La Lire Pensée reçoit Serge Bianchi, historien, spécialiste de la Révolution française

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11 mars 2018

Émission animée par David Gozlan, secrétaire général de la FNLP

David Gozlan ; Bonjour Serge. Nous allons aujourd’hui essayer de percevoir avec lui quelles sont les passerelles entre la Révolution française et la Commune de Paris, cette période révolutionnaire qui dura un peu plus de deux mois, du 18 mars 1871 à la « Semaine sanglante » du 21 au 28 mai 1871.
Pour commencer, Serge, quand on parcourt le journal officiel de la Commune de Paris, la référence à la Révolution française est omniprésente. Quels sont pour toi les principaux héritages de la Révolution française ont repris les citoyens de la Commune ?

Serge Bianchi : De nombreuses références à la Révolution française jalonnent l’histoire de la Commune de Paris, même si elles relèvent parfois du symbolique, trois générations séparant les deux événements, l’autre référence étant la révolution de 1848, entre février et juin.
Les références essentielles peuvent être ainsi présentées :
1. Le nom même de la Commune rappelle la Commune insurrectionnelle de 1789, celle qui a pris la Bastille, celle qui a élu le premier maire de Paris, Bailly, celle qui a été en pointe dans la chute de la monarchie, et qui fut associée en mai-juin 1793 à la chute des Girondins. Il s’agit d’un héritage communal et politique… qui rejoint celui des « communistes utopiques » de 1871, selon l’historien Jacques Rougerie. La république est le seul régime possible, comme en 1848, même s’il s’agit de la Troisième République, proclamée en septembre 1870 !
2. Le symbole, c’est aussi la reprise du calendrier républicain, celui qui fut voté par la Convention à l’automne 1793, au début de l’an II. C’est un marqueur fort qui n’a pas été complètement abandonné, puisqu’il est utilisé encore aujourd’hui par certains mouvements, libertaires et progressistes et que l’on fête toujours le 21 septembre, aujourd’hui de l’an 226 de la Révolution. La Raison, mensuel de la Libre Pensée, de mars 2018 est datée de Ventôse an 226 !
3. Les arbres de la Liberté et de l’Égalité, vecteurs de la Révolution, près de 60 000 en 1790-1794, selon l’abbé Grégoire, que l’on replante sur les places et les sites de mémoire, après leurs abattages sous les monarchies et le second Empire…
4. La cocarde, celle de 1789, est aussi reprise, ornant le bonnet phrygien, celui des anciens esclaves. Ce bonnet, présent sur le tableau Le Serment du jeu de paume de David, est porté par de nombreux Communards.
5. Pour le drapeau c’est plus compliqué, c’est le drapeau rouge de la Révolution des ouvriers, des canuts, selon l’histoire du drapeau rouge de Maurice Dommanget. Il avait été proposé au peuple, mais refusé en 1848 par Lamartine. Les Versaillais ont choisi le drapeau tricolore, celui du lendemain de la prise de la Bastille.
6. Les chansons. Certes, on reprend les chants et les hymnes de 1793, comme le Chant du Départ ou le Ça Ira, mais d’autres auteurs montrent la place de la chanson dans la mobilisation des Communards. Eugène Pottier et Jean-Baptiste Clément ont commencé avant, avec Le Temps des cerises de 1866-68, republiée en 1885 à la mémoire d’une ambulancière de 1971, Louise ! On chante aussi … Le plan de Trochu, Le drapeau rouge, La semaine sanglante de J-B. Clément, Le capitaine « Au Mur »… Elle n’est pas morte d’Eugène Pottier. Les deux chansonniers ont été condamnés à mort par contumace, après 1971 ! En 1888, L’internationale de Pottier célèbrera la Commune…
L’écho de Serge Reggiani, les Loups sont entrés dans Paris, en 1967, fait référence à toutes les invasions de Paris par les Prussiens et Allemands, en 1814, 1871, 1940…
7. Les journaux. On voit le retour de L’Ami du peuple (4 numéros), du Père Duchesne (plus de 60 000 exemplaires) et de la Mère Duchesne, de l’effervescence des journaux d’opinion, après une période d’ordre moral. Les titres sont les mêmes que ceux de Marat et d’Hébert, mais les contenus sont adaptés à la conjoncture de la Commune. Le Cri du Peuple, de Vallès qui atteint un moment 100 000 exemplaires, montre l’essor de la presse politique, depuis la Monarchie de Juillet…
Si l’on quitte le domaine symbolique, les combats de la Commune de 1871 renouent avec certaines luttes de la Révolution française.
1. La garde nationale. La guerre et la défense de la patrie face à la Prusse créent les conditions d’un renouveau de la garde civique, composée des citoyens des 20 arrondissements, qui élisent leurs commandants. Le gouvernement a fait l’erreur d’armer les ouvriers. Alphonse Daudet faisait normalement partie de la garde nationale, avant une blessure. Il est à Paris pendant l’exode et décrit l’arrivée des ruraux. Il n’a pas fait ce qu’il rêvait, son « devoir de citoyen-soldat ». Sa description des Communards sera à charge.
On compte 160 0000 gardes nationaux, la plupart pour la Commune, sur les 380 000 possibles, mais il n’y aura que 40 000 combattants contre les 65 000 Versaillais, qui recevront le secours de 135 000 prisonniers libérés par Bismarck.
A Paris, Lafayette avait été le commandant d’une garde comprenant tous les citoyens de plus de 21 ans, et il existait une garde nationale dans tous les quartiers (sections) de la capitale. L’aspect militaire est donc essentiel dans la Commune de 1871, comme en 1792 devant l’avancée prussienne. La garde obtient le maintien des 30 sous de solde, la sauvegarde des canons (de Montmartre, des Buttes-Chaumont, de Belleville), le refus de l’entrée des Prussiens, prévue pour le 27 février, réalisée les 1er et 2 mars !
Il existe un comité central de la garde nationale en 1971, comme en 1793, où il avait été décisif pour l’arrestation des Girondins. L’épisode des canons de mars 1871 oppose la troupe régulière du général Vinoy à la garde nationale et au peuple de Paris en armes… Les deux généraux fusillés de la rue des Rosiers, en mai 1871 sont alors considérés comme des ennemis du peuple pour avoir tiré en 1848 (Thomas) ou ordonné de tirer (Leconte)…Le Comité central de la garde nationale exerce un double pouvoir. Il n’y aura plus de garde nationale après la Commune…
2. Qui sont les Communards ? Karl Marx parle de la Commune comme la première insurrection prolétarienne contemporaine, ce qui fait débat chez les historiens. Toutefois, il y a un lien évident entre les Communards de 1871 et la composition sociale des foules de 1789 et 1792, celles qui ont pris la Bastille et renversé le roi. Les artisans et les boutiquiers sont les catégories les plus représentés dans le conseil de la Commune de 1871. On a pu parler des derniers sans-culottes. 34 % des prisonniers après la semaine sanglante sont des travailleurs manuels et 30 % du personnel municipal élu en mars 1871, soit 25 ouvriers. Des typographes, des bijoutiers, des relieurs, sont des intermédiaires entre les sans-culottes et le prolétariat d’usine, à côté des intellectuels partagés. Les élus de la petite et moyenne bourgeoisie, si nombreux à la Convention sont ici des instituteurs, des médecins et des journalistes… Mais les grands bourgeois démissionnent en avril… et 2 % seulement des détenus ont une instruction supérieure ! Les classes populaires, exclues par l’urbanisation haussmannienne de l’Empire montrent un sursaut révolutionnaire dépassant 1793 par l’ampleur de la guerre civile et sociale.
3. L’héritage de la Révolution est transmis par des groupes politiques, qui font la liaison avec le babouvisme par le biais du blanquisme. Auguste Blanqui est en prison depuis le 17 mars 1871 (près de Figeac), on cherchera à l’échanger contre Monseigneur Darboy. Les proudhoniens, parfois internationalistes, les utopistes (Pierre Leroux), les radicaux (Vallès) et les jacobins (Delescluze, mort sur la barricade), les socialistes forment l’essentiel du personnel politique de la Commune, l’emportant sur les marxistes (Frankel) ? Les slogans et les allégories (la République, Marianne) rejoignent la mentalité révolutionnaire de la première République.
4. L’exemple des principes constitutionnels est essentiel, autour de la reprise de la Constitution de juin 1793, qui avait été ratifiée dans 7 000 assemblées primaires, proclamant le droit au travail, à l’assistance et à l’instruction. Ces principes prémonitoires, très en avance sur les constitutions contemporaines, sont largement appliqué par la Commune. L’école laïque, gratuite, obligatoire, laïcité, s’organise un moment autour d’Edouard Vaillant et de Jules Vallès. L’ébauche de l’enseignement technique, le relèvement des salaires des instituteurs, l’égalité hommes-femmes, vont au-delà même de la Révolution. Les méthodes nouvelles sont connues de Louise Michel. L’enseignement des jeunes filles dominé jusque-là par l’Eglise, devient public par l’ouverture d’écoles spécifiques, rue Lhomond et rue Dupuytren…
5. Peut-être les combats féministes, rejoignent-ils ceux des citoyennes républicaines révolutionnaires (Claire Lacombe et Pauline Léon) étudiées par Dominique Godineau, puis ceux de George Sand en 1848 ? L’immense figure de Louise Michel, héroïne de la Commune domine : conférencière au club la Révolution, institutrice à Montmartre, cantinière, ambulancière, soldat ; permanente au comité de Vigilance et à l’Union des femmes pour la défense de Paris. Lors de sa détention en Nouvelle-Calédonie, Victor Hugo, pourtant réservé sur la Commune lui consacrera un poème. D’autres femmes, comme Elisabeth Dimitrieff, une amie de Marx, illustrent cette présence…Les réserves et les réticences à leur égard, chez les proudhoniens, ne doivent pas faire oublier ces avancées… alors que la mémoire de la Révolution se partageait entre Olympe de Gouges et Charlotte Corday… F. Sarcey a évoqué les Communardes qui se sacrifient en tirant sur les officiers lors de la Semaine sanglante ? Marianne est également l’une des figures marquantes de la période, après l’allégorie de 1848 évoquée par Maurice Agulhon. Mais on n’ira pas jusqu’à rétablir le divorce par consentement mutuel.
6. Enfin, comme en 1792, de nombreux étrangers reçoivent la citoyenneté française par décision de la Commune : Belges, Italiens, Polonais, Hongrois, à l’exemple de Léo Frankel, ministre du Travail…
Bien sûr, les différences sont importantes, deux à trois générations séparant les révolutionnaires de 1790-1793 des Communards.
Elle est essentiellement parisienne, malgré des mouvements à Narbonne, Marseille, Lyon, Nîmes, La Réunion…
Le théâtre populaire est absent de la période. Jules Vallès écrira sa pièce La Commune en 1872… « pièce qui charrie le flot populaire ». Mais en deux mois, il n’y aura pas le temps de créer un théâtre pour et par le peuple, ni de jouer les pièces révolutionnaires de l’an II. Il faudra attendre la fin du siècle et Romain Rolland…
Pour les enfants, le respect de la loi de 1841, la reconnaissance des enfants naturels ne seront pas appliqués, faute de temps ?
Sur le plan social et économique, on ne touche pas à la propriété privée ; on ne va pas jusqu’au maximum, à l’économie dirigée, comme en l’an II (1794) en dehors de la taxation du pain et de la viande, du contrôle des Postes. Mais on reculera devant la nationalisation de la banque de France, et de la Bourse. On ne touche pas à la propriété privée… Les avancées de la Commune de 1871 sont la fin du travail de nuit dans les boulangeries, l’égalité partielle des salaires, les bureaux de placement, le moratoire des loyers, les pensions pour les nécessiteux ! On dégage les objets du Mont-de-Piété…… L’Union des femmes étudie les ateliers coopératifs, qui s’occuperont de l’habillement des soldats…

DG : Une des décisions communes aux deux événements est la Séparation des Eglises et de l’Etat, pourrais-tu revenir sur chacune d’entre elles ?

SB : Les questions religieuses sont au cœur des deux insurrections.
On sait que la Révolution française a séparé l’Eglise et l’Etat par étapes. Le serment à la nation est la première avec la Constitution civile du clergé en juillet 1790, qui crée avec le refus du pape deux clergés d’importance égale : les jureurs constitutionnels et les réfractaires, rapidement émigrés ou emprisonnés. La suppression des ordres monastiques, le divorce sont des mesures qui préparent une vague de déchristianisation inouïe de fermeture des églises et de vandalisme révolutionnaire, en fait d’iconoclasme. Après les abjurations de nombreux prêtres, la séparation est proclamée en septembre 1794, après la chute des Robespierristes.
L’œuvre de la Commune présente bien des points communs, avant même le massacre des otages et de l’évêque de Paris, monseigneur Darboy. Le 31 mars 1871, l’arrestation massive des hommes d’Église précède la séparation de l’Église et de l’État, le 3 avril, qui donne à l’État les biens de la première. Elle sera suivie d’une période d’ordre moral, d’expiation, de pèlerinage, de retour partiel du « génie du christianisme » qui avait régné après la révolution française. C’est d’autant plus surprenant que la révolution de 1848 avait commencé dans le compromis politique et des arbres de la liberté bénis par les prêtres.
En fait, sur 66 paroisses et une centaine d’églises, une dizaine ont été « vandalisés » (terme à discuter). 33 églises sur 55 voient la confiscation des objets de valeur, hosties et tabernacles. La manifestation la plus spectaculaire est la laïcisation du Panthéon, le drapeau rouge remplaçant la croix. D’autres église, dont Saint-Eustache, ont été transformés en clubs, comme une trentaine d’églises, dans un compromis qui épargne les chaires et les autels. Le Carmel a été épargné par respect pour le travail des sœurs. La garde nationale finit par garder Notre-Dame de Paris. Des chapelles sont épargnées alors que Notre-Dame-des-Victoires est pillée. Les tableaux, des orgues sont détruits, soit par expédient patriotique, soit par volonté iconoclaste… Comme pendant les guerres de Religion et la Révolution, on voit des mascarades, mais on épargne les reliques de Vincent, le patron des pauvres. La grande différence est qu’il n’y a pas eu comme pendant la Révolution de 1793 la substitution d’un culte des martyrs à la religion chrétienne, ni de religion civile… Pour expliquer cette modération, le temps des guerres de religion est fini, la déchristianisation est sans doute plus profonde dans la population parisienne que pendant la Révolution ? D’autres destructions, non religieuses, seront plus spectaculaires, comme celles de la colonne Vendôme attribuée à tort au peintre Gustave Courbet, des Tuileries, de l’Hôtel de Ville…

DG : L’une des particularités de la Commune est cet échelon du Pouvoir : l’arrondissement, la ville, la Commune, Cet échelon puise son essence dans l’œuvre de la Révolution française, notamment le décret du 14 décembre 1789 qui créé les communes. Pourrais-tu d’abord revenir sur l’importance de de ce décret mais aussi quels en sont les implications dans la Commune de Paris ?

SB : La démocratie locale dans les deux Révolutions

Jusqu’en décembre 1793, la Révolution française a favorisé l’expression d’une démocratie politique locale. Les premiers maires ont été élus en 1790 par un nombre important de citoyens actifs, soit près de 65 % des hommes de plus de 21 ans. Le maire, élu directement, était accompagné de nombreux officiers municipaux, et de notables élus, entre 13 et 20 en moyenne pour les villages et les bourgs. Les conseils municipaux se réunissaient une fois par semaine et jusque trois fois par décadi en l’an II. A Paris, le poids des districts d’abord, puis des 48 sections est essentiels. En janvier 1790, par exemple, le quartier de Marat et Danton, celui des Cordeliers, s’était opposé avec sa garde et ses élus à une perquisition de Lafayette. Plus tard, les sections et les clubs ou sociétés populaires ont joué un rôle important de double pouvoir, en l’absence de coercition centrale, jusqu’en décembre 1793
On voit le même phénomène dans la Commune de Paris, saluée par plus de 200 000 Parisiens lors de sa proclamation. En particulier dans les clubs, qui rejoignent ceux de 1793 et des années 1830 ; et qui sont désormais doublés par les syndicats, et les sociétés de secours mutuels… Les militants des clubs rejoignent l’esprit de 1793 (les sociétés populaires) et l’esprit de 1848. La suppression des clubs par le gouvernement provisoire en janvier 1871 a bien mis le feu aux poudres.
Les élections locales ont vu la participation de 229 0000 votants, sur 485 000 possibles, soit 45 %, plus qu’en 1790, autour de 33 %. L’Affiche rouge, rédigée en partie par Jules Vallès, le 7 janvier 1871, au moment du siège réclamait, au nom du Comité des 20 arrondissements la réquisition générale, l’armement de tous, le gouvernement du peuple. Les élections ont vu l’élection des candidats du Comité des 20 arrondissements, de l’Association internationale des travailleurs et de la Chambre fédérale des sociétés ouvrières… La participation a été la plus forte dans les quartiers ouvriers. De fait, la question sociale se pose avec acuité, depuis les grandes grèves de 1867-68, étudiées par Michelle Perrot et retracées dans le Germinal de Zola.

DG : L’idée de démocratie directe avec des délégués mandatés, élus, révocables est-elle propre à la Commune ?

SB : « La démocratie directe »
On peut comparer les conceptions des Communards avec les conceptions de Marat ou de Jacques Roux, des jacobins et des Enragés.
Le 19 mars 1871 est une journée spontanée, une de ces journées qui ont fait les révolutions, sans mots d’ordre d’une organisation, comme pour la prise de la Bastille. Le Comité central de la garde nationale, qui occupe l’Hôtel de Ville appelle le peuple de Paris à de nouvelles élections, pour le 22 mars, 3 jours plus tard (date symbolique ?). C’est le divorce avec les représentants élus auparavant, les maires et les forces de l’ordre…
Les membres de la Commune nouvelle sont surveillés par l’opinion, révocables, comptables et responsables devant leurs électeurs, au début du moins. La Commune remplace les fonctionnaires, les juges et les policiers par des personnels élus et par le peuple en armes. On en revient aux juges de paix, élus par les citoyens actifs, mais l’élection ne pourra pas être organisée. Mais on supprime la vénalité et les privilèges des notaires, huissiers, pour ôter à la justice son caractère de classe.
Les sections, les chambres syndicales et les clubs exercent un moment une dictature d’opinion. La Commune reprend les principes de 1793, quand « le droit à l’insurrection est le plus sacré et le plus indispensable des devoirs ». Elle défend l’idée de l’autonomie des petites unités autonomes : communes, entreprises, écoles ? Chaque citoyen doit contribuer à la vie politique, dans les clubs, élire les responsables et être élu, participer à la vie politique. Le projet de la Commune est à la fois très décentralisé et fédérateur. Le service municipal est conçu comme obligatoire, vingt ans avant le service national.
Des commissions d’arrondissement organisent l’assistance communale, ouvrent des ateliers pour les sans-travail, gèrent les écoles. Les délégués d’ateliers élus permettent la mise en place de la gestion coopérative des ateliers abandonnés…
Lénine au moment de la Révolution d’octobre a vu dans la Commune l’origine des soviets. Il s’est félicité lorsque ceux-ci ont tenu un jour de plus ! Le double pouvoir permet aux organisations de base, des quartiers de peser sur les lois. La police et l’armée sont remplacées par la garde nationale, où tout citoyen est aussi soldat, dans une double résistance à l’ennemi extérieur et à l’ennemi de classe.
Toutefois, les litiges avec le Comité de salut public, qui rappelle la centralisation jacobine de l’an II, avec le Comité central de la garde nationale vont progressivement paralyser les initiatives locales et montrer les limites des doubles pouvoirs, comme pour le Comité de salut public jacobin-montagnard en l’an II.

La fin de la Commune de 1871
Les forts sont tombés entre le 1er et le 21 mai, précédant la semaine sanglante. Après l’exécution de 52 otages, Belleville le 28, puis Vincennes le 29 capitulent…Le mythe des « pétroleuses » de 1871 va succéder à celui des « lécheuses de guillotine » de 1793 !
Une grande différence entre les deux événements tient à l’existence de barricades, évaluées à 500 : rue de Rivoli, place Vendôme, à Belleville, comme la barricade du Point-du-Jour, les 22-23 mai. Cette répression est plus proche de 1832-34, des Misérables de Hugo, des canuts de Lyon et des journées de juin 1848 que de 1793 et des journées de la faim de 1795, qui n’ont pas connu de barricades. Le bilan de la répression des Communards est terrifiant : 40 000 prisonniers, 15 000 procès connus, 400 000 dénonciations. Pour 1000 Versaillais tués, on estime à 30 000 le nombre de victimes chez les Communards (5000 en juin 48), dont 1600 au Père-Lachaise. Il s’agit d’une « ratonnade » pour Michelle Perrot, du plus terrible des massacres de notre histoire, mais perpétré par des « républicains », alors qu’il s’agissait au départ d’un sursaut patriotique ! Le 3 mai 1872, des vaincus partent pour la Guyane, comme en prairial an III (mai 1795)… L’amnistie ne sera votée qu’en 1880.
Les Communards étaient des citoyens travailleurs, en armes, réclamant le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, comme en août 1793. L’importance des assemblées générales renvoie à la permanence des sections en 1793, et, d’une certaine manière, à mai 1968, qui renoue avec l’esprit de la Commune, dans des convergences qu’il serait nécessaire d’approfondir ! 97 ans séparent « la révolution » de mai 1968 ( ?) de l’existence de la Commune et de la Semaine sanglante…

La République a longtemps été mal à l’aise avec la Commune de Paris, cet acte fondateur pourtant de l’histoire républicaine !!!!
La Commune est restée longtemps une période mal connue, absente des manuels, célébrée par des minorités, celles qui n’écrivent pas l’histoire « officielle » : le mur des Fédérés, l’Internationale, Le temps des Cerises…
Condamnée longtemps par les républicains au pouvoir, même par Hugo et Zola un moment, elle a fait l’objet de recherches limitées depuis Lissagaray (1892). Il faut lire l’Insurgé de Vallès, Les Mémoires d’un Communard, de Jean Allemane, typographe, membre de la garde nationale, qui a fait hisser le drapeau rouge au Panthéon. Le centenaire de 1971 et l’œuvre de Georges Soria, La Grande histoire de la Commune ont modifié à la marge ce constat. Et, pourtant, « Non ! Nicolas, la Commune n’est pas morte » (Eugène Pottier) !
La Commune évoque donc la Révolution française, par les symboles et les héritages, comme les révolutions du XIXe, 1848 en particulier, par la conquête des droits. Elle prélude aux révolutions du XXe, par « la portée sociale de son existence même » selon Karl Marx. Ce fut une tentative inouïe, utopique et avortée de gouvernement du peuple par (et pour) le peuple. Ce que je retiendrai de son existence éphémère et tragique, c’est la volonté de garantir les droits sociaux proclamés en 1793 par la première République et (partiellement) réalisés dans la Seconde : le droit au travail, à l’éducation et à l’assistance, à l’insurrection et à la dignité. « L’utopie d’une société sans classe, où règnerait sinon l’égalité réelle, au moins la justice sociale ».

DG : Merci Serge. Je rappelle à nos auditrices et auditeurs ton livre Sur Marat, 420 pages aux éditions Belin.