LORULOT André (Roulot André, Georges, dit) (1885 – 1963)

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Né le 23 octobre 1885 à Paris, VIIème arrondissement ; mort le 11 mars 1963, villa des Fleurs, à Herblay (Seine-et-Oise) ; propagandiste anarchiste individualiste avant 1914. Libre penseur, ensuite.

Anarchiste individualiste

André Roulot était d’origine modeste. Son père, ouvrier lithographe à l’imprimerie Haviland, mourut de saturnisme. Sa mère était ouvrière modiste. De constitution assez chétive, André Roulot fréquenta les écoles de son arrondissement, avenue Bosquet puis avenue de la Motte-Picquet. Très travailleur, il montra de bonnes aptitudes pour l’étude, mais c’est de lecture qu’il était avant tout passionné. Il obtint son certificat d’études primaires.

A sa sortie de l’école, à quatorze ans, il débuta chez un soldeur de la rue de Turbigo, passa chez un horloger rue des Archives, puis, en 1900, devint commis aux écritures à l’imprimerie Jousset.

Par réaction sans doute au conformisme d’une enfance trop choyée par une mère toujours inquiète de la santé de son fils, André Roulot, devenu jeune homme, adopta une attitude frondeuse. Le 1er juin 1905, il fut emprisonné pendant huit jours pour avoir sifflé au passage du roi d’Espagne ; il fut alors renvoyé de l’imprimerie où il travaillait et devint comptable à la maison Hachette. Cette même année, ayant fait la connaissance de Libertad, il fondait avec lui L’Anarchie dont le 1er numéro est daté 13 avril 1905.

Ajourné en 1906, il fut exempté de service en février 1907 pour «affection cardiaque et surdité».

La vie d’André Roulot, devenu Lorulot, allait désormais être consacrée, jusqu’en 1914, à la propagande anarchiste individualiste.

En juillet 1906, il quitta la maison Hachette. Avec Ernest Girault et quelques autres, il avait fondé, quelques mois auparavant, une colonie anarchiste communiste à Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise). Une de ses premières compagnes, Émilie Lamotte, participa également à la vie de la colonie tout en assistant Lorulot dans ses conférences à travers le pays. L’expérience dura deux années environ jusqu’à l’automne de 1908 : des dissensions entre les participants y mirent fin.

En quittant la maison Hachette, Lorulot avait définitivement rompu avec un certain mode de vie. Désormais et jusqu’à sa mort, il allait être propagandiste et c’est avec Girault, au cours de tournées de conférences, qu’il se familiarisa avec le «métier». En avril 1907, Lorulot se rendit dans le Nord. Mais le 2 mai, il était arrêté à Denain et inculpé de «provocation au meurtre» ; il fut condamné, le 9 août, par la cour d’assises de Douai, à un an de prison et 100 F d’amende. En raison de la publication d’une brochure l’Idole Patrie et ses conséquences, dont il avait remis le manuscrit avant son arrestation à Broutchoux et que celui-ci publia aussitôt, il fut à nouveau condamné le 16 novembre à 15 mois de prison et 16 F d’amende pour «provocation de militaires à la désobéissance». Il y eut confusion des peines et Lorulot fut libéré conditionnellement de Clairvaux où il était tombé malade, le 7 février suivant.

Libertad étant mort le 12 novembre 1908, Lorulot prit la «direction» de l’Anarchie (19 septembre 1909-13 juillet 1911) tout en poursuivant ses conférences en France, voire en Algérie et en Suisse. En juillet 1910, l’imprimerie du journal s’installa à Romainville.

Anarchiste individualiste, Lorulot professait les opinions en cours dans ce milieu : mépris pour les syndicats, simples «boîtes à cotisations», hostilité aux écoles laïques, pépinières de soldats fusilleurs d’ouvriers, les instituteurs étant considérés comme les «flics intellectuels de la classe capitaliste» (L’Anarchie, 2 décembre 1909), négation de la division de la société en classes, affirmation de l’individu et de la légitimité de son développement «intégral».

En juillet 1911, Lorulot abandonnait la direction de L’Anarchie, tout en poursuivant sa collaboration, et fondait peu après L’idée Libre (n°1, le 1er décembre). Quelques jours plus tard, le 20 décembre, éclatait l’affaire des «bandits tragiques», l’affaire Bonnot, liée au milieu de l’Anarchie à Romainville.
Lorulot, qui avait rompu, sinon avec le journal, du moins avec ceux qui y fréquentaient, ne fut pas condamné lors de l’épilogue de l’affaire devant la cour d’assises de la Seine en février 1913. Il n’en avait pas moins exalté, en 1906, les actes illégaux «intéressants lorsqu’ils peuvent être faits sérieusement avec des risques minimes et des profits satisfaisants» (L’Anarchie, 25 janvier 1906, souligné par lui). Aussi, et bien qu’il ait estimé que sa responsabilité n’était pas engagé, put-il se demander si lui et ses amis n’avaient pas «quelque responsabilité indirecte, involontaire, dans ces hécatombes» (L’Anarchie, 24 avril 1913). Quoi qu’il en soit, une âpre controverse l’opposa alors à Victor Serge qui proféra contre lui de lourdes accusations. Les pièces du dossier ont été données dans le Mouvement social, n°47, op. cit., on s’y reportera si besoin.

Dans les années d’après guerre, Lorulot délaissa les milieux anarchistes, et devint le propagandiste attitré de la Libre Pensée.

Depuis 1912, il vivait avec Jeanne Bélardi, née Giorgis Victorine, Jeanne, ancienne maîtresse de Carouy dont elle avait eut une fille Pierrette. Lorsqu’il mourut, il était secrétaire général de la Fédération nationale des libres penseurs de France et vice-président de l’Union mondiale des libres penseurs. Lorulot fut incinéré le 16 mars 1963 au columbarium du Père-Lachaise.

Libre penseur

André Lorulot, qui avait été avant 1914 un propagandiste anarchiste individualiste, fut après la Première Guerre mondiale un des spécialistes de la propagande anticléricale et un personnage clef de la Libre Pensée.
En janvier 1915, Lorulot fut arrêté et impliqué avec Léon Prouvost, les époux Donnadieu et Émile Hureau (le véritable auteur du tract intitulé «J’accuse») pour «fabrication de fausse monnaie, injures et diffamations envers l’Armée et propagation de fausses nouvelles». Il fut alors emprisonné au fort Saint-Nicolas à Marseille, puis à Lyon, enfin au Cherche-Midi et à la Santé. ll obtint un non-lieu le 27 juillet 1915 assorti d’une interdiction de séjour à Paris de quatre ans. Ces jours passés en prison lui inspirèrent son livre Méditations et souvenirs d’un prisonnier.
Réfugié à Lyon puis à Saint-Étienne, il gagna sa vie comme vendeur sur les marchés. ll reprit, en juillet 1917, la publication de L’idée Libre (2e série) dont les premiers numéros (qu’il composa entièrement) furent tirés sur une petite presse à épreuve, dans la cuisine de Madeleine Bouchet, veuve de son ami Léon Bouchet, mort en 1916. «Il fallait quinze jours pour tirer un numéro. Un travail infernal et interminable» (L’idée Libre, n° de juin 1923).

Lorulot occupa une place à part parmi les anarchistes individualistes : partisan de la Révolution russe, il en vint à défendre l’idée de la nécessité «d’une certaine dictature», conception qu’il ne renia pas même après l’insurrection de Cronstadt.

En 1920, il fut l’un des principaux animateurs du Réveil de l’Esclavage dont le véritable inspirateur était Manuel Delvaldès, libertaire, objecteur de conscience, réfugié en Angleterre pendant la guerre.
Mais ce fut surtout son collaborateur et ami Léon Prouvost qui l’orienta vers la propagande antireligieuse dont il se fit, au fil des années, le spécialiste. Désigné comme un de ses héritiers, il reprit en juillet 1921 la publication du journal l’Antireligieux qui devint en 1925 l’Action antireligieuse et en 1928 la Libre pensée. Malheureusement les autres héritiers de Prouvost firent annuler son testament par un tribunal de Draguignan de sorte que Lorulot n’obtint rien du legs de son ami, ni argent, ni bibliothèque et manuscrits qu’il avait laissés et qui furent probablement perdus à tout jamais.
En août 1921, Lorulot fut nommé au Comité directeur et délégué à la propagande de la Fédération nationale de la Libre pensée dont il devint rapidement un des orateurs les plus prisés. Avec une ardeur infatigable, il ne cessa dès lors de parcourir tous les départements français sans parler de l’Afrique du Nord, de la Belgique, de la Suisse (dont il fut expulsé en 1930 et interdit de séjour l’année suivante). Il organisa des conférences contradictoires (parfois houleuses), affrontant les grands orateurs du mouvement catholique comme l’abbé Viollet, le chanoine Degranges, le professeur Melandre etc… et suscita souvent des attaques violentes de ses adversaires. Ce furent elles qui l’amenèrent à fonder, en novembre 1930, le mensuel satirique la Calotte, illustré par Armangeol (de son vrai nom Armand Mougeol, nancéen, grand mutilé de la Première Guerre mondiale, rallié à la cause pacifiste et anticléricale).

Parallèlement il se détacha peu à peu des «chapelles» anarchistes qui lui reprochaient sa trop grande admiration pour la révolution bolchevique. En 1922, la publication de son roman Chez les loups ne fit qu’accentuer son détachement. Sa revue, l’Idée Libre refléta particulièrement cette évolution, son caractère éducationiste disparut peu à peu pour s’orienter vers la propagande rationaliste. Cependant Lorulot oscilla toujours entre l’anarchisme et le socialisme. C’est ainsi qu’il collabora dans les années trente à l’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure et qu’il fit encore, en 1955, des conférences sous l’égide du Monde libertaire.
Sous l’occupation, Lorulot ne fut pas inquiété bien qu’il ait, en 1939, transformé momentanément La Calotte en un organe de combat : la Vague avec pour sous titre «Contre le nazisme, contre l’antisémitisme et contre toutes les tyrannies». Il publia même, en 1941, avec le visa de la censure une brochure intitulée Les Jésuites. Selon Jean Bossu, Lorulot aurait édité des ouvrages antidatés pour échapper à la censure. ll fit également paraître une revue trimestrielle Faits, gestes et portraits (n° 78, février 1941) en remplacement de sa revue la Documentation antireligieuse qui avait été suspendue en 1939. Il publia enfin de nombreuses brochures dans la série des Publications (mensuelles) de l’Idée libre.

En 1945, il reprit au grand jour ses activités antireligieuses, devint secrétaire général, puis au congrès de Lyon en août 1958, président de la Fédération nationale des Libres penseurs de France et de la communauté. ll fut également vice-président de l’Union mondiale des Libres penseurs.

Lorulot mourut brusquement en mars 1963. Ses obsèques eurent lieu au columbarium du Père Lachaise en présence d’une foule considérable de militants. Des discours furent prononcés par Marguerite Perceau en tant qu’amie et au nom du groupe «Chevalier de la Barre», par Lemoine pour l’obédience maçonnique mixte du Droit humain, par le Dr Dumont représentant le Grand Orient de France (bien que Lorulot n’ait jamais appartenu à la franc-maçonnerie), par Maurice Joyeux pour la Fédération anarchiste, par Jean Cotereau pour la Libre Pensée.

Lorulot avait publié aux éditions de l’Idée Libre des milliers d’articles, rédigé quantité de brochures diverses et édité à profusion des œuvres de libres penseurs. Il avait sans cesse lancé des collections nouvelles.

René Bianco