La Libre Pensée reçoit Jean-Marie Bonnemayre, président du CNAFAL

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15 avril 2016

LE CNAFAL est le Conseil National des Associations Familiales Laïques

Jean-Marie, bonjour. On va entrer tout de suite dans le vif du sujet. L’action familiale laïque nous intéresse, nous, Libre Pensée. Est-ce que tu peux présenter votre association ?

JM Bonnemayre : Mouvement laïque bien évidemment par définition mais le paradoxe c’est peut-être d’avoir juxtaposé le mot famille et le mot laïcité. Pourquoi ?
Parce que la thématique familialiste et familiale date de 1875 et elle est une réaction contre la république et l’établissement de la république. L’historien du mouvement familial qui est l’Abbé Talmy et qui est imprégné bien sûr de catholicisme, s’y réfère lorsqu’il dit, par exemple, que « à partir de 1789 c’est sur l’individu que la société devra désormais s’édifier, la famille fera les frais de l’émancipation du citoyen » ou bien encore « le même bouleversement qui renverse la monarchie héréditaire détruit la famille. Le divorce est une conséquence de la démocratie car en posant le principe de la souveraineté populaire dans l’Etat et dans l’Eglise, l’Assemblée Constituante a préparé les voies du divorces ».
Je pourrais multiplier les citations. Tous cela pour montrer que pendant quasiment 70 ans cette idéologie-là va nous conduire à l’établissement du Régime de Vichy.

DG : Qui lui a mis en avant la famille justement.

JMB : Qui a mis en avant la famille comme cellule de base de la société bien évidemment opposée à la conception citoyenne issue de 1789 et donc au libre arbitre, à la liberté d’expression et à la liberté de pensée. Ce qui est intéressant c’est que se sont justement des déportés et des résistants qui s’étaient battus contre le Régime de Vichy, contre ces conceptions-là, qui décident à partir de 1947 de créer le premier mouvement familial laïque. Pourquoi ? Parce qu’ils ont vécu la montée des idées vichystes et contre-révolutionnaires des années 30 et à partir du moment où De Gaulle avait légalisé à travers l’ordonnance de 1945 qui fait que l’UNAF (Union Nationale des Associations Familiales) est une institution de la République, le mouvement familial, ils avaient estimé qu’il fallait aller au contact dans la bataille des idées avec ces conceptions-là. D’où la naissance du mouvement familial laïque mais qui ne s’inscrit pas du tout dans l’idéologie familialiste. On se réfère aux idéaux de la République, à l’émancipation sociale et à tous ce que peut porter le citoyen en termes de liberté.

DG : On va revenir sur cette ordonnance de 1945. Vous vous considérez que c’est une avancée parce qu’elle rompt avec le Régime de Vichy. Est-ce qu’aujourd’hui elle est mise à mal ? Est-ce qu’elle est en danger ?

JMB : L’UNAF a eu pas mal de vicissitudes au cours de son histoire du fait qu’elle était sur un positionnement très conservateur voir parfois dans certains cas très intégriste. Lorsque nous avons intégré l’UNAF en 1979 les choses avaient peu bougées. Ce qu’a amené l’ordonnance du Général De Gaulle s’est d’instituer véritablement le pluralisme au moins au niveau des statuts de l’UNAF. Après dans la réalité c’est autre chose. Par exemple l’UNAF a à peu près 150 postes de représentation nationale auprès de l’Etat : par exemple à la CNAF il y a 5 représentants familiaux. Il n’y a aucun laïque qui représente cette institution auprès de la CNAF (Caisse Nationale des Allocations Familiales). Quand je dis 150, on a qu’un seul représentant ! On voit bien qu’alors que la mission est de représenter la totalité des familles on est loin du compte !
On l’a vu bien sûr avec le mariage pour tous où l’UNAF s’est battue contre et en étant proche bien évidemment de ceux qui défilaient contre le mariage pour tous.

DG : Lorsque l’on a vu dans l’actualité la question des familles ressortir récemment, c’est toujours ce fameux mot d’ordre : « Un papa, une maman, deux enfants », qui seraient LA famille. Quelle position avez-vous pris dans cette bataille-là ?
Beaucoup plus loin : est-ce qu’il y a une véritable offensive cléricale autour de la famille en France ?

JMB : Le CNAFAL a toujours déclaré dans sa déclaration de principe qu’il n’y avait pas de famille standard. On a toujours accueilli dans nos rangs les familles monoparentales par exemple.
En 1990, quand il a été question du PACS (Pacte civil de Solidarité) on a bien évidemment appuyé le PACS.
Nous avons défendu l’association des parents gays et lesbiens qui souhaitait faire son entrée à l’UNAF et qui avait été refusé par les dirigeants de l’époque malgré une lettre de Ségolène Royal !
A partir de 2012 lorsque la question est revenue sur le tapis, on s’était bien évidemment rencontré au cours des 15 dernières années avec l’APGL (Association des parents gays et lesbiens) pour unir nos efforts et se battre en faveur de cette loi. Ce qui n’a pas été du tout simple ! On a bien vu à travers cette affaire, une partie de la vieille droite vichyste, maurassienne et bien sûr catholique intégriste, qui déjà avait repointé le nez du temps de l’ère Sarkozy, trouver un boulevard devant elle car mise à part Madame Bertinotti et Christiane Taubira, on ne peut pas dire qu’il y ait eu un grand écho. On a vu des déclarations de députés socialistes comme quoi il fallait laisser tomber cette loi car trop dangereux, et qui était prêt à faire un recul. D’ailleurs Hollande lui-même a reculé après 15 mois lorsqu’il a dit on ne va pas plus loin et on ne fait pas d’ouverture sur la PMA alors que c’était prévu.

DG : Pour que les auditeurs comprennent un peu mieux ce qu’est le CNAFAL : en matière de laïcité, même dans le champ social, qu’elles sont vos démarches, vos actions, vos réponses à ces questions-là ?

JMB : Sur la laïcité. Nous sommes agréés Organisation Nationale de Consommateurs depuis 35 ans. Cela a été une volonté car nous souhaitions nous inscrire pleinement dans le champ social et ne pas oublier dans la détermination de la destinée des individus le poids de l’économique et le poids du financier. On en voit tous les jours la résultante.
On se situe comme étant une organisation de consommateurs non consuméristes. Pour nous il ne s’agit pas de replâtrer les effets du régime capitaliste ou libéraliste. Il s’agit de se pencher, à partir du moment où il y a fabrication d’un produit, à partir du moment où il y a des gens derrière qui les fabriquent, de s’intéresser à leurs conditions de travail, à la manière dont un produit est fabriqué et vendu et y compris par rapport à l’extraction de la plus-value.
De ce point de vue on se situe totalement à gauche et on ne s’interdit rien dans le champ de l’économie et du financier. Et bien sûr que l’on a une critique profonde de ce qui est en train de se passer ces 20 dernières années dans ce champ-là. C’est important de faire de l’éducation du consommateur et également, à travers des stages de formation, de l’accès aux droits dans tous les domaines : logement, santé, travail, consommation etc.
C’est-à-dire essayer de fabriquer des citoyens au jour le jour et dans la quotidienneté des choses.

DG : Il y a un côté éducation populaire encore ?

JMB : Tout à fait ! Nous sommes agréés Mouvement d’Education Populaire et notre but, en partant de difficultés de vie concrètes, d’apprendre aux citoyens et citoyennes à se défendre eux-mêmes en leur donnant des éléments juridiques, des chemins pour taper aux bonnes portes soit dans le secteur privé soit dans le secteur public de telle sorte qu’ils puissent faire valoir leurs droits.

DG : Dans les enjeux autour de la laïcité, nous pensons en tant que Libre Pensée qu’il y a un nouveau problème mais qui est un problème créé et qui serait celui de l’islam. Pour nous c’est un problème instrumentalisé.
Qu’en pensez-vous ? J’imagine que vous rencontrez des familles de toute catégorie à la fois dans le milieu urbain et dans le milieu rural. Que pensez-vous de ce qui serait une nouvelle problématique en quelque sorte ?

JMB : Le CNAFAL depuis 20 ans, au siège national, a un bureau d’accès aux droits pour les immigrés quel que soit leur statut. Il nous arrive de recevoir des clandestins qui cherchent par la voie légale à obtenir des papiers. C’est un bureau ouvert et nous ne sommes pas subventionnés pour cette action. Nous sommes d’ailleurs reconnus pour notre technicité par le Ministère de l’Intérieur et nous sommes toujours sur le registre de l’accès aux droits.

Le CNAFAL a toujours été très prudent par rapport à ceux qui revendiquent la laïcité que par rapport à l’islam. Ces débats-là ont commencé à partir de Charles Pasqua. C’est le premier qui, de ce côté de l’échiquier politique, a mis en avant la laïcité pour combattre l’islam. Il a eu des disciples depuis et l’on a bien vu que depuis 7 ou 8 ans il y a un terrible brouillage politique à ce niveau-là : Marine Le Pen fait de même, des éléments notoires des Républicains également, et à gauche il y a des voix dissonantes.

Ce qui veut dire qu’il faut d’une part revenir aux fondamentaux de la laïcité qui sont bien sûr la liberté de conscience, la liberté de pensée, la liberté d’expression. Il n’y a jamais eu de volonté de mettre à l’index telle religion plutôt que telle autre. Je suis d’ailleurs parfois étonné que certains ne focalisent que sur la question de l’islam alors qu’on ne les a peu ou pas entendu sur la montée de l’intégrisme catholique au cours de ces dernières années. Oubliant que leur emprise sur la société est réelle ne serait-ce que pour le droit de mourir dans la dignité où les catholiques ont fait pression.

Certains utilisent l’islam pour dire que l’intégration à la française ne marche pas. Moi je dis que c’est le contraire. Ça marche plus qu’ailleurs ! Par rapport aux autres pays européens c’est en France qu’il y a le plus de mariages mixtes. 28% de mariages mixtes définis d’une part entre un ou une française « de souche » et des gens natifs du Maghreb ou d’ailleurs mais qui en sont parfois à la 3ème ou 4ème génération.
Je suis d’ailleurs gêné par rapport à cela car on en arrive finalement à qualifier de musulmans ou d’arabes des gens qui sont depuis la 3ème ou 4ème génération en France ! On voit bien que les choses sont pipées et qu’il y a un arrière-plan de discrimination et de racisme. Il y a là aussi des failles de nos gouvernants quels qu’ils soient. Voir le dernier débat sur la politique de la ville. La plupart des élus locaux de droite ou de gauche ont été à la tête d’Offices Publics d’HLM. Ils maitrisaient donc les politiques d’attribution et de peuplement. Qui sont les responsables si effectivement dans certains quartiers il n’y a pas de mixité ? Ce sont bien les élus locaux !Maintenant je les entends monter au créneau parce que l’on voudrait nous faire croire, et cela vise à faire peur aux gens, qu’en France il y aurait une centaine de « Möllenbeck ».

Il faut arrêter ! On pointe du doigt certaines catégories de la population alors que l’on sait bien que s’est une poignée, que le problème est très complexe, qu’il y a des problèmes de géopolitique et bien sûr si on peut court-circuiter les citoyens dans ce débat on le fera. Je me refuse à rentrer dans ce type de débat parce que chaque fois on est dans une posture électoraliste, clientéliste et en plus on fait le jeu de l’extrême droite.

DG : Jean-Marie merci. Très rapidement as-tu quelque chose à signaler aux auditeurs qui permettrait de garder non seulement espoir mais qui permettrait de voir la lumière au bout du tunnel ?

JMB : Deux mots : l’émancipation sociale et l’égalité. Je crois que ce sont les deux boussoles que nous devons avoir dans la période présente où l’on voit bien qu’il y a plein de « pêcheurs » en eau trouble de partout.

DG : Merci. Le livre du mois : la revue L’Idée Libre n°312 qui vient de sortir sur le Canada. Disponible dans notre librairie.