La Libre Pensée dans le combat pour le vote de la loi de 1905

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Le président de la Commission qui fait le projet de loi est Ferdinand Buisson, président de l’Association Nationale des Libres Penseurs. Le rapporteur est Aristide Briand, lui aussi éminent libre penseur. La position officielle de la Libre Pensée est décidée dans une assemblée, le 21 Mars 1905, réunie au siège du Grand Orient de France. Elle invite la Chambre, « à élaborer sans retard et sans interruption, une loi de séparation des Eglises et de l’Etat », selon des indications précises que Ferdinand Buisson déposera à la Chambre. Ferdinand Buisson explique : « Nous nous sommes battus, nous nous battons pour savoir qui de l’Eglise ou de la Révolution, en ce moment aura le dernier mot en France ».

Le bulletin officiel des Libres Penseurs publie la résolution de l’Association Nationale qui stipule : « Il ne faut pas constituer un régime exceptionnel ni en faveur des Eglises ni contre elles ». Cette prise de position est importante. En effet, un député du Var, Maurice Allard, dépose alors un contre-projet de loi qu’il résume lui-même ainsi : « je ne vous cache pas que mon contre-projet tend à déchristianiser le pays ».

Le fond de la question est simple ; il se résume en un choix : République laïque ou République athée ? La République laïque, c’est le respect des consciences. La République athée, c’est la persécution. Au cours de la discussion de l’article 25, Maurice Allard dépose un amendement pour interdire les processions religieuses, contre l’avis de l’Association Nationale des Libres Penseurs qui a adopté la résolution suivante :  « La sous-commission s’étant partagée, la question a été tranchée par la commission exécutive dans le sens de la suppression prohibitive des processions contenue dans l’article 25 du projet c’est-à-dire pour le maintien du droit actuel ».

Aristide Briand répond à Maurice Allard en ces termes :  « S’il fallait donner un nom au projet de Maurice Allard, je crois qu’on pourrait justement l’appeler un projet de suppression des Eglises par l’Etat. Une loi n’a jamais pu, heureusement, réussir à réduire, ni les individus, ni les groupements d’individus, encore moins leur pensée à l’impuissance. Une telle loi que se proposerait un tel but ne pourrait être qu’une loi de persécution et de tyrannie. Maurice Allard, dans sa hâte d’en finir avec la religion, se tourne vers l’Etat et l’appelle au secours de la Libre Pensée ; il lui demande de mettre l’Eglise dans l’impossibilité de se défendre ; il le somme de commettre au service de la Libre Pensée, la même faute qu’il a commise au service de l’Eglise et que nous n’avons jamais cessé, nous, Libres Penseurs, de lui reprocher. Ce n’est pas la conception de la Libre Pensée. Nous considérons qu’une saine conception du régime nouveau exclut toute possibilité d’inscrire, soit au budget de l’Etat, soit au budget du département ou de la commune, l’obligation pour les citoyens de participer sous la forme de l’impôt, à l’entretien du culte. Pour nous, républicains, la séparation c’est la disparition de la religion officielle, c’est la République rendue au sentiment de sa dignité et au respect de ses principes fondamentaux. Ils lui commandent de reprendre sa liberté, mais ils n’exigent pas que ce soit par un geste de persécution. Ce que veulent les Libres Penseurs, c’est que vous arrachiez à l’Eglise, le bouclier officiel derrière lequel elle peut s’abriter contre les efforts de la Pensée Libre ; ce qu’ils ont seulement le droit d’exiger, c’est que l’Etat les mette face à face avec l’Eglise pour lutter à armes égales pour pouvoir opposer enfin en combat loyal, la force de la Raison aux brutalités du dogme. Je termine, si vous voulez que la Raison Libre ait un abri, construisez-le lui ; mais n’essayez pas de la faire coucher dans le lit de l’Eglise. Il n’a pas été fait pour elle ».

Les Libres Penseurs étaient pour la loi de 1905. Ils l’ont tous votée, même si certaines dispositions de l’Article 2 ne leurs convenaient pas, mais cet article ne changeait pas la logique de séparation de la loi. « La Lanterne », journal Républicain anticlérical, proche de la Libre Pensée, écrira après le vote de la loi :  « Désormais la religion n’a plus aucun caractère officiel. La République ne couvre plus l’exploitation scandaleuse de la crédulité humaine, du fanatisme et de la superstition ; elle n’appointe plus les escrocs en soutane ».

La Ligue des Droits de l’Homme écrira à « L’Humanité » de Jaurès pour : « saluer avec joie ce mémorable événement ». Jean Jaurès qui votera la loi, et contre le projet de Maurice Allard, s’écriera :

« La loi de séparation c’est la marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison ».

Christian Eyschen