En direct avec Denis Sieffert de Politis

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L’hebdomadaire Politis du 16 novembre 2017 a consacré une part importante de son numéro à aborder la question de l’Islam. Les analyses et propos qui y sont contenus rejoignent très largement les préoccupations de la Libre Pensée. C’est pourquoi, la Libre Pensée a rencontré Denis Siffert qui en est le directeur. Il répond à nos questions.

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La Raison : Pouvez-vous présenter ?

Denis Sieffert : Je suis journaliste et pour une semaine encore directeur de l’hebdomadaire Politis, dont j’assure toujours l’éditorial. J’ai beaucoup travaillé, et travaille encore sur le Proche-Orient. J’ai écrit sur cette région et sur les conflits qui l’enflamment quatre ou cinq ouvrages, ainsi que de très nombreux articles dans Politis, bien sûr, mais aussi dans des revues.

LR : Quelle est L‘histoire de Politis ?

DS :Politis est né en 1988 — nous venons de fêter ses trente ans — de l’initiative d’une poignée de journalistes qui constataient le glissement libéral de journaux de gauche. Autour de Bernard Langlois, ils ont eu l’intuition que l’écologie et le social allaient se croiser, et qu’il ne serait plus possible à l’avenir de défendre l’un sans l’autre. L’engagement anticolonialiste est aussi un des marqueurs forts de Politis. Quelle que forme que prenne le colonialisme, y compris économique, via les firmes transnationales. Et je dirais, l’antilibéralisme économique. J’ajoute que nous avons, à Politis, l’obsession de l’indépendance financière et politique. Notre actionnaire majoritaire est une association qui comprend des lecteurs et les salariés du journal.

LR : Nous assistons aujourd’hui à une grande campagne de dénonciation unilatérale des dangers que représenteraient les présupposés « musulmans ». Quelle est votre analyse ?

DS : Le monde change. Notre pays est, comme d’autres, le lieu d’un brassage de populations et donc de cultures qu’il s’agit de gérer le mieux possible. C’est un fait irréversible. Il est aussi vain que peu souhaitable de vouloir y résister par des formes d’exclusion. Les musulmans pieux ont contre eux le double handicap du nombre et de la visibilité, ce qui fait d’eux des cibles particulières pour la discrimination. Une discrimination culturelle qui se superpose très souvent à des difficultés sociales. Ce qui suscite beaucoup de confusions. J’ajoute que le contexte international, les crises au Moyen-Orient notamment, n’arrange pas les choses. Si bien que l’on a affaire à ce que les sociologues appellent des « prophéties auto-réalisatrices ». Plus une population est montrée du doigt pour sa singularité et plus cela renforce son affirmation identitaire. Pour résumer, on ferait donc bien de faire un peu moins de Unes de journaux sur l’Islam.

LR : La laïcité, comment la définiriez-vous ?

DS : C’est évidemment la séparation des Eglises et de l’Etat. Et c’est à l’origine un principe de liberté. La loi de 1905 commence par assurer la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. Il est paradoxal qu’elle retentisse aujourd’hui aux oreilles de beaucoup comme une loi d’interdits. Je crois surtout qu’invoquer la laïcité comme un Graal pour régler tous les problèmes de la société est contre-productif et disqualifie un principe qu’il faut au contraire chérir.

LR : Le combat pour la défense de la laïcité, selon vous, sur quoi devrait-il porter et comment le mener aujourd’hui ?

DS : Avec tact ! Et avec compréhension que la laïcité, qui est une belle idée, s’identifie pour certains de nos concitoyens, musulmans notamment, à l’histoire coloniale. Un texte magistral existe, la loi de 1905. Point besoin d’en rajouter ou de demander en permanence que l’on en rajoute.

LR :Que pensez-vous de l’hystérisation du débat actuellement, menée par Manuel Valls et ses réseaux ?

DS : J’en pense le plus grand mal. Et je pense surtout que la laïcité mérite mieux que d’être réduite au rang d’instrument politique par un personnage que menace l’oubli.

LR : Voulez-vous rajouter quelque chose à l’attention des libres penseurs ?

DS : Je leur dit que, pour ma part, j’essaie de penser librement en toutes choses, et que je suis bien conscient que cela n’a rien de naturel. C’est un combat qui n’est jamais gagné, y compris contre soi-même. Mais je le conçois comme individuel, autant que faire se peut (c’est-à-dire en étant attentif aux influences que l’on subit), même s’il s‘agit de défendre des valeurs évidemment collectives.

Propos recueillis par David Gozlan

Rappel :

Pour débattre rationnellement de l’Islam, la Libre Pensée vous offre gracieusement la consultation d’Arguments N°4 :

 

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