Entretien avec Jean-Sébastien Pierre, président de la FNLP à propos du congrès national de Creil (2015)

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Dimanche 13 septembre 2015

 

David Gozlan : Bonjour. Nous allons aujourd’hui parler de notre congrès qui a eu lieu le mois dernier.
Nous n’allons bien évidemment pas détailler chaque moment ou intervention mais plutôt voir quelles sont les retombées de notre congrès sur nos actions publiques. Un des points important dont nous avons débattu a bien évidemment été la question de la manifestation du 5 décembre.
Jean-Sébastien, peux-tu nous présenter les conclusions du congrès sur ce sujet et nous dire pourquoi il faut absolument venir à la manifestation le 5 décembre ?

Jean-Sébastien Pierre : La manifestation que la Libre Pensée a proposée pour le 5 décembre 2015 a deux objectifs :
– le premier est de fêter le 110ème anniversaire de la loi de 1905 de Séparation des Eglises et de l’Etat ;
– le deuxième est de combattre la loi Debré. Loi votée en 1959 à l’initiative de Michel Debré qui permet le financement des écoles privées avec des fonds publics. Nous avons fait une analyse chiffrée depuis longtemps et se sont plus de 10 milliards d’euros d’argent public qui sont détournés des écoles publiques au profit des écoles privées à 97% confessionnelles.
Les laïques, lors de la promulgation de cette loi, avaient fait un serment extrêmement important, le Serment de Vincennes, dans lequel ils avaient jurés de lutter sans relâche pour l’abrogation de cette loi totalement contraire à la laïcité de l’école et de l’Etat. Nous sommes en train de ranimer non seulement le souvenir mais aussi l’actualité et l’activité du serment de Vincennes avec toutes sortes d’organisations qui d’ailleurs étaient là lors de notre congrès.

DG. : Il est vrai qu’à l’époque les presque 11 millions de pétitionnaires avaient mandatés des délégués pour lutter jusqu’au bout pour l’abrogation de cette loi.
Il y a eu depuis toute une succession de lois qui sont des lois antilaïques et sur lesquelles nous pourrions revenir.
Comme tu le disais, il y a un certain nombre d’associations qui n’ont pas forcément rejoint ce combat là et qui sur la question de la Laïcité sont intéressées pour travailler avec la Libre Pensée. Ces associations sont venues au Congrès. Est-ce que tu peux nous en dire un mot car pour tout dire notre séance inaugurale a « débordé » sur le congrès en lui-même car nous avons eu en plus des associations présentes un certain nombre de messages y compris internationaux. Que peux-tu nous dire de celles qui sont venues ?

JSP. : C’est tout à fait vrai et je trouve cela extraordinaire. Elles sont trop nombreuses pour que nous ayons le temps d’en faire le tour dans cette émission.
Mais il faut tout de même noter que le Grand Orient de France, la Confédération Force Ouvrière et d’autres acteurs de la vie syndicale, ont annoncé leur soutien voir leur participation à la manifestation ce qui n’est pas rien.
Bien d’autres qui interviennent classiquement dans le domaine laïque ou républicain, et que nous connaissons depuis très longtemps, ont envoyé soit leur salut soit un représentant. Je citerai parmi celles-là : l’Union Rationaliste, la Ligue des Droits de l’Homme, l’Association Républicaine des Anciens Combattants, le Planning Familiale, le CNAFAL, l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité et l’Association des Professeurs de Géographie.
Comme tu l’as dit, le nombre des messages internationaux a été si important que nous avons été obligés de les répartir sur les autres sessions du congrès. Ceci est extrêmement encourageant.

DG. : Il est effectivement encourageant que notre initiative de manifestation trouve un certain écho auprès de ces associations.
Tu ne l’as pas cité mais je pense qu’il est important de le faire : nous avons eu un message de Alain Tien Long, Président du Conseil Général de Guyane, soutenant non seulement la bataille en cours de la FNLP pour la promotion de la loi de 1905, mais rappelant aussi la situation de la Guyane en la matière : « Au moment où la Guyane est confrontée à une nouvelle évolution institutionnelle qui doit prendre effet au mois de décembre 2015, nous faisons part de notre profonde reconnaissance pour toutes les initiatives qui permettrons une juste remise en ordre de l’histoire sur une anomalie vielle de cent quatre-vingt-six ans. »
Il parle là de l’ordonnance prise par Charles X qui contraint l’Etat à financer le salaire des prêtres.

Vous avez donc là les enjeux concrets de la manifestation pour les citoyens, pour les enseignants, pour les parents d’élèves.

Nous avons également discuté de la question de l’enseignement supérieur. On peut le dire : l’enseignement supérieur est en danger. Une véritable menace se met en place.
Toi qui es professeur émérite des Universités peux-tu nous en dire quelques mots ?

JSP. : Les attaques et les dangers qui planent sur l’Enseignement Supérieur sont tellement importants que nous avons jugé bon d’en faire une motion à part entière, incluse dans notre motion laïque de cette année. Je n’en extrairai qu’un seul aspect.
A l’heure actuelle une réforme extrêmement grave est en train de se mettre en place qui est la réforme dite des COMUE. Terme un peu barbare qui signifie Communautés d’Universités et d’Etablissements. C’est une réforme, qui est due à Geneviève Fioraso du temps où elle était Ministre puis Secrétaire d’Etat à la Recherche, c’est grosso modo un regroupement de tous ce qu’il peut y avoir d’universitaire dans une grande région donnée. Ceci est donc en lien avec la réforme territoriale.
Ce qu’il y a de grave là-dedans c’est que les COMUE regroupent indifféremment et dans un cadre commun, à la fois les universités publiques et les universités privées et en particulier parmi les universités privées les universités confessionnelles, les universités catholiques. Soit dit en passant, n’ont aucun droit à porter ce titre en raison d’une loi de 1884, qui interdit absolument aux établissements confessionnels de s’intituler « université ».
Et l’on essaie de faire entrer dans ces Communautés d’Etablissements, des établissements comme « l’université » catholique d’Angers, celle de Lille ou bien encore celle de Lyon.
Nous nous opposons, en tant que Libre Pensée, à cet aspect particulier des COMUE qui par ailleurs sont dénoncés par les syndicats enseignants, dans le supérieur, à la quasi unanimité pour des raisons syndicales de menaces sur le personnel etc., que nous ne pouvons pas développer ici mais auxquelles nous sommes sensibles bien entendu.
Dans cette affaire, notre champ d’intervention est la laïcité.

DG. : On voit bien que notre champ d’intervention est vaste et divers.
Dans cette diversité, il est évident que nous continuons et nous continuerons ce que nous avons entamé il y a 26 ans, à savoir la question de la réhabilitation collective des Fusillés pour l’exemple.
Le Président de la République a esquivé sur cette question. Un espace dédié aux fusillés a été ouvert au Musée de l’Armée. Le Général Bach lui-même a dit qu’il s’agissait d‘un nuage de fumée sur la réalité c’est-à-dire que l’on essaie de nous endormir sur cette question-là.
Nous nous battons toujours pour cette réhabilitation.

JSP. : Nous nous battons pour cette réhabilitation qui est une œuvre de simple justice.
Tu as rappelé que cela fait 26 ans que nous avons en fait relancé une bataille qui date des années 1918-1920, à l’initiative des associations d’anciens combattants qui aujourd’hui combattent avec nous. L’ARAC en particulier mais aussi d’autres organisations démocratiques. Bien sûr nous allons continuer.

DG. : Sous quelles formes ?

JSP. : Tout d’abord nous avons programmé toute une série de colloques pendant les six années de commémoration officielle de la Grande Guerre de 1914-1918.
Nous avons déjà réalisé deux de ces colloques : à Soisson (Le procès des généraux fusilleurs) et à Franchesse.
Il y aura cette année un colloque à Saint Nazaire intitulé « Déserteurs, mutins, pacifistes », qui va faire le point sur l’ensemble des mouvements anti-guerre qui ont existé pendant cette guerre.

Devant le déni de justice du gouvernement, nous avons décidé de faire ériger, sur la ligne de front, un monument en souvenir des Fusillés pour l’Exemple avec un texte qui permettra de rappeler très précisément le cas de ces 639 soldats qui ont été fusillés de manière extrêmement expéditive.
Nous avons donc constitué une association pour l’érection de ce monument et nous en sommes actuellement à faire un appel aux dons pour que ce monument puisse être construit.

DG. : On voit bien à travers nos actions que nous ne sommes pas simplement des témoins de l’Histoire.
Quand on voit l’actualité et la multiplication des guerres il est certain que le titre du colloque de St Nazaire « Déserteurs, mutins, pacifistes, anti-militaristes de tous les pays unissez-vous ! » a une portée particulière.

Autre débat au sein de notre congrès, et qui fera encore débat : la PMA et la GPA.
Sur ce sujet peux-tu nous rappeler quels ont été les débats au sein de la Libre Pensée, comment ils se sont déroulés ? Quelles ont été nos conclusions ?

JSP. : C’est une question de société qui interpelle et qui suscite énormément de discussions.
Il y en a eu beaucoup au sein de la Libre Pensée, mais nous avons pris une année entière pour discuter de cette question.
C’est une grande satisfaction pour moi de voir que le Congrès c’est conclu par un vote largement majoritaire sur la position de la Libre Pensée qui est une prise de position en faveur de la Gestation Pour Autrui de manière encadrée bien entendu, avec des propositions assez précises sur l’encadrement légal qui est nécessaire. Cela suppose l’extension de la Procréation Médicalement Assistée au nom de l’égalité des droits.

DG. : C’est quasiment inédit pour une association ?

JSP. : Tout à fait. Mais c’est dans la lignée de ce que fait la Libre Pensée depuis des dizaines d’années. Avant-guerre la Libre Pensée a lutté pour le Planning Familial, pour la Maternité heureuse comme on disait à ce moment-là, pour toute sorte de mouvements qui se sont traduits par des ouvertures de plus en plus grandes dans le domaine de la vie des couples et de la procréation.

DG. : Jean-Sébastien je te remercie. Je pense que nous avons fait le tour, extrêmement rapide, pour nos auditrices et auditeurs de nos travaux.
A signaler la sortie de deux ouvrages :
Les Actes du colloque du 21 mars sur « Laïcité et libertés publiques », réalisés en partenariat avec d’autres associations reçues dans cette émission (Union Rationaliste, Ligue de l’Enseignement et Ligue des Droits de l’Homme). Vous pouvez les commander sur notre site internet dans l’onglet librairie au prix de 7 euros.

– Un ouvrage intitulé « Pour la laïcité en Europe » qui est une étude pays par pays des avancées, des résistances, de la Séparation des Eglises et de l’Etat, de la question du délit de blasphème. Cette étude couvre toute l’Europe au-delà de l’Union Européenne. Disponible au prix de 12 euros.

Avant de vous laisser je vous informe que si vous souhaitez faire des dons à la Libre Pensée vous pouvez le faire par courrier à l’adresse : FNLP 10/12 rue des Fossés St Jacques 75005 Paris, mais aussi directement sur notre site internet.

Je vous remercie.

 

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