A propos de l’affaire du Burkini : En direct avec Pascal-Eric Lalmy

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Secrétaire national chargé de la laïcité au Parti Radical de Gauche

Communiqué de presse  du PRG du vendredi 26 août 2016

Pascal-Eric Lalmy, Secrétaire national du PRG à la laïcité, prend acte de la décision du Conseil d’Etat sur l’arrêté « anti-burkini ». Le Conseil d’Etat a rendu une décision conforme aux principes de droit de notre République démocratique et laïque. Les Radicaux de gauche n’ont aucune sympathie pour les manifestations de pudibonderie et de bigoterie, pour autant, l’Etat laïque ne peut ni dire ce qu’est ou n’est pas une religion, ni imposer ou interdire une tenue vestimentaire, au motif qu’elle serait porteuse d’un message politique.

La polémique stérile lancée par la droite et l’extrême-droite sur ce sujet vise uniquement à créer un écran de fumée pour détourner le futur débat présidentiel des vrais enjeux politiques de 2017 : la transition écologique, la compétitivité de l’économie française, la poursuite de la refondation de l’Ecole, la préservation de notre modèle social ou encore l’équilibre des comptes publics.

La lutte contre les cléricalismes et les projets ultra-conservateurs inspirés par les grandes religions monothéistes est enjeu majeur pour la gauche du XXIe siècle. En effet, ils remettent en cause l’égalité des sexes, et les libertés individuelles ; ils prétendent aussi imposer un ordre moral réactionnaire, Cette bataille ne sera pas gagnée en voulant faire le bien des gens malgré eux. « La gauche doit reconstruire un projet politique émancipateur et libéré des dogmes en revivifiant la pensée des Lumières pour reconquérir les territoires perdus de la République » ajoute Pascal-Eric Lalmy.

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La Libre Pensée :   L’actualité récente a été marquée par ce que l’on a appelé le « Burkini ».  Plusieurs municipalités ont pris des arrêtés clairement liberticides avec une forte consonance sous-jacente  xénophobe. Quelle est votre analyse comme Secrétaire national chargé de la laïcité au PRG ?

Pascal-Eric Lalmy : On peut comprendre qu’à Nice la présence de « Burkini » sur les plages ait été vécue comme une insupportable provocation. Cependant qu’il s’agisse d’une provocation délibérée de la part de quelques militantes ou simplement de quelques « idiotes utiles » d’un islamo-conservatisme qui n’a pas grand-chose à envier à Christine Boutin, cette affaire n’aurait pas connu le retentissement qu’elle a eu si les médias étaient un peu plus mesurés, si le contrôle de légalité en préfecture fonctionnait un peu mieux  et si l’équipe de Nicolas Sarkozy, Christian Estrosi en tête, n’y avait pas vu l’occasion de lancer la campagne de leur champion. Ces arrêtés municipaux démontrent surtout la profonde méconnaissance du principe de laïcité chez nos Elus. Je ne suis pas convaincu que le ressort « xénophobe » soit l’élément déclencheur, mais comme dans l’antisémitisme du début du siècle, j’ai l’impression qu’il soit devenu de bon ton d’être un peu « antimusulman » dans les dîner en ville.

La droite surfe sur cette vague faite pour partie d’intolérance vis-à-vis de ce qui semble étranger, et d’inquiétude dans une France qui change. On a eu une Garde des Sceaux qui s’appelait Rachida, on a une ministre de l’Education nationale qui s’appelle Najat et une ministre du Travail qui s’appelle Myriam, tout cela montre bien que les choses bougent, que la France change et on le sait bien les gens ont horreur du changement. Le contexte de la crise alimente les parallèles funestes, celui ou celle qui a du mal à finir ses fins de mois ne fait pas le lien avec la crise financière mondiale, l’optimisation fiscale ou encore le turbo-capitalisme et ses ravages, il ou elle constate juste qu’il y a concomitance entre les visages d’une France qui change et ses propres difficultés. Si vous ajoutez à cela que nous n’avons jamais soldé totalement notre histoire coloniale et l’histoire des traites négrières, avec le sentiment de déclassement chez les classes moyennes traditionnelles qui voient monter une concurrence sociale du côté des enfants d’immigrés, le cocktail devient explosif. Evidemment, la droite et l’extrême-droite s’engouffrent dans la brèche avec les dégâts que nous connaissons.

L.P : Pour vous, les rues, les plages, les piscines, les magasins, les cinémas font-ils partie de la sphère ou de l’espace public dans lesquels devrait s’appliquer la laïcité ?

P.E.L : La laïcité est un principe juridique, elle s’applique à l’Etat pour garantir la liberté de conscience des citoyens. On peut en tirer une vision philosophique ou un projet politique, mais stricto-sensu la laïcité est un rempart qui doit protéger l’espace public, au sens de l’espace qui dépend directement de l’Etat, des influences et exigences religieuses. Ensuite, l’exemple scolaire montre bien comment s’applique la laïcité : les fonctionnaires ont une interdiction totale d’afficher leurs croyances religieuses, les élèves ont des limites à leur liberté religieuse, car ils sont mineurs et dans un espace particulier pour recevoir un enseignement, mais les parents par exemple ont la totale liberté d’exprimer leurs convictions.

L’administré, le citoyen n’est pas assigné à la neutralité religieuse, c’est l’Etat qui est laïque, pas la Nation. En conséquence de quoi dans la rue, sur la plage, dans un magasin ou au cinéma l’application du principe de laïcité ne peut pas conduire à proscrire telle ou telle attitude ou tel ou tel vêtement. Cela est aussi valable pour les usagers/clients que pour les opérateurs, si l’Eglise catholique entend faire une campagne pour le denier du culte en 4 par 3 dans les rues ou si un gérant de cinéma veut passer la « Passion du Christ » de Mel Gibson ou « La dernière tentation du Christ » de Martin Scorsese rien ne s’y oppose. Le seul espace pour lequel j’introduirai une nuance c’est celui de la piscine. Selon que l’on parle d’une piscine municipale ou d’un centre aquatique privé, les choses ne s’appliquent pas de la même manière. Ainsi, les Radicaux de gauche sont totalement opposés aux créneaux communautaires dans les piscines municipales et à tout ce qui y remet en cause le principe de mixité.

 

 

L.P : Il est quelque peu  surprenant que des hommes politiques comme Nicolas Sarkozy, Eric Ciotti, Marine Le Pen et d’autres aussi à « Gauche » se déclarent très laïques quand il s’agit des musulmans, mais plus du tout quand il s’agit de l’Eglise catholique. On a même vu Nicolas Sarkozy faire des signes de croix chrétiens dans l’exercice de sa fonction présidentielle. Comment expliquez-vous cette schizophrénie politique ?

P.E.L :  Il y a deux questions en une qui sont en fait plus différentes qu’il n’y paraît, mais qui sont bien liées l’une à l’autre. La droite et l’extrême-droite sont sur une démarche identitaire, elles se sont lancées dans une course folle pour agréger un électorat de « Français moyen » fantasmé dont « super-Dupont » serait la caricature. Leurs attaques répétées contre le droit du sol, leur tentation systématique de réhabiliter le colonialisme, leur volonté farouche de définir un « en-dehors » pour mieux cerner un « en-dedans » qui déterminerait en creux ce que sont les Français, les conduisent assez logiquement à s’en prendre aux Français de confession musulmane qui veulent vivre leur foi sans raser les murs. A gauche, le ressort est différent. D’abord une partie de la gauche et de l’extrême-gauche a confondu, par paresse intellectuelle, les musulmans et le prolétariat. Partant du constat, factuel, que beaucoup de musulmans étaient ouvriers, cette frange de la gauche a jugé plus facile de parler aux « musulmans » qu’aux ouvriers au moment où, à partir des années 1980 une partie des classes populaires s’est tournée vers le Front national. Le problème c’est que cela a conduit à des démarches de clientélisme électoral « communautariste », parfois avec de vieux relents de colonialisme, quand les acteurs publics décident de prendre en main la construction des lieux de culte laissant penser que les musulmans seraient incapable de conduire seuls ce type de projets. Cela a agacé une autre partie de la gauche, au moment où certains commençaient à penser que « le FN pose les bonnes questions, mais donnent les mauvaises réponses ».

La collision de ces deux erreurs d’appréciation a conduit certains de nos amis à penser qu’il fallait brandir l’étendard de la laïcité contre toute velléité des musulmans pieux de vivre leur foi. Au final, les jupes plissées bleue marine et les serre-tête de « Marie-Chantal » à Versailles se sont installés de longue date dans le paysage et personne ne songe à y voir un signe religieux, pourtant les catho « tradi » qui sont le fonds de commerce de Marion Maréchal-Le Pen, sont tout aussi déterminés que les Frères musulmans ou les islamistes à imposer leur dogme et leur ordre moral contre la République. S’agissant de Sarkozy, j’espère, sans trop d’illusion, que c’est le dernier tour de piste de ce clown pathétique qui marche dans les pas de Donald Trump et de Georges W. Bush. Le personnage n’est motivé que par le goût de l’argent et du pouvoir, il n’a aucune conviction et aucun projet politique structuré, c’est d’ailleurs ce qui fait la difficulté à le combattre. Il n’a aucune hésitation à assumer les pires contradictions.

D’une manière générale, j’ai depuis longtemps la conviction que la confusion qui agite la vie politique française depuis le début des années 1990 vient du fait que l’on a jamais tiré les conclusions du referendum sur le traité de Maastricht. Cela peut paraître éloigné de notre sujet, mais depuis 1992 le clivage gauche/droite n’est plus opérant. Malheureusement, les institutions de la Ve République ne permettent pas une recomposition profonde et une redéfinition claire de ce que sont la gauche et la droite sur les questions européennes, mais aussi sociétales, économiques ou encore de positionnement par rapport au fait religieux.

 

 

L.P : Que pensez-vous de l’attitude de Manuel Valls qui se déclare « laïque intransigeant » quand il s’agit de l’Islam, mais plus du tout quand il va au Vatican assister à la canonisation de deux papes ? Quelle analyse faite vous de la visite de François Hollande au Vatican récemment ? N’exprime-t-il pas une sorte d’allégeance et de reconnaissance au mépris de la loi de 1905 ?

P.E.L : Manuel Valls veut donner un corps politique à un principe juridique, il a en cela une proximité d’idée avec les Radicaux de gauche. Ainsi, la sénatrice Françoise Laborde est intervenue pour permettre à un employeur d’assurer la neutralité religieuse dans son entreprise, quand il est confronté à des situations qui mettent en cause l’égalité des sexes ou le bon fonctionnement de l’entreprise. Peut-on imaginer un garçon boucher qui refuserait de servir de la charcuterie, un vendeur de vêtement qui refuserait de servir les femmes ou encore un employé qui refuserait d’obéir à sa supérieure au motif qu’elle est une femme ? Pourtant, il ne s’agit pas de laïcité, mais bien de neutralité et cette dernière ne doit porter atteinte ni aux libertés syndicales, ni aux libertés politiques.

L’ambiguïté de nos gouvernants vis-à-vis du Vatican n’est pas nouvelle, les uns et les autres jouent en permanence sur le double statut du pape chef d’Etat et chef spirituel pour contourner le principe de laïcité. Au final, on pourrait juger tout cela un peu folklorique ,  si cela ne donnait pas le sentiment d’un deux poids deux mesures pour les autres religions. J’ai le même sentiment pour la visite de François Hollande au Vatican, sur le principe, c’était une visite privée et un prêtre avait été assassiné, dans les faits la médiatisation de cette visite pose problème. Je n’oublie pas que François Hollande a sur de nombreux points résisté à l’Eglise catholique, il a imposé le mariage pour tous, il n’a pas pu imposer Laurent Stefanini comme ambassadeur auprès du Saint-Siège, mais il a résisté autant que possible et laissé le poste vacant 15 mois. Je pense que fondamentalement le Chef de l’Etat se porte bien aussi longtemps qu’il évite l’Eglise catholique, mais sa fonction et les événements l’oblige à avoir parfois des contacts directs avec une institution qui est aussi un fait social important en France et qu’il ne peut pas totalement ignoré, pour autant il sous-traite autant que possible le sujet à son Premier ministre qui se retrouve dès lors obligé d’assister à la canonisation de deux papes. Au PRG, nous aimerions quand même une attitude plus rigoureuse, mais sur ce sujet comme sur beaucoup d’autre, le Président de la République est bien plus un pragmatique qu’un « dogmatique ».

LP : Comment  envisagez-vous l’avenir juridique de ces arrêtés liberticides, le Conseil d’Etat ayant jugé en référé, mais par encore sur le fonds ?

P.E.L :  Je ne suis pas juriste, ce que je vois en revanche c’est la tentation très forte chez une partie de la droite de remettre en cause l’état de droit et l’ordre républicain pour y substituer une forme d’arbitraire de circonstance. Nous avons bien vu de quelle manière Nicolas Sarkozy de 2007 à 2012 a gouverné « à l’émotion » ; je crains que lui et ses amis veuillent passer à l’étape suivante. Le dynamitage de l’ordre judiciaire, la remise en cause des grands principes constitutionnels sont au cœur d’une stratégie populiste très dangereuse. Il faut revenir à plus de raison, la dérive droitière de LR ouvre un boulevard au centre de l’échiquier politique, il suffit de voir comment le Parti Démocrate domine la campagne présidentielle aux Etats-Unis alors même qu’Hillary Clinton n’incarne ni le renouveau politique ni une gauche conquérante, elle profite juste du vide laissé par la droite au centre.

Autant, on le sait depuis longtemps les socialistes français gagnent à gauche et gouvernent au centre, autant je pense que la droite fait une erreur en pensant qu’elle peut gagner à l’ultra-droite et gouverner ensuite au centre. La campagne de 2017 sera intéressante de ce point de vue. En revanche, comme je l’ai écrit dans mon communiqué, il ne faudra pas laisser les médias et la droite détourner le futur débat présidentiel des vrais enjeux politiques de 2017 : la transition écologique, la compétitivité de l’économie française, la poursuite de la refondation de l’Ecole, la préservation de notre modèle social ou encore l’équilibre des comptes publics… Autrement la stratégie de Sarkozy sera une stratégie gagnante.

L.P : Cher Pascal-Eric Lalmy, merci d’avoir répondu à nos questions.

Propos recueillis par David Gozlan

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