Audition à l’Observatoire de la Laïcité La Fédération nationale de la Libre Pensée a été auditionnée, le 6 février 2018, par l’Observatoire de la Laïcité

Pour nous suivre

La délégation de la Libre Pensée était composée de Sylvie Midavaine, Trésorière de la FNLP et de Christian Eyschen, vice-Président. Voici le contenu des propos de la Libre Pensée :

Tout d’abord nous remercions une nouvelle fois l’Observatoire de la laïcité de nous auditionner. L’année dernière, c’était au mois de janvier et j’avais émis le vœu de vous revoir. Donc le vœu a été accompli, on peut s’en féliciter. Pour les préoccupations de la Libre Pensé aujourd’hui en matière de laïcité, si un jour les historiens se penchent sur la période, ils pourraient peut-être appeler cela la « période des paradoxes ». Parce qu’il y a un mélange de plein d’événements où on essaie d’imposer en fait un modèle unique. Je m’explique : l’année dernière nous avons eu à débattre de la loi Travail et du principe d’extension de la laïcité dans les entreprises privées.  Notre position était celle d’un certain nombre de personnes, c’était que les entreprises privées ne relèvent pas du principe de laïcité et que c’est un phénomène qui relève des institutions, de l’intérêt général et des services publics. Mais on a vu que se développe une volonté de faire taire les opinions à la fois politique, religieuse, de différents types dans un certain nombre d’endroits. C’est un paradoxe, puisque on privatise de plus en plus le service public, on veut en faire quelque chose qui se rapproche des principes du privé et du libéralisme, et en même temps, on essaie d’étendre le principe de neutralité des institutions et de la laïcité à l’ensemble de la société et notamment aux entreprises privées, mais plus largement à la société.

La période des paradoxes

L’autre paradoxe que nous voyons, c’est que, nous avons été consternés de voir que le Président de l’Assemblée nationale modifie le règlement de cette Assemblée nationale pour, en fait, prohiber toute expression d’opinions politique, religieuse ou autre. Il nous semblait que, s’il y a un endroit où devaient et où pouvaient s’exprimer des opinions quelles qu’elles soient et de la manière qu’elles soient et qu’elles le veuillent, soit par des propos, soit par des affichages, soit par des tenues, c’est bien à l’Assemblée nationale. Et là, on essaie d’imposer un système où à l’Assemblée nationale, il y aurait un principe de rigueur qui serait la retenue et la non-expression d’opinions. Pour vous donner un exemple : il y a des années, quand Madame Christine Boutin s’était illustrée en brandissant la Bible dans l’Assemblée nationale, nous, la Libre Pensée, nous n’avions pas protesté parce que nous considérions que c’était une opinion, certes ce n’est pas la nôtre, mais que si, par exemple un député, qui aurait eu plus notre faveur, avait brandi le Capital de Karl Marx, il avait le droit. Et donc s’il avait le droit de brandir le Capital de Marx, Madame Boutin avait le droit de brandir la Bible. Là cela devient étonnamment ridicule, cette situation parce que l’on veut réglementer, régimenter les opinions, les expressions. Il n’y a plus de respect du principe sphère publique/sphère privée, le privé/le public, le service public et l’entreprise privée qui a comme but de faire du profit, tout est mélangé et on applique les règles de neutralité partout. Cela nous semble être un paradoxe dans la situation. Parce que dans un tel contexte, quid de la liberté d’opinion, quid des libertés démocratiques, quid des libertés d’expression, d’association, d’organisation ? Cela nous pose un problème. C’est pour cela que nous disons que c’est un peu la période des paradoxes.

Un deuxième aspect que nous voudrions souligner, pour ne pas être trop long, c’est que là aussi il y a, nous semble-t-il, une inversion des choses. La laïcité a été conçue, du point de vue scolaire, du point de vue institutionnel, par les lois de Jules Ferry, Goblet et par la loi de 1905 pour protéger le service public et la sphère publique de l’ingérence des religions. Parce que nous connaissions, du moins les anciens connaissaient l’utilisation de la religion dans le domaine politique, l’influence et la pression du religieux sur le politique. Aujourd’hui, nous assistons à une situation où c’est exactement l’inverse, en tous cas au moins en apparence. C’est le politique qui instrumentalise le religieux. Bien évidemment le religieux se laisse faire par une douce violence et « à l’insu de son plein gré », parce que cela l’intéresse.

Un cléricalisme inversé

Mais, par exemple, l’affaire des crèches dans les bâtiments de la République, l’affaire de Ploërmel, l’affaire des croix dans les cimetières, ce n’est pas au point de départ, une revendication affirmée et affichée des religions, c’est en fait une tentative d’utilisation du religieux par les politiques. C’est du cléricalisme inversé. Mais c‘est du cléricalisme quand même, puisque c‘est un mélange de genre entre le politique et le religieux. Et tout cela pour des fins de bas électoralisme, pour essayer de séduire un électorat qui peut-être même n’existe pas en tant que tel. Et qui relève plus du fantasme qu’autre chose. Notre préoccupation aujourd’hui c’est ce que font certains Elus politiques, je ne dis pas tous les Elus, pour essayer d’utiliser le religieux à des fins partisanes. On voit même des provocations assez extraordinaires : comme l’affaire de Rugy au Parlement sans que cela ne soulève énormément de passions et de débats dans les médias. Autre exemple : Monsieur Laurent Wauquiez fait une crèche à l’Hôtel de région à Lyon, le Tribunal administratif le désavoue et le lui interdit. Que fait-il ? Il en fait cinq l’année suivante. Comme si la pluralité des expressions des opinions religieuses dissolvait le fait que c’est une atteinte au principe de laïcité. Ce que nous souhaiterions, c’est que l’Observatoire de la laïcité dans son rapport, dans son questionnement, dans son travail rappelle un peu ce qu’avait fait, par exemple, l’Association des maires de France à propos des crèches dans les bâtiments des mairies. Au point de départ, il semblerait qu’il y ait même besoin d’un cours de formation continue pour les Elus pour leur expliquer ce qu’est la laïcité et ce que n’est pas la laïcité. Pour autant ils ne sont pas avares sur les chaines de télévision et de radio pour dire ce qu’est la laïcité pour eux. Pour la plupart d’entre eux c’est assez unilatéral.

Nous pensons qu’il y a une sensibilisation à faire auprès des Elus sur ces questions-là. De la même manière nous pensons qu’il ne serait peut-être pas inintéressant de suggérer la Chaîne parlementaire à  l’Assemblée nationale et au Sénat, des efforts didactiques et pédagogiques pour expliquer ce qu’est la laïcité et ce qu’elle n’est pas.

Autre aspect, nous sommes toujours autant préoccupés, parce que cela ne diminue pas, sur une campagne de systématisation de nos concitoyens qui sont présupposés arabo-musulmans. Et on voit bien les fractures qu’il y a, les campagnes médiatiques qui se mènent. Par exemple, nous sommes assez heurtés quand on présente un ancien Premier ministre, il n’est sûrement pas utile de rappeler le nom, parler de laïcité que lorsque cela concerne les musulmans et déclarer au Figaro, par exemple, que « s’il y avait un problème de laïcité avec l’Eglise catholique en France, cela se saurait ». Cela  se sait d’ailleurs (rires), mais lui apparemment ne le sait pas. On a connu la laïcité plurielle, la laïcité nouvelle, etc. mais là, c’est la laïcité à géométrie variable selon les populations auxquelles cela est appliqué. Je sais que l’Observatoire à chaque fois explique ses positions là-dessus, mais je crois qu’il y a quand même un vrai problème.

La question des prières de rue

Notamment, nous avons été amenés à prendre position sur l’affaire des prières de rue à Clichy. Parce que là on atteint le summum de la mauvaise foi. Nous nous sommes expliqués sur la responsabilité du maire, qui est dans une logique actuellement de supprimer tout ce qui existait auparavant, parce que s’il n’y avait que les locaux des musulmans, c’est déjà ennuyeux pour eux. On peut dire que charité bien ordonnée commence par soi-même, mais c’est la même politique qui est menée vis-à-vis des syndicats, la suppression des locaux pour les unions locales de la CGT  et de Force Ouvrière à Clichy, donc il y a une volonté de faire «tabula rasa » d’un certain nombre de choses. Nous souhaiterions bien que soit réaffirmé que la loi de 1905 est une loi libérale, de libertés et non d’interdits et qu’il n’est pas interdit en France de faire des prières dans la rue. C’est réglementé et encadré par la loi. Cela s’apparente au lot commun des manifestations de rue, donc il faut en règle générale déposer une demande d’autorisation. Cela peut être interdit pour trouble à l’ordre public. Mais il est curieux que ceux qui dénoncent les prières de rue musulmanes à Clichy ne disent rien des prières de rue de Civitas et de SOS tout-petits devant les hôpitaux qui pratiquent l’IVG pour empêcher l’action du Planning familial. Apparemment pour un certain nombre de gens, il y a prières de rue et il y a prières de rue. Là aussi c’est une conception à géométrie variable.

Autre aspect pour ne pas être trop long et permettre le débat, nous sommes aujourd’hui entrés dans une période de modification, de révision des lois sur la bioéthique. Il y a tout un aspect dans ces histoires-là qui concernent les libertés en générales et la laïcité en particulier. Nous avons demandé, la Fédération nationale de la Libre Pensée à être reçus par le Comité consultatif national d’éthique qui nous a répondu, il va nous recevoir, il faut qu’on lui formule une demande précise mais cela va être fait. Mais aussi par le Conseil économique, social et environnemental. Nous aimerions que l’Observatoire nous indique quel va être le rôle du CESE. Autant pour le Comité national consultatif d’éthique, nous comprenons bien son rôle dans le processus de révision des lois bioéthiques, mais nous n’avons réussi à trouver exactement le rôle que va occuper le CESE.

Les revendications de la Libre Pensée en matière de révision des lois bioéthiques

Nous avons quatre revendications dans le champ de nos préoccupations dans la révision des lois bioéthiques : la légalisation de l’extension du recours à la PMA, pour tous les couples quelle que soit la composition de ces couples ; corollairement à cela, nous sommes pour l’autorisation, la légalisation et l’encadrement de la Gestation pour Autrui, parce que nous sommes favorables à cela, d’autant que juridiquement la situation va devenir vite intenable, si ce n’est qu’elle l’est déjà : comment peut-on autoriser les conséquences de la GPA à l’étranger et interdire la GPA en France ? Nous sommes pour la législation et l’encadrement de la GPA. Nous sommes pour une réduction des contraintes sur la recherche sur l’embryon et sur les cellules embryonnaires. Il y a eu une première révision, mais en fait cela n’a rien changé sur le fond sur la capacité qu’ont les scientifiques et sur la possibilité de faire des études là-dessus.

Dernier point, qui pour nous est la reconnaissance d’un droit de l’Homme : on ne choisit pas de naître, on choisit plus ou moins de vivre et comment on vit, mais on devrait pouvoir choisir de mourir et des conditions dans lesquelles on doit mourir. Nous serions, nous, dans le cadre de la révision des lois bioéthiques, pour une reconnaissance d’une aide active à mourir. Pas simplement d’ailleurs sur une dépénalisation de ce que l’on appelle l’euthanasie. Nous sommes en train de faire une étude qui est assez intéressante historiquement qui montre que, quand l’IVG était pénalisée, il y avait moins de condamnations que quand elle a été correctionnalisée en 1923. Le taux de relaxe par les cours pénales jusqu’en 1923 était de l’ordre de 70%. Et c’est le gouvernement avec la fameuse loi de 1920 et la loi de 1923 qui a correctionnalisé l’IVG et le taux de relaxe est tombé à 19%. C’est assez peu connu. Ce qui veut dire que la dépénalisation ne règle pas tout. Je ne parle pas bien sûr du régime de Vichy et de la loi à ce sujet prise alors, mais nous sommes nous, pas seulement pour la dépénalisation de l’aide active à mourir, mais pour sa reconnaissance, bien sûr son encadrement, cela va sans dire.

Voilà le plus rapidement possible ce que nous souhaitions dire.

Pour connaître les réponses de l’Observatoire de la Laïcité, les réponses de la Libre Pensée aux questions posées, il suffira de se reporter au Rapport qu’établira prochainement l’Observatoire.

La Libre Pensée aussi souhaité que l’Observatoire de la laïcité étudie la question du Bouddhisme en France, où cette religion de près d’un million de fidèles, s’est totalement intégrée dans la loi de 1905 et les associations cultuelles et a fait construire des bâtiments religieux (pagodes) sans aucun  recours à des fonds publics. Il y aurait là, sans doute, des enseignements à reprendre dans le débat sur l’Islam.

En dernier lieu, nous avons aussi saisi l’Observatoire de la laïcité du projet des Eglises chrétiennes d’Alsace-Moselle de rendre obligatoire la participation des élèves à l’enseignement des religions, alors que cette participation s’effondre à tous les niveaux d’instruction. L’Observatoire va étudier cette question.