La Libre Pensée reçoit Yves Verrier, secrétaire confédéral de la CGT-FORCE OUVRIERE

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14 mai 2017

David Gozlan : Bonjour Yves. Peux-tu te présenter à nos auditrices et auditeurs ?

YvesVerrier : Bonjour. Je suis Secrétaire confédéral depuis 2004 au sein de Force Ouvrière. J’ai très vite pris en charge, à ce titre, notamment les questions internationales et européennes et j’ai depuis de nombreuses années un mandat de la Confédération Syndicale Internationale, qui est la principale voir l’unique confédération syndicale au niveau international qui regroupe la plupart des confédérations syndicales de la plupart des pays démocratiques où le syndicat à la capacité de s’organiser librement. A ce titre je suis en charge de représenter les travailleurs au sein de ce que l’on appelle le Comité de la liberté syndicale qui est une sorte de tribunal qui examine toutes les plaintes qui arrivent à l’OIT en matière de liberté syndicale ou du droit de négociation collective.
Auparavant je suis travailleur, ingénieur météo de formation. J’ai exercé le métier d’ingénieur de la météorologie pendant une dizaine d’année et ensuite j’ai exercé divers mandats au sein de FO à différents niveaux.

D.G. : Cela nous intéresse car depuis 3 ans, sous l’impulsion de quelqu’un que tu as bien connu, Marc Blondel, qui a été Secrétaire général de FO et puis après il est devenu Président de la FNLP, nous avons constitué l’Association Internationale de la Libre Pensée et cette association est présente à la session de juin de l’OIT.
Il nous semble important de revenir sur l’importance de cette organisation tripartite où les syndicats de travailleurs sont représentés mais il y a aussi les représentants du patronat et les représentants des gouvernements. Peux-tu nous indiquer les grandes lignes de la création de l’OIT, son rôle hier comme aujourd’hui ?

Y.V. : L’OIT est une organisation du type agence onusienne c’est-à-dire du type agence intergouvernementale qui regroupe aujourd’hui 187 pays qui sont membres de l’OIT. Comme toutes les organisations intergouvernementales elle est un lieu de débat entre les différents pays et avec une particularité forte qui est qu’elle est un lieu d’élaboration et d’adoption de traités internationaux qui sont ensuite soumis à ratification par les pays. Ces traités portent sur les questions liées au travail, ce que l’on appelle les normes internationales du travail – on y reviendra sans doute un peu plus en détail – mais à la différence des autres organisations intergouvernementales, y compris celles qui élaborent des traités comme par exemple l’Union Européenne, l’OIT a la singularité que chaque pays est non seulement représenté par son gouvernement mais également par les représentants des travailleurs et par ceux des employeurs. C’est donc un endroit où chaque année ce que l’on appelle la Conférence Internationale du Travail se réunit. La prochaine session va s’ouvrir et je vais m’y rendre pour 3 semaines.
Dans cette conférence qui réunit les délégations de l’ensemble des pays, comme chaque pays est représenté par ces 3 parties, on a de l’ordre de 3 000 délégués qui sont réunis. C’est une Assemblée générale, un peu l’équivalent de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Chaque groupe se réunit en tant que tel : les travailleurs des différents pays du monde se réunissent comme groupe des travailleurs, les employeurs et les gouvernements de leurs côtés. Les positions sont prises groupe par groupe et ensuite éventuellement votées, avec une majorité des 2/3 pour adopter une convention. Les conventions qui deviennent des traités soumis à ratification et qui engagent les gouvernements sont le produit d’une négociation tripartite entre employeurs, travailleurs et gouvernements à l’échelle internationale.

D.G. : Dans ce genre de négociation est-ce que vous voyez des avancées qualitatives ? Est-ce que tu peux donner un exemple ?

Y.V. : Je vais donner deux exemples.
D’abord pour revenir un peu sur l’histoire, l’OIT a été créée en 1919 par le Traité de Versailles au lendemain de la Première Guerre Mondiale. L’idée est contenue dans le Préambule des statuts : « Attendu qu’une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base d’une justice sociale ».
L’idée était d’établir des normes minimales internationales qui évitent, demain, la misère qui était source de risque d’un nouveau conflit tel que celui qui venait d’avoir lieu.
La première convention qui a été adoptée en 1919 est celle qui a établi la journée de travail à huit heures et la semaine de travail à quarante-huit heures (à l’époque on travaillait 6 jours par semaine). Cette convention était l’aboutissement d’une revendication historique des travailleurs qui depuis 1886, à Chicago, avaient mis à l’ordre du jour chaque 1er mai la solidarité internationale pour obtenir une journée de 8 heures. Ça été la première convention de l’OIT, qui est toujours en vigueur aujourd’hui et qui peu à peu s’est imposée.
Aujourd’hui, a lieu un débat sur le devenir du temps de travail et la norme des 48 heures maximum hebdomadaire reste une référence. Evidemment ce n’est pas la durée légale, ce n’est pas à comparer avec les 35 heures en France par exemple, c’est la durée de travail au-delà de laquelle on considère que la santé et la sécurité des travailleurs sont mises en jeu.

Plus récemment, autre exemple qui m’est cher car j’étais le porte-parole des travailleurs sur ce débat, l’OIT a adopté un protocole qui vient s’ajouter à la convention n°29 de 1930 (à l’époque Léon Jouhaux, qui était le Secrétaire général de la CGT et qui est devenu le Président de FO en 1948, était porte-parole des travailleurs) qui voulait abolir le travail forcé dans le monde. C’était une époque où il y avait encore des colonies donc cette convention portait un certain nombre de dérogations qui permettaient du travail obligatoire dans le cadre des colonies. Ce qui avait d’ailleurs mis en colère Léon Jouhaux.
On a réussi, avec bien du mal, à adopter un protocole qui vient éliminer toutes ces dérogations. Evidemment elles n’étaient plus en vigueur, plus exercées, sauf que l’on s’est rendu compte que c’est surtout dans le secteur privé, dans le cadre des migrations, qu’il y a plus de 21 millions de personnes dans le monde – hommes, femmes et enfants – qui sont victimes du travail forcé. On ne sait pas que le travail forcé génère des profits illégaux certes, mais ce sont 150 milliards de dollars de profits annuels qui sont générés par le travail forcé. On vient d’adopter, en 2017, un protocole qui va obliger les gouvernements à mettre en place des plans nationaux qui vont être sous surveillance de l’OIT. C’est l’intérêt de l’OIT : elle adopte des conventions mais elle a aussi un système de supervision et de contrôle de la mise en œuvre effective de ces conventions. Les gouvernements vont devoir rendre des comptes sur les plans d’action qu’ils vont mettre en place pour éradiquer effectivement le travail forcé.

D.G. : Voilà effectivement quelque chose de concret.
Sur la France spécifiquement, on a connu depuis un an, même si ça s’est arrété en partie du fait des élections, une mobilisation très importante contre la loi Travail. La FNLP s’est exprimée pour le retrait du projet et l’abrogation de la loi quand elle a été votée, s’appuyant notamment sur la réintroduction d’un article par le Sénat qui dit : « Le règlement intérieur, par accord d’entreprise, peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux, par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »
Pour notre part nous considérons que cet article entraine et développe une forme de communautarisme, niant au citoyen dans l’entreprise sa qualité de citoyen. Est-ce que nous, au niveau international, vous avez vu, reconnu, ce type d’offensive de communautarisation de l’entreprise pour continuer à exploiter les travailleurs ?

Y.V. : A l’international cette question ne se pose pas exactement dans ces termes parce que d’un pays à l’autre, les lois en la matière, et la question de la laïcité qui est une singularité française, pas seulement, mais ça fait partie des singularités. La séparation des Eglises et de l’Etat est dans même une exception dans beaucoup de pays du monde.
Donc cette question ne se pose pas dans ces termes.
Au niveau international la question se pose plutôt en termes de non discrimination et de capacité d’accéder à égalité, donc sans interférence en lien avec telle ou telle confession religieuse, telle ou telle orientation philosophique ou évidemment l’égalité entre homme et femme, l’égalité d’accès à l’emploi dans les mêmes conditions de travail et de salaire. Il y a d’ailleurs les normes fondamentales du travail de l’OIT qui portent sur la liberté syndicale bien sûr, sur l’interdiction du travail forcé et du travail des enfants mais également sur l’égalité de rémunération et sur la lutte contre toute forme de discrimination.
Puisque l’on parlait de Marc Blondel tout à l’heure, c’est lui qui m’a formé à l’OIT. Et sur ce sujet je me rappelle d’une formule. Il m’avait amené pour la première fois à Genève, là où se situe le siège du BIT et à la veille de cette Conférence internationale il m’avait dit : « Tu vas voir ici c’est la Babel du monde du travail ». Parce qu’évidemment les travailleurs viennent du monde entier, de toutes couleurs, origines, confessions, hommes et femmes.
Voilà, c’est plutôt posé en termes d’égalité du point de vue du travail : à travail égal, salaire égal.

D.G. : Pour revenir un peu sur la place de la France, est-ce que la loi Travail a eu ou va avoir une incidence sur la session de l’OIT ?

Y.V. : La question de la loi Travail se pose notamment du point de vue de la question de la hiérarchie des normes c’est-à-dire du niveau de la négociation.

D.G. : Cela ça parle aux délégués du BIT !

Y.V. : Exactement ! Parce que la liberté syndicale et la liberté de négociation collective veut que le niveau de la négociation puisse être décider librement par les interlocuteurs à la négociation. C’est-à-dire que c’est aux travailleurs (syndicats) et aux employeurs de décider si c’est un accord de branche qui établit les normes pour l’ensemble d’un secteur d’activité par exemple, ou si telle ou telle matière est renvoyée au niveau de l’entreprise. En général on condamne toute interférence arbitraire du gouvernement ou de la législation dans cette matière.
Évidemment c’est un enjeu. On a d’ailleurs déposé une plainte à l’OIT sur cet aspect des choses vis-à-vis de la liberté de négociation.

D.G. : Quels sont les enjeux à venir au sein de l’OIT ?

Y.V. : L’OIT va bientôt avoir un siècle d’existence. Il est malheureusement évident que l’on n’a pas réussi à établir la justice sociale partout dans le monde pour des raisons diverses. L’OIT a eu des effets majeurs, il ne faut pas le contester, et on est en capacité aujourd’hui de protéger la liberté de syndicalistes dans le monde. On a des plaintes de travailleurs qui sont en prison et que l’on essaie de protéger, que l’on a pu libérer (en Chine récemment).

Deux enjeux majeurs :
– la financiarisation de l’économie. Il faut savoir que le problème auquel on est confronté aujourd’hui c’est que les employeurs auxquels nous sommes confrontés nous ne savons pas si ce sont des employeurs ou des salariés de grands actionnaires. Ça c’est une difficulté. On n’a plus en face de nous véritablement des entrepreneurs qui savent l’enjeu qu’il y a d’une bonne régulation de l’économie pour une production …

D.G. : …Ce sont plus les maitres du marché que les maitres des forges !

Y.V. : Voilà ! C’est un enjeu.
Le deuxième enjeu c’est les multinationales. Grosse discussion en ce moment au sein de l’OIT sur la responsabilisation des donneurs d’ordre. C’est-à-dire des grands groupes vis-à-vis de leurs sous-traitants.
Tout le monde a entendu parlé du drame du Rana Plaza au Bengladesh : 1500 ouvriers morts suite à l’effondrement pour faute de surveillance suffisante en matière de sécurité et de conditions de logement des travailleurs. Qui est responsable ? Les grandes marques ?

Dernier enjeu : les nouvelles formes de travail et l’impact de la numérisation de l’économie notamment sur les relations de travail.

D.G. : Voilà beaucoup de travaux en perspective.
Nous te remercions d’être venu dans notre émission.

 

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