Message de Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité

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Nîmes, le lundi 21 août 2017

Message délivré au nom de l’Observatoire de la laïcité à l’occasion du Congrès de la Fédération nationale de la Libre Pensée

Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité

Monsieur le Président,

Monsieur le Vice-président,

Monsieur le Secrétaire général,

Mesdames et Messieurs,

Aujourd’hui débute votre Congrès et, à cette occasion, différentes associations sont invitées à intervenir pour rappeler leur action et les relations d’amitié qui les lient à la fédération nationale de la Libre Pensée.

Je tiens, au nom de l’Observatoire de la laïcité, à vous remercier pour cette invitation à lire ces quelques mots. Cela témoigne des relations étroites et amicales que nous entretenons avec vous dans le respect des points de vue de chacun. 

Permettez-moi de saisir cette occasion pour vous remercier à nouveau pour le soutien que vous nous avez apporté en 2016, aux côtés de la Ligue des droits de l’Homme et de la Ligue de l’enseignement. À cette époque, une mauvaise polémique avait secoué notre institution, menacée alors de disparition pour simplement avoir rappelé le droit à une personnalité publique et pour avoir contribuer au dialogue, y compris avec des associations avec lesquels nous n’étions pas d’accord.

Mais, vous comme nous le savons bien, le concept de laïcité est l’occasion de multiples débats, parfois très vifs, sur sa définition elle-mêmeme. Sont parfois évoquées des laïcités qui seraient « antireligieuse », « gallicane », plus ou moins « séparatiste», « ouverte », « fermée », ou « identitaire ». De fait, il y a, intellectuellement, différentes conceptions de ce qu’est la laïcité, ce qui peut conduire à une vraie confusion sur le sens de ce terme. Si, depuis sa conception même, des visions divergentes de la laïcité s’affrontent, sur ce qu’elle est ou sur ce qu’elle devrait être selon certains, pour ce qui est de son application concrète et quotidienne, l’Observatoire de la laïcité est là pour rappeler que nous devons nous en tenir à la laïcité telle qu’issue de notre histoire, telle que définie par nos textes juridiques et telle que reprise par notre Constitution. Une seule laïcité donc, qui, dès lors, n’a pas besoin d’être adjectivée.

Pour l’essentiel, l’Observatoire de la laïcité rappelle que la définition juridique de la laïcité découle de cinq textes : même si le mot « laïcité » n’existait pas encore, les articles 1er et 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 sur l’égalité des droits et la liberté de manifester ses convictions ; les lois Ferry de 1881 et 1882 complétées par la loi Goblet de 1886 sur l’Ecole publique laïque ; et, bien sûr, la loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Eglises et de l’Etat. Par la suite, différentes évolutions législatives ont pu être apportées sur des points d’ordre pratique et une fois de façon plus importante, concernant certains usagers, avec la loi du 15 mars 2004 sur le port de tenues ou de signes religieux ostensibles à l’école. Enfin, une jurisprudence abondante, en particulier du Conseil d’Etat, considéré comme le véritable « régulateur de la laïcité », a permis de préciser l’application concrète du principe de laïcité.

Du droit positif, on retient surtout dans le débat public la loi du 9 décembre 1905. Paradoxalement, si le mot « laïcité » n’apparaît pas dans cette loi, c’est effectivement bien elle qui en synthétise le cadre général.

Pour faire simple, l’Observatoire de la laïcité rappelle que le système laïque français repose sur trois principes et valeurs :

  1. La liberté absolue de conscience, de laquelle découle la liberté de manifester ses convictions, quelles qu’elles soient — religieuses ou non —, mais toujours dans les limites de l’ordre public ;

  1. La séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, de laquelle découle la stricte neutralité de l’Etat et de l’administration, mais pas celle des usagers ;

  1. L’égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs convictions, garantie par cette stricte neutralité, mais aussi parce que l’Etat laïque est, dès lors, indifférent aux convictions ou croyances de chacun.

De cet ensemble de principes et valeurs découle notre citoyenneté commune, qui contribue à l’idéal républicain de fraternité. Il n’y a donc pas besoin d’ajouter la laïcité à la devise républicaine : en réalité, ce principe s’y décline parfaitement.

Je n’irai pas plus loin dans cette définition : d’une part parce que ce n’est pas l’objet de cette intervention, d’autre part parce que la Fédération nationale de la Libre Pensée est une des rares associations en France, et la plus ancienne, à pouvoir affirmer être à l’origine de l’instauration de la loi de Séparation du 9 décembre 1905. C’est aussi pour cette raison, parce que vous savez parfaitement combien notre laïcité est un outil majeur pour faire vivre notre cohésion nationale, que votre action pour la défendre est si importante.

On attribue à Antonio Gramsci cette célèbre phrase : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Si le contexte actuel n’est pas celui décrit par Gramsci, il reste que nous sommes à la fin d’un cycle. Nous traversons une longue période de doute et d’incertitudes. Et ce, depuis la crise du modèle néolibéral, et en particulier depuis la crise financière de 2008, couplé à un interventionnisme unilatéral de puissances militaires accompagné de replis identitaires ravageurs dans certains régions du globe.

Notre monde est désormais globalisé, mais profondément individualiste. À travers Internet, les réseaux sociaux et les nouveaux outils numériques, nous sommes matériellement tous plus proches et connectés les uns des autres que jamais auparavant. Dans le même temps, et paradoxalement, plus nombreux sont ceux qui sont ou se sentent seuls, en raison d’une société de plus en plus atomisée. Hannah Arendt nous disait que la transformation des « classes » en « masses », sans intérêt commun, et l’élimination parallèle de toute solidarité de groupe constituaient la condition sine qua non de la domination autoritaire.

En perte de repères, beaucoup se replient sur des valeurs traditionnelles ou religieuses plus marquées, parce qu’elles ont l’intérêt d’apporter des réponses claires — parfois simplistes — à des questions complexes. En France, la sécularisation ne s’est pas arrêtée. Mais dans le même temps, si le nombre de croyants n’augmente pas, on constate une pratique religieuse plus fervente et parfois plus rigoriste, et ce dans toutes les religions. Dans ce contexte, toute solidarité qui lie les majorités et les minorités, et les transcende, est remise en question. Or, de tous temps, la qualité et l’état d’une démocratie ont été jaugés à la manière dont elle traite ses minorités.

La laïcité s’est justement imposée en France, certes avec de sérieuses difficultés, avec notamment pour objectif d’assurer aux minorités (convictionnelles ou religieuses, on pense en particulier aux libres penseurs ou en protestants et juifs) les mêmes droits que la majorité. L’État, parce que laïque, est indifférent aux convictions ou aux croyances de ses citoyens. Il est parfaitement impartial vis-à-vis d’eux et ne saurait se montrer davantage soucieux d’une majorité religieuse ou convictionnelle face à une ou plusieurs minorité(s). Le système laïque nous fait devenir, tous, pleinement citoyens avant toute chose, à égalité de droits et de devoirs. Nos appartenances propres ne sauraient donner de quelconques avantages spécifiques, pas même pour ceux qui appartiendrait à une supposée majorité. Avec la laïcité, il n’y a pas en France de majorité catholique reconnue par l’État face à des minorités agnostiques, athées, musulmanes, protestantes, juives, bouddhistes ou autres. Il n’y a pas plus aujourd’hui de reconnaissance institutionnelle d’une majorité de « culture judéo-chrétienne » (l’exclusivité de cette expression est-elle fondée et a t-elle même un sens ?) face à une minorité de « confession ou de culture musulmane ». Non, le système laïque suppose une même appartenance commune à la Nation.

Pourtant, dans la période que nous traversons, nous constatons un terrible manque de rigueur quant à l’explication de ce qu’est la laïcité. Celle-ci est invoquée à tort et à travers par certains journalistes, intellectuels et personnalités publiques pour répondre à tous les problèmes de la société (un seul exemple avec le feuilleton des plages et du burkini —et ses fakes news qui l’accompagnent—, désormais annuel), mais aussi pour imposer à nouveau ce clivage entre une majorité, en réalité inexistante parce qu’elle-même extrêmement diverse, et une minorité, également multiple. Une majorité et une minorité bien souvent caricaturées et « ethnicisées » par ces mêmes personnes. Cette laïcité dite « identitaire » s’oppose à la propre histoire du combat laïque, qui s’est véritablement concrétisé une première fois avec la Révolution française.

Face à cette colossale « inculture laïque », l’instrumentalisation sensationnaliste, politicienne et électoraliste d’un concept juridique pourtant commun à tous est, d’une part, tout à fait intolérable pour tout partisan de la liberté de conscience, et d’autre part, extrêmement dangereuse. Loin de contribuer à une quelconque éthique collective, loin d’appeler à la raison et au libre arbitre, elle ne cesse au contraire de convoquer les instincts primaires de chacun d’entre nous et d’alimenter les discours victimaires. Le politique (en particulier) a pourtant la responsabilité de préserver l’unité nationale et de refuser les surenchères pour ne pas inutilement, comme disait un de vos anciens membres, Aristide Briand, « déchaîner les passions religieuses ».

Aujourd’hui, le rappel des règles laïques et le besoin de pédagogie sur ce qu’est la laïcité sont essentiels, et l’Observatoire de la laïcité y travaille. Nous espérons que le gouvernement actuel permettra à ce travail de se poursuivre au-delà d’avril prochain, fin de son premier mandat, car, comme vous le savez, beaucoup reste à faire. Mais il est également essentiel pour tout citoyen d’interpeller les politiques, les intellectuels et les médias pour préserver son système laïque tel que défini à son origine et qui, dans ce cadre, fait partie en France de l’équation démocratique. C’est justement ce que fait avec une extrême vigilance la Fédération nationale de la Libre Pensée. Pour cela, permettez-moi encore de vous remercier très sincèrement.

Très bon congrès à tous et à très bientôt j’en sûr pour continuer à affirmer encore et toujours la nécessaire action laïque partout et pour tous.

Je vous remercie.