La Libre Pensée reçoit Michel Sidoroff, réalisateur radiophonique

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11 juin 2017

émission animée par Sylvie Midavaine, trésorière de la fédération nationale de la Libre Pensée

S.M. : Bonjour Michel. Vous êtes libre penseur, militant et réalisateur radiophonique. Pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?

Michel Sidoroff : Ces trois notions, la Libre Pensée, le militantisme et la radio, correspondent, à la fois, à des étapes de mon existence et, en même temps, à des étages. Ces choses-là, je les vis simultanément dans une journée. Quand je travaille sur un texte, sur un projet, il peut me venir fréquemment des pensées qui peuvent croiser celles de la Libre Pensée, par exemple quand je travaille sur Stendhal. En ce moment, je suis en train de travailler sur une adaptation de Lucien Leuwen. Et puis, constamment bien sûr, la question se pose : alors, cette chose, qu’est-ce qu’elle donnerait à la radio ? Qu’est-ce que cela donnerait pour les oreilles des auditeurs ?
Et puis il y a, pas toujours mais parfois, la rencontre avec l’action à laquelle je participe, je pense en particulier à l’action contre la guerre.

S.M. : Votre nom a une consonance russe très forte. Pourriez-vous nous dire d’où vient votre famille et son histoire ?

M.S. : Mon père, né en 1905 à la frontière russo-polonaise, s’appelait Nicolas Sidoroff. Il a conservé jusqu’à la fin de sa vie sa nationalité, non pas russe mais soviétique, puisqu’il a quitté la Russie après la révolution. Dans sa famille il était le seul à adhérer aux idées de la Révolution d’Octobre. Il était très jeune. Il a commencé, plus ou moins abandonné par ses parents, une vie errante en Russie et puis cette errance l’a conduit loin de la Russie, à travers l’Allemagne et jusqu’en France où il a connu une vie d’ouvrier pendant de nombreuses années.
Sidoroff est un vieux nom russe, mais maintenant, il y a toute sorte de Sidoroff.

S.M. : Vous avez écrit et réalisé une pièce radiophonique intitulée « Un homme dans la brèche ». Pouvez-vous nous la présenter et nous dire pourquoi vous avez voulu la faire ?

M.S. : « Un homme dans la brèche » est un scénario qui met en scène un jeune français, instituteur, récemment démobilisé parce qu’il a été blessé en 1917 au front, et qui rencontre les soldats russes enfermés au camp de La Courtine. Ces soldats s’étaient mutinés, parce qu’à l’appel de la Révolution qui a commencé en février, petit à petit, ils s’étaient radicalisés contre la guerre. Il faut savoir que ces soldats russes étaient envoyés comme chair à canon, ils avaient été vendus en 1915 par le Tsar à la France en échange de vieux fusils.
J’ai eu envie d’écrire ce texte parce qu’un jour, j’étais à Gentioux, là où se trouve le fameux monument contre la guerre (l’enfant qui montre la liste des morts avec l’inscription « Maudite soit la guerre »). J’y ai rencontré Christian Eyschen et d’autres personnes qui m’ont parlé du camp de La Courtine que, malheureusement, je ne connaissais pas à ce moment-là et qui se trouve tout près de Gentioux.
Des années après, j’ai eu envie d’écrire un scénario. Je suis parti de l’histoire de cet homme, assez jeune encore, et qui se trouve mêlé à l’aventure de ces soldats russes à La Courtine. Ces soldats subissent un ultimatum : on leur demande de se rendre, de rentrer dans le rang. Ils refusent et ils sont bombardés par les officiers russes et les officiers français. Dans mon histoire, le jeune français décide de rester avec eux et on ne sait pas ce qu’il devient.

S.M. : A l’occasion de l’hommage rendu par la Libre Pensée aux mutins de 1917 dans divers endroits du pays, vous allez présenter cette pièce. Quel sens cela a-t-il pour vous ?

M.S. : Je dirais que cela a deux sens parce que, quand on écrit pour la radio et qu’on réalise pour la radio, on a envie de faire connaitre la production radiophonique, on a envie de partager avec de nouveaux auditeurs la magie de la radio. Et c’est un grand plaisir de voir des gens qui découvrent ou redécouvrent la création radiophonique, le pouvoir de la radio de faire rêver, de faire réfléchir. Ça, c’est le premier plaisir.
Ensuite, étant donné le contenu de ce texte qui suggère, bien sûr pas d’une façon directe, une opposition à la guerre et qui mentionne l’existence de personnes qui, à cette époque, résistent à la guerre – comme le député Brizon par exemple – c’est un enjeu à une époque où les guerres se généralisent. Pour moi, c’est important car j’ai toujours été opposé à la guerre, d’ailleurs d’une manière très très violente et très profonde. J’ai fait partie de l’appel des 75 contre la guerre du Golf avec le comédien François Chaumette, ami disparu en 1996 que j’aimais beaucoup. Nous étions très mobilisés avec des scientifiques, des artistes, avec des gens tout à fait obscurs mais qui étaient importants dans leur profession. Pour mois il y a une continuité et, en même temps, je trouve qu’il est important de faire connaitre les pouvoirs de la radio.

S.M. : Vous êtes contre les guerres et c’est bien entendu aussi un combat de libre penseur. Que pensez-vous du combat que mène la Libre Pensée pour la réhabilitation collective des 639 Fusillés pour l’exemple ?

M.S. : Je pense que c’est un combat essentiel parce que ce n’est pas simplement un travail de mémoire. C’est très à la mode, aujourd’hui, le travail de mémoire. Faire réhabiliter, et collectivement, les fusillés pour l’exemple c’est, qu’on le veuille ou non, faire accepter l’idée que ceux qui ont organisé la guerre, que ceux qui ont obligé les soldats, sous la menace de les fusiller ou en les fusillant, à se battre contre leurs frères allemands, et bien ceux-là sont des criminels et doivent être jugés.
Réhabiliter les fusillés pour l’exemple et les réhabiliter collectivement, c’est déjà induire le jugement de ceux, généraux, ministres, rois, présidents etc. qui ont organisé la guerre. Donc, c’est un travail au départ qui est très modeste mais qui est essentiel, parce qu’il a une importance par rapport à l’état d’esprit de la population. Je pense à la population travailleuse en particulier, celle qui n’a aucun intérêt dans les guerres, qui n’est pas actionnaire dans l’industrie d’armement. Cette population travailleuse est naturellement hostile à la guerre parce que la guerre est une source de désastre et de misère. Ce travail peut aider aussi à un refus collectif de guerres présentes et de guerres à venir.
Il est important, de même que le travail consistant à faire connaître la mutinerie des soldats russes en 1917.

S.M. : Nous vivons cette année le centième anniversaire de la Révolution russe. Qu’est-ce que cela évoque pour vous ?

M.S. : Pour moi, c’est d’abord des souvenirs d’enfance des récits de mon père.Ces récits étaient quand même très parcellaires, très diffractés par la mémoire, étaient des miettes de souvenirs. Pour moi, c’est une chose extrêmement importante, dans la mesure où j’ai toujours été persuadé que la grande force des révolutionnaires russes a été d’oser. Oser ce que d’autres n’auraient pas osé dans les mêmes circonstances.
Je l’ai dit pour Un homme dans la brèche, je suis vraiment intéressé par le rôle de l’individu dans l’histoire et, d’une manière générale, par les forces subjectives dans l’histoire. Je suis fasciné par la capacité de ces révolutionnaires russes à oser, sur la base d’une adhésion générale, globale de la population travailleuse à leurs positions à savoir : la terre, la paix et le pain.
Il se trouve que j’ai beaucoup aimé, adolescent, le livre de John Reed Dix jours qui ébranlèrent le monde et j’ai proposé de l’adapter pour le centième anniversaire de la révolution d’octobre et donc, j’en fais un feuilleton. J’aime beaucoup le personnage de John Reed qui, d’ailleurs, a été fort bien évoqué par Warren Beatty dans son film Reds. C’est un personnage très attachant, de même que sa compagne Louise Bryant et les révolutionnaires américains qui sont autour d’eux.
Mon travail consistera à la fois à adapter le récit de John Reed, la révolution à Petrograd et à Moscou, et à évoquer la situation de John Reed et de ses amis à New-York en 1918.

S.M. : Tout ce que vous nous racontez montre bien collectivement, comme on le disait au début que vous êtes libre penseur, militant, réalisateur. C’est un tout.

M.S. : Il y a un lien entre toutes ces choses. Je suis persuadé que le lien, c’est la poésie. Je suis venu à la radio par la poésie. Quand j’ai passé le concours de réalisateur, j’avais l’impression de prolonger mes expériences poétiques par la rêverie radiophonique. J’ai toujours laissé une place importante à la poésie, aussi bien dans mes propres textes qu’aux textes des auteurs sur lesquels je travaille. Par exemple, pour le travail sur le texte de John Reed, j’ai exhumé un poème de lui pour ce feuilleton. Je pense que le lien est de ce côté-là.

S.M. : J’aimerais bien avoir plus de précisions sur votre scénario radiophonique « Un homme dans la brèche ». Est-ce que vous pouvez nous donner plus de détails ?

M.S. : Est-ce qu’il faut raconter toute l’histoire ?

S.M. : Peut-être le début ?

M.S. : L’action commence au moment où les soldats russes mutinés arrivent au camp de La Courtine en juillet. Le déroulé jusqu’en septembre est condensé par l’action, pendant une heure. Ils arrivent à La Courtine et le général Comby, qui est le général de la région militaire, se réjouit de l’arrivée de ces soldats russes. Mais il est très vite calmé par l’entretien qu’il a avec le général Pétain qui, lui, est parfaitement au courant des affaires de mutinerie et qui le prévient que ces soldats russes ne vont pas apporter le folklore dans le village et ses alentours mais plutôt la subversion. On a donc au début un échange, inventé bien sûr, entre ces généraux qui permet de situer l’action et la pensée de Pétain et de comprendre que le Pétain patriote de 1917, celui qui a réprimé les mutineries, en particulier celle des Ardennes à Craonne, c’est le même que celui de 1940. Rigoureusement le même. Et que, déjà, il rêve d’une révolution nationale. Je me suis donc permis, dans ce dialogue, des petites échappées.
D’un point de vue dramaturgique, la perturbation apportée par les soldats russes, il me fallait la faire sentir sur le plan sonore. Et la perturbation, c’est la musique. Ils ont une fanfare et, avec leur fanfare, ils vont perturber complétement la vie du village et des généraux qui sont là. C’est l’occasion d’entendre, dans une réunion organisée par le général Comby, un des textes de Claudel, un auteur que j’apprécie tout particulièrement vous vous en doutez, qui était tout à fait collabo, qui a écrit l’ode au Maréchal Pétain et qui a écrit des textes terribles en 1915 en faveur de la guerre : Tant que vous voudrez mon général. C’est un titre formidable !
Et donc, le général dit ces « poèmes » de Claudel, et cela a été l’occasion d’exhumer des textes que l’on ne montre pas très souvent, parce qu’on en a un peu honte.
Voilà, c’est cet aspect que j’aime dans la création dramatique en général qui consiste à essayer de gratter, de creuser et de révéler des choses souvent cachées.
La dimension humoristique est très importante dans le texte.

S.M. : Merci, Michel.

Je voudrais, comme de coutume, vous présenter un ouvrage à lire, ou plutôt une brochure de la Libre Pensée, dans sa collection Arguments : « La libre Pensée et les sciences » qui comporte une analyse de notre Président Jean-Sébastien Pierre qui est un scientifique, le Manifeste de la Libre Pensée sur les Sciences, une analyse de l’encyclique Laudato si du pape François. Vous pouvez la commander au siège de la Libre Pensée au prix de 3€ l’unité avec 1,05€ en sus pour le frais de port.

Chers auditeurs au revoir et au mois prochain.

 

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