Résolution Droit et Laïcité

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Défendre la laïcité  comme garantie des libertés

La loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Eglises et de l’Etat garantit à tous la liberté de conscience qui constitue la clé de voûte des libertés publiques et individuelles conquises à partir de 1880 : liberté de réunion, liberté de la presse, droit à l’instruction, liberté syndicale, liberté des funérailles, liberté d’association. Elle achève pour l’essentiel le processus d’émancipation politique des individus, initié par la Révolution française et interrompu par l’action conjointe des différentes formes de césarisme et de restauration monarchique. La liberté de conscience est un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, actuellement remis en cause.

A l’appui de l’affirmation d’une pseudo-identité nationale qui prend souvent une coloration xénophobe, plus ou moins ouvertement assumée, de la droite à la gauche de l’échiquier politique institutionnel, notamment dans le sillage d’un catholicisme de combat qui a dernièrement donné de la voix lors des manifestations contre le projet de loi autorisant le mariage entre des personnes du même sexe, s’amplifie la politique de reconquête du domaine public par les signes et emblèmes religieux du christianisme, que la loi du 9 décembre 1905 a prohibés pour tous les cultes afin de garantir la liberté de conscience de chacun.

Parallèlement, en violation de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, qui dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi », se développe une offensive tendant à restreindre celle des fidèles du culte musulman : possibilité d’une interdiction de manifester son appartenance religieuse dans les entreprises, désormais rendue possible par l’article L. 1321-2-1 du Code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016 ; demande d’interdiction du port du foulard par les femmes fréquentant, en qualité d’usager, les services publics ; contestation de la présence de mères d’élèves revêtues d’un foulard lors des sorties scolaires ; mise en cause au détriment des libertés universitaires des étudiantes arborant celui-ci ou ayant même seulement choisi de porter une robe longue ; contestation du port de certains vêtements de bain sur les plages.

Poursuivre le combat contre la présence de signes et emblèmes religieux sur le domaine et dans les édifices publics

Le combat mené contre la réappropriation du domaine public par les signes et emblèmes religieux constitue donc l’un des volets importants de la défense de la séparation des Eglises et de l’Etat. Il prend différentes formes selon les circonstances. Quand celles-ci le permettent, et après une évaluation préalable des chances de succès, la saisine du juge administratif participe de ce combat. Sur ce terrain et sous ces conditions, la Libre Pensée a accumulé dans les années récentes des victoires que d’aucuns s’emploient parfois à vouloir vêtir des oripeaux de la défaite en dénaturant le sens des décisions rendues par le juge en faveur du respect de la liberté de conscience. La présence de statues représentant des signes ou emblèmes religieux sur le domaine public et l’installation de crèches de la nativité dans les édifices publics sont les deux aspects principaux de ce combat.

Le maire de la commune de Publier (Haute-Savoie) avait entrepris de faire acquérir par cette collectivité une Vierge pour l’installer sur un promontoire dominant le lac Léman. A la suite des protestations d’une partie de la population locale et de la Libre Pensée, il avait consenti à la céder pour son prix d’achat initial à une association de bigots. Cependant, ce premier recul n’effaçait pas l’illégalité de sa présence sur le domaine public, en un endroit de surcroît très fréquenté par les personnes visitant les rives du lac ou allant s’abreuver à une source. En dépit de l’annulation par le juge administratif de sa décision implicite de rejet de la demande de déplacement de la statue hors du domaine public, présentée par plusieurs citoyens, le maire a refusé d’exécuter le jugement rendu contre lui. Il a fallu saisir le juge de l’exécution pour le contraindre, sous peine d’une astreinte journalière mise à la charge de la commune, à procéder à l’enlèvement effectif de la Vierge du Léman. Il a finalement cédé.

De la même façon, e projet d’installer la « Vierge des Granitiers » sur la place publique de la commune de Brusvily (Côtes d’Armor), a échoué suite à l’intervention de l’autorité préfectorale sollicitée par la fédération départementale de la Libre Pensée.

A Ploërmel, là où l’Eglise catholique monopolise l’enseignement, notamment secondaire, un ancien maire avait fait ériger sur le domaine public, en 2006, une immense statue en bronze représentant le pape Jean-Paul II, surmontée d’une énorme croix romaine, dont un sculpteur russe avait fait don à la commune. Mal engagée par un collectif local, la première saisine du juge administratif s’était soldée par un fiasco juridique. Ultérieurement, la Libre Pensée avait demandé et obtenu du juge administratif l’annulation de la délibération par laquelle le département du Morbihan avait consenti une subvention de 4 500 € pour aider la commune à financer le coût de construction du socle supportant la statue et la croix. Pour autant, la maire socialiste élue en 2008, davantage nourrie de la Doctrine sociale de l’Eglise que des œuvres de Jean Jaurès, a refusé de retirer la statue et la croix du domaine public, bien qu’elle ait profité de la campagne menée localement contre la présence sur celui-ci de ce vaste emblème religieux pour se faire élire dans ce bastion de droite. Dans le dernier état du dossier, la Libre Pensée a obtenu l’annulation de son refus pour les motifs suivants : « [] il doit être considéré que la maire de Ploërmel, par le refus qu’elle a opposé aux demandes qui lui étaient faites, a méconnu les dispositions précitées de la Constitution du 4 octobre 1958 et de la loi du 9 décembre 1905, à la stricte application desquelles la protection juridique qui s’attache au respect de l’œuvre de l’artiste et au droit moral de l’auteur ne saurait faire obstacle ; que les décisions de refus litigieuses ne peuvent, par suite, qu’être annulées ; ».

Ces décisions contraignent l’administration à se montrer moins timide que par le passé pour faire respecter la loi du 9 décembre 1905. A l’instar de celui de Ploërmel, le maire de Brusvily (Côtes d’Armor) a entendu installer sur le parvis de l’église une statue de la Vierge pesant trois tonnes, Notre-Dame-des-granitiers. Or, l’emplacement choisi, vérification faite auprès des services du cadastre, dépend du domaine public communal. A la demande de la Libre Pensée, le sous-préfet de Dinan a convaincu le maire d’abandonner ce projet, dont la réalisation aurait constitué une violation de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.

Une période de confusion avait résulté des décisions en sens contraire des cours administratives d’appel de Paris et de Nantes qui avaient fait droit, la première, à la demande de la Libre Pensée, rejetée en première instance, d’annuler la décision du maire de Melun d’installer une crèche de Noël dans les locaux de l’Hôtel de Ville, l’autre, à l’appel par lequel le Président du Conseil général avait contesté le jugement du tribunal administratif de Nantes ayant annulé sa décision de placer le même emblème religieux dans les locaux du département de la Vendée. Par deux arrêts du 9 décembre 2016, le Conseil d’Etat y a mis fin. Sur le fondement des articles 1er de la Constitution et 1er, 2 et 28 de la loi du 9 décembre 1905, il a considéré que les crèches de la nativité n’ont pas droit de cité, par principe, dans les bâtiments publics, confirmant l’arrêt de la CAA de Paris concernant la commune de Melun et cassant celui de la CAA de Nantes relatif au département de la Vendée, avec renvoi devant celle-ci de l’affaire pour jugement au fond. Toutefois, le Conseil d’Etat a également estimé que des crèches pouvaient avoir une autre signification et présenter « un caractère culturel, artistique ou festif », de nature à rendre légale leur présence dans les locaux des collectivités publiques. Sous l’entier contrôle du juge, il incombe alors à celles-ci de démontrer que quatre critères sont réunis : absence de nature prosélyte ; existence de circonstances locales particulières ; existence d’une tradition ; nature du lieu d’installation de la crèche.

Le juge administratif subordonné a déjà eu l’occasion d’appliquer cette nouvelle jurisprudence. Le tribunal administratif de Lille, à propos de la crèche installée dans les locaux de la mairie d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), a jugé « qu’il résulte des dispositions combinées de l’article 1er de la Constitution et des articles 2 à 5 et 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Eglises et de l’Etat précitées que, dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, le fait pour une personne publique de procéder à l’installation d’une crèche de Noël ne peut, en l’absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences qui découlent du principe de neutralité des personnes publiques ; » et « qu’il est constant que la décision attaquée porte installation d’une crèche dans le hall de l’hôtel de ville d’Hénin-Beaumont, siège de la municipalité ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que ladite crèche, composée de sujets sans valeur historique ou artistique particulière, ait revêtu le caractère d’une exposition d’œuvres d’art ; que, dès lors que lesdits sujets ne sont en rien liés à une tradition minière spécifique, la tenue simultanée d’une exposition dans le hall reconstituant la cité minière de Darcy ne permet pas de regarder l’installation de la crèche comme un prolongement de cette exposition ou même une manifestation culturelle distincte ; que si la commune a inscrit cette installation dans le calendrier des manifestations festives organisées par la municipalité pour la fin d’année, il n’est pas établi qu’elle s’enracine dans une tradition locale préexistante ou qu’elle puisse être considérée comme une extension du marché de Noël qui se tient à l’extérieur du bâtiment et sans proximité immédiate avec celui-ci ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner si cette installation présente un caractère ostentatoire ou prosélyte, M. X est fondé à soutenir que la mise en place de la crèche de Noël litigieuse a méconnu le principe de neutralité des personnes publiques et à demander l’annulation de la décision du 1er décembre 2015 portant installation de ladite crèche … ».

Des affaires similaires seront jugées d’ici la fin de l’année. Elles concernent notamment les crèches de la nativité installées dans les locaux des communes de Béziers, de Sorgues et de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Comme dans le cas des statues à caractère religieux, l’application des arrêts du Conseil d’Etat par les tribunaux administratifs et les Cours administratives d’appel fera à terme son office de régulation et aboutira probablement à la disparition des crèches de Noël des locaux de collectivités publiques.

L’offensive cléricale de reconquête prend aussi la forme d’une remise en cause de la laïcité des cimetières. On s’aperçoit ici que la revendication de « carrés musulmans » à l’égard de laquelle un exécutif très chrétien (gouvernement Fillon) a entrouvert une porte s’accompagne dans un nombre significatif de cas de tentatives de réinstaller des croix chrétiennes sur les entrées des cimetières. Une initiative a été bloquée sans contentieux à l’initiative de la Libre Pensée. Le Conseil d’État aura tranché sur d’autres au moment du congrès. Un numéro du bulletin « Droit et Laïcité » fera le point à l’automne pour alerter la vigilance des militants et des élus.

C’est pourquoi il importe que les Fédérations départementales de la Libre Pensée s’emploient à contester, lorsqu’elles existent, les délibérations prévoyant l’installation de signes et emblèmes religieux divers (statues, crèches de Noël, croix à l’entrée des cimetières, crucifix dans les locaux appartenant à des personnes morales de droit public, telles que les cantines scolaires, bornes installées sur le domaine public routier pour baliser le parcours d’un pèlerinage, etc.) ou, à défaut, à provoquer des décisions implicites ou explicites de rejet d’une demande de retrait de ceux-ci, aux fins de l’attaquer devant le juge administratif. Pour répondre à cet objectif, il importe :

1°– de coordonner nos actions au plan national ;

2°– de tenir un raisonnement juridique cohérent ;

3°– De reprogrammer des stages juridiques afin d’élargir le nombre de camarades compétents

Résolution votée à l’unanimité (0 contre, 0 abstention)