restitutions.

Considérant que les évêques catholiques ne peuvent prétendre au bénéfice la loi d’amnistie du 6 août 1953 pour faits de collaboration, car son article 4, alinéa 2, stipule expressément que « Toutefois, ne pourront bénéficier des dispositions de l’alinéa précédent (portant amnistie) ceux qui se sont rendus coupables de meurtre, de vol, de dénonciation ou qui, par leurs agissements ou leurs écrits, ont sciemment exposé ou tenté d’exposer des personnes à des tortures, à la déportation ou à la mort. »

Le Tribunal conclut à la culpabilité pleine et entière des évêques catholiques sous Vichy et considère que ceux-ci devraient répondre de leurs actes devant la justice.

Sentence prononcée le 20 juin 1992, à Paris, au nom du jury composé de :

  • Joseph Berny, Président de la Libre Pensée, ancien résistant FTP
  • Guy Roux, ancien résistant FTP
  • Nicole Bossut, historienne
  • Jean-Louis Argentin, libre penseur, professeur d’histoire,
  • Jacques Bacelon, journaliste
  • Jean Zeller, libre penseur