Deux croix à Poitiers

Pour nous suivre

L’une pesait 200kg et illustrait les auspices sous lesquels travaillaient les élèves du lycée jésuite de Poitiers, construit au 19ème siècle (bien avant 1905, donc). Le bâtiment, avant-hier religieux (propriété diocésaine), hier propriété  de la ville de Poitiers, a été rétrocédé à l’État pour que puisse y être installé la Cité Judiciaire (18 000 m²) nécessaire au regroupement, puis au fonctionnement des tribunaux  du chef-lieu de la Vienne.

Evidemment,  un crucifix monumental couronnait  l’ensemble immobilier et il n’était  pas question  que la justice de la République soit rendue  sous l’égide d’une confession qui lui est, comme toutes les autres, étrangère.

C’est d’ailleurs ce que la Fédération de la Vienne de la Libre Pensée  écrivait au député-maire de Poitiers en juillet 2016, dans un courrier  qui appelait à la réflexion.

La croix, mais pas la bannière

Cette réflexion a eu lieu  et après  avoir recueilli les avis des uns et des autres, le Ministère  de la Justice a décidé de faire déposer la croix à l’occasion des travaux, ce qui fut fait  proprement en juillet 2017. Et avec respect : la croix  devait être rendue  à l’Organisme de Gestion  de l’Enseignement Catholique (OGEC), seule  entité pouvant en avoir un usage. Voilà du moins un avantage en nature que nous ne contesterons pas !

Les « identitaires » de Poitiers sont plutôt remuants, mais leurs  synapses sont un peu lentes, car  c’est seulement après  l’arrêt du Conseil d’État sur  la croix du monument de Jean-Paul II à Ploërmel qu’ils ont  réagi en faisant observer  avec acrimonie  que cette croix était antérieure à  la loi du 9 décembre 1905 et  à son article 28 .

La deuxième croix, modeste mais très visible,  est celle  du portail  du Cimetière de Prinçay  à 50 km au nord de Poitiers, où  un citoyen, dont le père  était inhumé là,  contestait devant la justice administrative le refus du maire de  faire déposer la croix installée  sur le portail d’entrée à l’occasion   de l’installation d’un nouveau portail.  Dans ce cas, la présence d’une croix antérieure à 1905  était rien moins qu’établie. Et la position des juges administratifs rien moins qu’assurée. Devant tant d’incertitudes le Tribunal administratif  décidait de  demander l’avis du Conseil d’État ; celui-ci rappelait les principes  dans un avis rendu le 28 juillet 2017 (analysé dans La Raison n° 625 – Novembre 2017). La nouvelle audience du Tribunal  administratif de Poitiers était  fixée  le 9 novembre 2017.  Le rapporteur public  s’est semble-t-il contenté des assurances données par le défendeur  et a conclu au rejet de la requête, donc au maintien de la croix. L’intéressant avis du Conseil d’État  a-t-il été  suffisamment analysé ? En tout état de cause le tribunal l’a suivi. Il appartiendra  à notre concitoyen auteur de la requête d’analyser le jugement rendu et ses motivations avec l’aide de  la Fédération Nationale de la Libre Pensée et de sa commission « Droit et Laïcité ». Rappelons cependant déjà que le Tribunal Administratif de Poitiers a semblé ignorer le fait que la loi de laïcisation des cimetières, qui en a imposé la neutralité date  du 14 novembre 1881 et que la loi du 9 décembre 1905 n’a fait, sur ce point, que préciser les choses.

La laïcité, cela doit être aussi la clarté

Quoi qu’il en soit, ces deux décisions l’une contentieuse et l’autre non, permettront de préciser le contour  de ce  qui devrait être, au-delà de la loi,  mais bien sûr dans son respect, les bonnes pratiques des Pouvoirs publics.

L’article  28 de la loi du 9 décembre 1905 n’impose nullement de maintenir  les signes religieux sur les cimetières, les bâtiments et  dans les emplacements publics : ce n’est pas son objet. Ils peuvent être  déposés, notamment à l’occasion  d’une rénovation, s’il n’y a pas de raison particulière (patrimoniale, par exemple) de les maintenir.  Il en va autrement des édifices cultuels  mis à la disposition d’un culte  de façon « exclusive et perpétuelle » et pour lesquels les associations cultuelles sont seules juges des aménagements.

C’est la raison pour laquelle l’opération  d’enlèvement décidée à  la future Cité judiciaire de Poitiers par le maître de l’ouvrage est parfaitement conforme à la lettre et à l’esprit de la loi de 1905. Comme serait parfaitement conforme à la loi et à l’esprit de la loi de Séparation des travaux de rénovation d’un cimetière faisant disparaître du portail ou des murs tous symboles religieux, et ce quelle que soit la date de leur première apposition.

Poitiers, le 4 décembre 2017