Audition de la Libre Pensée par l’Observatoire de la Laïcité

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Le 17 janvier 2017, l’Observatoire de la laïcité, dans le cadre de la confection de son rapport annuel avait demandé à entendre la Fédération nationale de la Libre Pensée. La délégation de celle-ci était conduite par son Président Jean-Sébastien Pierre.

► Christian Eyschen, vice-Président :

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Tout d’abord, nous voudrions remercier l’Observatoire de la laïcité de nous avoir invités pour pouvoir nous exprimer.

Nous sommes dans une période de vœux, donc on peut faire des vœux. Il y a des temps d’incertitude et nous espérons vraiment que, quelques soient les aléas de la vie politique, l’Observatoire et ses responsables seront maintenus, parce que nous considérons, sans aucune flagornerie, que l’Observatoire a montré son utilité. Il dit le droit, c’est tout à fait intéressant, et le travail qui a été fait est tout à fait positif. Nous espérons que cela va continuer.

Nous observons avec un certain amusement que même les esprits chagrins ou critiques de l’Observatoire de la Laïcité sont parfois amenés à reprendre des propositions et à demander que les propositions de l’Observatoire soient mises en œuvre. Comme quoi il ne faut pas désespérer du genre humain.

Nous sommes attachés, à la Libre Pensée, à des principes dont un certain nombre ont été rappelé par nos amis de la Ligue de l’Enseignement et la Ligue des Droits de l’Homme. La République n’est pas plurielle, le mouvement laïque l’est et c’est très heureux qu’il le soit. Nous sommes très attachés à cette distinction de sphère publique et sphère privée. Nous l’avons expliqué et démontré de notre point de vue, même si nous avons parfaitement conscience qu’en fait la difficulté n’est pas de monter et démontrer ce qu’est la sphère publique, mais ce qu’est la sphère privée qui est beaucoup plus large, car elle intègre tout une série de données.

Nous sommes aussi très attachés, c’est notre conception et nous la partageons avec beaucoup, au fait que la laïcité , c’est la liberté et non pas une succession d’interdits. C’est pour cela que lorsque l’on parle de recrudescence  de lois, cela nous pose quelques problèmes et nous sommes très attachés à l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen  du 26 août 1789, parce que nous estimons que c’est quelque chose de véritablement fondateur qu’il faut défendre absolument.

Par ailleurs, le débat sur « les racines » commence un peu à être épuisant. On l’avait eu sur le traité constitutionnel européen et cela s’est terminé comme on le sait. Il faudra rappeler un jour qu’on ne juge pas un arbre à ses racines, mais à ses fruits. C’est une différence d’approche importante parce que cela dépend de ce que l’on veut et de ce que l’on fait. Est-ce que c’est un passé fantasmé ou un avenir que l’on développe ?

Comme vous le savez sans doute, avec nos amis de la Ligue de l’Enseignement, de la Ligue des Droits de l’Homme et bien d’autres, nous avons lancé un Appel des laïques qui reprend ces principes, qui trouve un écho important. Cela fait belles lurettes qu’il n’y avait pas eu de déclaration d’intention avec un tel panel et une telle diversité et c’est tout à fait porteur d’optimisme dans la situation.

Comme est aussi porteur d’optimisme ce qui est en train de se passer sur un certain nombre de terrains juridiques. Je ne reprendrais pas le problème des burkinis, car cela n’avait strictement rien à voir avec la laïcité, mais avec la question des libertés.

Sur la question des crèches, nous sommes assez satisfaits qu’à partir du moment où le débat est posé sur la place publique, les grands principes sont rappelés et avancent. Par exemple, ce qu’a dit le vademecum de l’Association des Maires de France est quand même important, même si on a vu que ce n’était pas simple à gérer pour elle.

De la même manière, la plupart des positions de l’Observatoire de la Laïcité nous conviennent, car cela va dans le sens de cette éthique de la liberté.

Les arrêts du Conseil d’Etat sur les crèches vont marquer, à terme, avec des conséquences, un coup d’arrêt sur cet empiétement de l’espace public, de la sphère publique par le religieux. Nous en sommes tout à fait convaincus, même si bien évidemment il y a des gens qui font des recours et des actions et d’autres qui commentent les actions et recours des autres. Ils sont d’autant plus virulents qu’ils n’ont pas fait de recours et pas d’actions. C’est la loi du genre, mais nous pensons qu’il va y avoir véritablement un coup d’arrêt et quelque chose de salutaire va être manifesté.

Nous allons nous exprimer cette semaine sur ce qui s’est passé dans la Fonction publique. Nous avons d’ailleurs demandé une entrevue avec Mme Girardin pour engager ce débat.

Dernier point et non le moindre. Il y a un aspect qui doit être abordé et qui est extrêmement important à nos yeux. C’est la loi El Khomri, dite loi Travail, et notamment ce qu’elle indique sur la limitation des libertés dans les entreprises privées. Nous avons le sentiment, tant sur le plan syndical que sur la laïcité et les libertés publiques, que cette loi va connaître un long calvaire de crucifixion juridique. Ce qui n’est pas pour nous déplaire particulièrement, mais je pense  que c’est quelque chose qui va avoir lieu et, c’est une préoccupation que nous avons, parce que si au nom de la discrimination, de la stigmatisation, on en vient à faire voter une loi par une majorité dite « progressive et progressiste », qui dit qu’il faut réprimer les opinions dans les entreprises, quel gigantesque retour en arrière !

Cela pose toute une série de problèmes. On voit bien là la distinction entre la sphère publique et la sphère privée.

Je vous remercie.

colloque Laïcité et Libertés publiques : De G à Dte : Christian Eyschen (FNLP), Pierre Tournemire (Ligue de l’Enseignement), Jean-Louis Bianco (Observatoire de la laïcité), Michel Tubiana (Ligue des Droits de l’Homme) Françoise Olivier-Utard (Union Rationaliste)

► Jean-Sébastien Pierre, Président :

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Je partage bien évidemment ce qui vient d’être dit par Christian Eyschen sur cet aspect de sphère publique et sphère privée. Je trouve que le débat sur le voile à l’université est particulièrement important et particulièrement éclairant.

De ce point de vue-là, notre position est exactement la même que celle qui a été développée par notre ami de la LDH, avec une argumentation supplémentaire. Il a été souvent relevé que c’était parce que les étudiants étaient majeurs que l’on ne pouvait pas leur appliquer la loi de 2004. C’est une partie de la réalité, mais pas la seule. Je pense que l’habillement, notamment dans les amphithéâtres, a toujours été libre dans ce pays tout du moins depuis l’établissement des Franchises universitaires au 13ème siècle, en ce sens qu’on a le droit, dans un amphithéâtre de l’université française, de s’habiller comme on veut. On y a connu, cela ne se fait plus pour des raisons de désuétude, des bonnes sœurs en cornette, des curés en soutane, des militaires en uniforme et dans d’autres pays où les franchises universitaires existent sous une autre forme, on y a connu des chefs indiens emplumés et des trappeurs avec des toques de Davy Crockett. Je parle de cela, car ce n’est pas que franco-français comme affaire. C’est le problème des Franchises universitaires qui sont partagées très très largement dans le monde.

De ce point de vue-là, il me fait particulièrement plaisir que ces attendus sur les Franchises universitaires en France aient été repris et que la position sur le voile à l’université ait été reprise par l’unanimité du CNESER et par la Conférence des Présidents d’Universités. On peut considérer que de hautes autorités de l’université et de la recherche scientifique en France ont pris position de façon libérale sur cette question, que nous partageons entièrement.

Très rapidement sur l’enseignement supérieur. Là encore je ne considère pas, pour ma part, que ce soit spécialement l’Islam qui pose problème sur la laïcité dans l’enseignement supérieur. Je suis très inquiet et très opposé au fait que les COMUE (Communautés d’Universités et d’Etablissements) qui s’installent, aient la prétention, sans autre forme de procès, d’intégrer tranquillement des universités catholiques – instituts catholiques. Déjà les universités catholiques n’ont pas le droit de s’appeler comme cela, elles l’osent pourtant de plus en plus. Celle d’Angers reprend son terme d’université qu’elle avait abandonné pendant un temps, celle de Lyon également, donc il y a une offensive très forte vis-à-vis de l’enseignement supérieur. L’établissement des COMUE sous cette forme, associant indistinctement l’enseignement public et l’enseignement privé, va porter de mon point de vue, un coup assez dur à la laïcité dans l’enseignement supérieur.

Nous nous inquiétons de l’établissement, manifestement concerté, dans une dizaine d’universités, de Diplômes universitaires dits de « connaissance des religions » qui sont, dans leur déclaration, fait pour former les aumôniers et les imams. Ce n’est pas toujours dit comme cela, mais c’est quand même l’esprit. L’esprit n’est pas d’enseigner le droit laïque tout simplement de façon à ce que tout étudiant qui en fait la demande, quel que soit son origine et son métier, puisse en faire la démarche, mais explicitement de dispenser une formation à des professions religieuses. Là, je pense que l’on a quitté l’esprit et la lettre, au moins l’esprit, car évidemment il n’est pas question d’attaquer la liberté de telle ou telle université de faire tel ou tel diplôme, cela fait aussi partie des Franchises dont je parlais tout à l’heure, mais on peut au moins en discuter le principe au minimum sur le plan philosophique.

J’ai vu par exemple à Rennes, une déclaration dans Ouest-France donnant nommément la composition des étudiants inscrits dans ce diplôme d’université, par religion. C’est la première fois de ma vie que je vois une chose pareille ! Désigner les étudiants à une formation universitaire par leur religion et leur rôle religieux.

Voilà le complément que je voulais apporter sur l’enseignement supérieur et là aussi j’apprécie le travail fait par l’Observatoire de la laïcité.

 

► David Gozlan, Secrétaire général :

Tout d’abord sur la formation des imams, nous ce qui nous a interrogé, parce que c’est une presse de bonne foi qui a donné l’information, c’est La Croix, c’est le fait que cette formation des imams in fine, pour qu’ils aient le tampon « République et Laïcité », ce soit l’Institut Catholique de Paris qui la fournisse. Comme nous avons une pratique de l’Institut Catholique de Paris, considérant qu’ils forment des prêtres pour détourner la laïcité, cela nous a interrogé.

Toute la question, c’est celle de l’article 2 de la loi de 1905, parce que la vraie question, c’est est-ce que la République doit reconnaitre ces prêtres, imams ou rabbins au titre de ministres du culte et les former en tant que tels ou des gens en formation comme des étudiants-lambda dans les universités ? La question elle est là. Et c’est exactement la même question qui a été posée cet été avec la mise en place de la fondation de l’Islam de France. C’est Islam de France ou Islam en France ? Nous nous pensons que c’est l’Islam en France, comme il y a un catholicisme, un judaïsme, un protestantisme en France etc.  Ce n’est pas DE France. Ce n’est pas à la République de les reconnaître.

Cela rejoint un petit peu le rapport de l’Institut Montaigne qui a été donné dans cette espèce de contradiction, où l’Institut Montaigne explique, sur la question de l’Islam notamment : les citoyens musulmans sont sécularisés dans l’immense majorité, mais nous préconisons une certaine forme de reconnaissance et une unification des situations de type concordataire. Cela nous inquiète, car comme je l’ai déjà dit devant l’Observatoire, lorsque la loi de 1905 a été faite elle a été réalisée pour tous les cultes. Le culte musulman compris. Je le répète, il y avait beaucoup plus de musulmans en France en 1905 qu’aujourd’hui. Il y en avait 10 millions et Jean-Pierre Chevènement explique dans une interview qu’il y en a 4,1 millions aujourd’hui. Il y en avait donc le double en 1905 et il suffit d’appliquer la loi à tout le monde et à tous les citoyens pour que chacun devienne citoyen.

Un dernier point sur l’instrumentalisation de l’Islam. Lorsque l’on voit toutes ses affaires de voiles, ce qui interroge se sont les Unes de journaux, parce que les images restent et se sont toujours des titres chocs. Si vous regardez bien c’est toujours une femme voilée et une Marianne à côté. C’est-à-dire une forme d’opposition République / religion. Il y a quand même cette problématique-là qui est mise en avant. J’avais eu une discussion avec l’Observatoire sur le traitement médiatique de la laïcité et je pense que l’on n’a pas évolué, pas progressé sur ce terrain-là hélas.

S’il y avait une préconisation à avoir, c’est sur la question de l’utilisation par les Elus. Je pense que le travail de l’Association des Maires de France est essentiel. Quand les Elus arrêteront d’instrumentaliser la laïcité et/ou une religion, en l’occurrence l’Islam, je pense qu’on gagnera en visibilité, en clarté et on avancera. Il faudrait peut-être avoir des Elus assez courageux pour faire des mises au point à certains moments sur ces questions-là de façon à poser le débat de manière intelligente et claire.

Nous vous remercions.