L’Idée Libre n°314 “Rome Washington” Septembre 2016

Pour nous suivre

Présentation du dossier par David Gozlan et Philippe Besson

Ici, aussi, tout est symbole.
Ce numéro de l’Idée Libre traite des rapports entre la Ville Eternelle aux 7 collines – où tout au moins l’enclave papale qui y réside – et le tracé aux dessins géométriques dressés jadis par le major Pierre L’Enfant, Washington D.C.
Du fait du Premier Amendement de la Constitution américaine, il n’y avait jamais eu de relations diplomatiques officielles de la République des Etats-Unis avec le Vatican. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait aucune relation.
C’est en 1984, sous l’ère Reagan et Jean-Paul II, que les relations diplomatiques furent instituées officiellement. L’objectif était clairement une alliance contre le «Grand Satan» que représentaient l’URSS et ses pays satellites. C’est un rapprochement de type «Guerre froide» qui a prévalu sur cette violation du principe de Séparation des Églises et de l’État contenu dans le Premier Amendement.
La dénonciation des affaires de pédophilie aux USA commence alors, au début des années 1980, et elle ne va que monter en charge. Ces affaires deviennent des scandales par la volonté d’en faire des scandales. La médiatisation du scandale n’a donc rien de fortuit. Aujourd’hui, des avocats aux USA étudient la possibilité d’assigner le pape lui-même dans les affaires de pédophilie pour «négligence».
Mais au-delà de ce problème, il faut traiter du fond des choses. On ne nous fera pas croire que toute cette campagne de dénonciation n’est que le produit d’un «sursaut moral» dans un pays qui manie si allégrement le puritanisme le plus glauque et la pornographie la plus sale.

Il s’agit d’une affaire politique importante qui a trait, au fond, aux relations entre deux impérialismes : les USA et le Vatican.

Ouvrons le dossier.

 

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Bonnes pages

En avant première, nous publions l’article d’ouverture du dossier

 

Les relations entre les Etats-Unis et le Vatican  à la lumière des affaires de pédophilie

par Christian Eyschen

Le communiqué de la Libre Pensée du 25 avril 2016 sur les affaires de pédophilie dans l’Église catholique n’est pas passé inaperçu. De nombreuses questions nous ont été posées.

Nous voudrions poursuivre le débat à travers cet article.

La pédophilie est-elle une maladie ?

Comment ne pourrait-elle pas l’être, a-t-on envie de répondre. Voici la définition officielle :
« La pédophilie est classée comme trouble de la préférence sexuelle (trouble mental) par la classification internationale des maladies (CIM) et comme paraphilie (qu’elle entraîne ou non un comportement répréhensible et /ou de détresse chez le sujet) par le manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM) »

Si la pédophilie n’est pas une maladie, alors de deux choses l’une : les propos du dégénéré Daniel Cohn-Bendit, trouvant la pratique d’actes sexuels de majeurs avec des enfants comme tout à fait normale, sont fondés et il n’y a rien à dire, ou alors les pédophiles ne sont que des barbares et des animaux sauvages, il faut donc les éradiquer par tous les moyens et ne pas les soigner. J’ai du mal à comprendre qu’il ne soit pas évident que les actes pédophiles sont commis par des cerveaux dérangés. Le fait qu’il s’agisse d’une maladie n’est nullement contradictoire avec le fait qu’il s’agit de crimes.

Mais au-delà de ce problème, il faut traiter du fond des choses. On ne nous fera pas croire que toute cette campagne de dénonciation n’est que le produit d’un « sursaut moral » dans un pays qui manie si allégrement le puritanisme le plus glauque et la pornographie la plus sale.

Il s’agit d’une affaire politique importante qui a trait, au fond, aux relations entre deux impérialismes : les USA et le Vatican. Examinons donc les choses.

Relations diplomatiques entre les USA et le Vatican

Du fait du Premier Amendement de la Constitution Nord-Américaine, il n’y avait jamais eu de relations diplomatiques officielles de la République des États-Unis avec le Vatican. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait aucune relation. En règle générale, c’était un chargé d’affaires (personne privée) qui faisait passer les messages dans les deux sens et faisait les négociations.

C’est en 1984, sous l’ère Reagan et Jean-Paul II, que les relations diplomatiques furent instituées officiellement. L’objectif était clairement une alliance contre le «Grand Satan» que représentaient l’URSS et ses pays satellites. C’est un rapprochement de type «Guerre froide» qui a prévalu sur cette violation du principe de Séparation des Églises et de l’État contenu dans le Premier Amendement.

Rappelons qu’en France, c’est la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican qui fut le prétexte de l’adoption de la loi du 9 décembre 1905 de Séparation des Églises et de l’État. Prétexte et résultat, puisque la loi abrogeant le Concordat de 1801 eut pour résultat immédiat la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège. Elles ne furent rétablies qu’en 1924 en contrepartie d’une négociation sur la mise en place des associations cultuelles diocésaines. Notons que ce fut 5 ans avant les accords de Latran, entre l’Italie fasciste et le Latran, qui faisaient du Vatican un «État». La Séparation des Églises et de l’État a comme conséquence, dans différents pays à travers leur histoire, l’absence de relations diplomatiques entre cet État et le « Saint-Siège », nom hypocrite donné au Vatican qui n’est pas un Etat. (Voir mon article « Du Premier Amendement à la loi de 1905 » in Idée libre n°292 – 1er  trimestre 2011)

Le déclenchement médiatique des affaires est-elle une divine surprise ?

Il y a de curieuses coïncidences parfois. Pendant des décennies, la diplomatie vaticane a collé étroitement à celle des USA. Il y avait, en effet, un ennemi commun à combattre comme si «un spectre hant[ait toujours] le monde : le communisme». La Guerre froide refroidissait aussi le cerveau de beaucoup, et les choses semblaient simples.

Quand le stalinisme a commencé visiblement à montrer des signes d’effondrements, chacun a voulu en tirer profit et a cherché à rejouer son propre rôle, pour ses propres intérêts. Au début des années 1980, le Vatican (et particulièrement la Conférence des Evêques des États-Unis) commença à jouer une musique différente.

La question qui a allumé la mèche était celle de l’intervention croissante de l’Impérialisme américain dans son arrière-cour, l’Amérique centrale. Si, au début, il y avait un accord total entre la Croix et le Dollar pour lutter contre les Sandinistes, les choses finirent par aller trop loin pour la Curie romaine. Ce qui se passait au Honduras déplaisait aussi au plus haut point. Le feu aux poudres fut mis quand, le 24 mars 1980, les mercenaires au compte des USA assassinèrent froidement l’Archevêque Romero au Salvador. La Conférence des Évêques nord-américains fit une déclaration nette contre cet assassinat.

La confrontation commence

Au fur et à mesure des années, la critique se fit plus acerbe et violente. Depuis, les évêques se révèlent comme une force d’opposition dont l’influence était particulièrement difficile à juguler.
Le Wall Street Journal parle de l’opposition des évêques catholiques comme « du problème le plus délicat auquel l’Administration doive faire face alors qu’elle cherche à faire accepter à l’opinion publique sa politique en Amérique centrale ». Le quotidien constate, en 1983, que si l’Administration est parvenue à faire taire nombre de ses critiques au Congrès et ailleurs, « l’opposition de l’Église elle, n’a pas cessé, que ce soit au sommet ou la base, et s’avère être “la plus difficile à enrayer” d’après un haut responsable du gouvernement ». (Source : internet).

La politique de l’Administration Reagan en Amérique centrale donne lieu à une critique féroce de la part des évêques et à une riposte importante de la Maison-Blanche. Cependant la critique, par les évêques, de la politique américaine de défense, et notamment du principe de dissuasion nucléaire, va donner lieu à une offensive sans précédent de l’Administration Reagan pour tenter d’endiguer l’influence des évêques sur le débat national, offensive dans laquelle elle va essayer de s’adjoindre l’aide du Saint-Siège (Source : Internet).

Dès le début des années 1990 ainsi, les États-Unis n’auraient plus vu grand intérêt à cultiver des relations étroites avec le Vatican, car la menace «communiste» n’était plus, ou était en voie de disparition. D’autre part, Jean-Paul II agace par ses dénonciations répétées de ce qu’il considère être les dérives de l’Occident, notamment son matérialisme exacerbé, qui conduisent, selon lui, à une perte de respect pour la vie sous toutes ses formes  (Source : internet).

La dénonciation des affaires de pédophilie aux USA commence alors, au début des années 1980, et elle ne va que monter en charge. Ces affaires deviennent des scandales par la volonté d’en faire des scandales. Il suffit de regarder attentivement le film Spotlight, film-documentaire passionnant. Le journal Boston Sunday Globe avait déjà toutes les informations en sa possession, l’enquête se mène, en fait, en grande partie dans ses archives. C’est la nomination d’un nouveau responsable, dont on prend soin qu’il ne soit pas de culture catholique pour pouvoir résister aux pressions, qui permet l’ouverture des archives et l’exhumation des crimes. La médiatisation du scandale n’a donc rien de fortuit. Aujourd’hui, des avocats aux USA étudient la possibilité d’assigner le pape lui-même dans les affaires de pédophilie pour «négligence». Il y a des tentatives de class-actions pour cela.

Sur bien des points, il y a eu et il y a encore des divergences entre les objectifs politiques du Vatican et ceux des USA

La Maison-Blanche et le Latran, c’est le vice au bras du crime, pour reprendre la formule excellente de Chateaubriand sur « le souper » qui réunit Fouché et Talleyrand après Waterloo. Quand Washington-DC a besoin, le Saint-Siège sait aider, si cela lui rapporte. Ainsi, ce sont les évêques qui ont fait le nécessaire en Haïti pour se débarrasser de Baby-doc devenu trop encombrant. C’est le Père salésien Aristide qui deviendra même Président. Il en sera de même aux Philippines (grand pays catholique !) où les États-Unis voulaient se débarrasser de Ferdinand Marcos qui sentait vraiment trop le moisi de la pourriture et de la corruption. Dans ces deux pays, la transition se fit à l’ombre de la croix.

En Pologne, il y eut rapidement un accord de coopération. Mais la ligne du Vatican n’était pas la liquidation du régime stalinien (c’est par contre ce que voulait à tout prix Reagan), mais son aménagement au compte de l’Église. Je renvoie à ce sujet à mon article sur Lech Walesa dans Les Hommes du Vatican.

Mais dans bien des pays, il n’en va pas de même. Le Vatican a des intérêts qui ne sont pas toujours identiques à ceux du Capitole et du Capital. Ainsi en Chine, les USA sont bras-dessus, bras-dessous avec les dirigeants mao-staliniens, si capables de faire suer la plus-value aux prolétaires chinois. La Cité interdite a constitué une Église catholique officielle à sa botte contre l’Église clandestine. Celle-ci a le soutien du Vatican, c’est sa succursale. Les USA n’en ont que faire.

A Cuba, la ligne, sous Reagan et sous Bush père et fils, c’est l’embargo qui affame le peuple cubain. Le Vatican entend défendre son pré carré, car les catholiques sont fort nombreux sur l’île. Il y a donc une tension entre les deux diplomaties. Quand Obama se rend enfin compte que toute cette politique est contre-productive et qu’il faut faire autrement, il va s’appuyer sur le Pape qui est toujours reçu en grande pompe par les Castro. C’est le Vatican qui va servir d’entremetteur (la Curie excelle dans les rôles de mère maquerelle) et paver la voie à l’instauration de relations diplomatiques (prélude aux relations économiques, bien plus importantes, car sonnantes et trébuchantes) entre le Continent et l’île.

Mais c’est au Moyen-Orient que les tensions sont les plus grandes. Israël est la pomme de discorde, avec le statut de Jérusalem et le sort des palestiniens dont beaucoup sont chrétiens.
Les USA sont alignés sur la défense d’Israël, et le reste ne les intéresse pas. Pas plus qu’au Liban  où le sort des Maronites les préoccupe autant que leur première dinde de Thanksgiving. Idem en Irak et en Syrie, où la question des minorités chrétiennes est une question de survie pour le catholicisme dans cette région du monde, mais dont les USA se contrefichent royalement.

Le Pape s’opposera fermement et réellement au déclenchement des guerres contre l’Irak comme aux opérations militaires en Lybie et en Syrie, pour les mêmes raisons de défense de sa clientèle.
Et ceci a eu des effets réels en termes politiques et stratégiques qui ont profondément ennuyé la Maison-Blanche. Il fallut une très forte pression pour que le Saint-Siège finisse par établir des relations diplomatiques avec Israël en 1993.

Les affaires de pédophilie aux Etats-Unis :

Il y a eu 352 prêtres suspendus de leurs fonctions pour avoir été impliqués. Rien qu’à Boston, on a recensé 540 victimes des agissements d’ecclésiastiques. On estime à 4 000 le nombre de victimes recensées. Les diocèses catholiques ont dû acquitter plus d’un milliard de dollars aux victimes pour dommages et intérêts. Nombre de diocèses sont en faillite financière.

Voici les principaux accords conclus :

  • Diocèse de Los Angeles  (Californie) : 720 millions de dollars pour 550 victimes
  • Diocèse de Boston (Massachusetts) : 85 millions de dollars pour 540 victimes
  • Diocèse de Covington (Kentucky) : 120 millions de dollars pour 350 victimes
  • Diocèse d’Orange (Californie) : 100 millions de dollars pour 90 victimes
  • Diocèse d’Oakland (Californie) : 56 millions de dollars pour 56 victimes
  • Diocèse de Spokane (Washington) : 45 millions de dollars pour 75 victimes
  • Diocèse de Miami (Floride) : 17 millions de dollars depuis 1966

C’est au tour de la France

Le Vatican plie, mais ne rompt pas. Il va d’abord se figer dans une position dogmatique : il n’a de compte à rendre qu’à lui-même, car il est le « Guide moral des âmes et des hommes ». On va entendre des déclarations stupéfiantes sur le fait que la pédophilie n’est pas un péché (Evêque Stanislas de Pontoise), que ce sont les enfants qui doivent être bizarres et qu’ils l’ont bien cherché (curés du diocèse de Barbarin à Lyon). Les bas-du-front en soutane tapent dur. Mais cela n’alimente que plus le scandale. Les affaires éclatent les unes après les autres. Les médias (dont dire qu’ils sont aux ordres relève de la tautologie) font monter la pression. Chaque jour apporte son scandale. L’Église manœuvre en recul.

La pression des États-Unis sur la diplomatie du Vatican n’arrive toujours pas aux résultats escomptés. Le Vatican refuse de s’aligner complètement sur les USA. C’est une lutte entre deux puissances en fin de parcours qui se disputent leurs prés carrés. L’Église catholique a deux mille ans d’expérience et elle en a vu passer des empires. Elle connaît cet adage historique : un empire, cela finit toujours mal. Elle pense avoir le temps de digérer tout cela et de présenter la facture plus tard. Car l’Église n’oublie jamais le tort qu’on lui fait.

Dans ce genre de combat, il y a toujours des collabos, des traîtres et des parjures. C’est le lot commun de la bassesse humaine. Quand la Libre Pensée s’est adressée à la Conférence des Évêques de France à propos de sa responsabilité dans l’affaire du Couvent de la Congrégation du Bon-Secours à Tuam en Irlande (où l’on pense que près de 800 bébés sont morts et enterrés dans des conditions plus que suspectes), les Évêques ont répondu à la Libre Pensée (une pleine page dans la Croix ! ) : «Ce n’est pas nous, c’est le Vatican». Courage quand tu nous tiens…

Mais tout cela risque, pour les deux parties en présence, Vatican et USA, d’être un combat à la Pyrrhus. Ce n’est pas la Libre Pensée qui s‘en plaindra et elle fera tout pour cela. La médiatisation des crimes pédophiles en France n’est qu’un nouvel épisode de cette bataille, et il y a fort à parier qu’on va voir cette vague déferler dans d’autres pays. Et puis, il arrivera toujours un moment où les grands « Machiavel » ne contrôleront plus rien, tel le Golem qui échappe au Grand Rabbin de Prague au XIVe siècle. Quand l’Histoire se répète, la deuxième fois, c’est toujours une farce.

La Libre Pensée s’est exprimée sur ces affaires sans hurler avec les loups, elle est totalement partie prenante de la campagne de l’Association internationale de la Libre Pensée pour que justice soit rendue aux victimes des Églises. Par cet article, pour contribuer au débat, les libres penseurs veulent montrer qu’ils ne sont pas dupes de toute cette affaire. Toujours le Baron de Queensberry.