L’Eglise et Vichy

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12 août 2018

Bonjour à tous, ce dimanche à l’antenne, Georges André MORIN de la Fédération Nationale de la Libre Pensée qui s’exprime en son nom et celui de Patrice SIFFLET co-auteur de cette émission, malheureusement empêché aujourd’hui.

L’an dernier nous avions commencé à traiter de l’Eglise et de Vichy. Compte-tenu de la richesse de la matière nous nous étions arrêtés à novembre 1942, date de l’occupation de la zone dite libre. Cette année nous poursuivons jusqu’à la Libération

Le 8 novembre 1942, le débarquement allié en Afrique du Nord, marque le tournant de la guerre. La première conséquence de ce débarquement est dès le 11 novembre l’occupation de la zone prétendue libre par les allemands et le sabordage de la flotte en rade de Toulon. La fiction sur laquelle reposait le gouvernement de fait montre à quel point l’armistice de juin 1940, dont les clauses sont d’ailleurs bafouées dès juillet 1940 n’est qu’une illusion dangereuse et absurde. La Libération de l’Afrique du Nord à la fin de l’année 1942 est donc une inflexion décisive : quelques semaines plus tard Stalingrad, sept mois plus tard, le débarquement allié en Sicile, la chute de Mussolini. En France les derniers masques tombent, Pétain s’accroche à Vichy et refuse de rejoindre l’Afrique du nord. Le gouvernement de fait n’est plus qu’un gouvernement croupion aux ordres et à la botte du Reich. Vichy n’est qu’une brève parenthèse de notre histoire, 29 mois d’illusion, 21 mois d’enfoncement dans l’infamie. La France est alors gouvernée par une clique fascisante et connaît les actions de terreur de la SS et de la milice contre la Résistance.

Tout change, l’espoir renaît, mais l’Église ne voit rien, ne change rien, et continue à s’enferrer sous le charme délétère du sinistre vieillard. On pourrait la comprendre, le 25 décembre 1942, le « Noël » du maréchal modifie l’article 19 de la loi de 1905 sur la séparation des Enlises et de l’État sous prétexte de faciliter l’entretien des églises. Le lendemain, arrestation de Léon Jouhaux qui sera livré aux allemands en mars 1943.

Peu après la création du STO par la loi du 16 février 1943 est un révélateur. Le gouvernement d’opérette n’est plus qu’un rouage du Reich. Le “Service du Travail Obligatoire” prévoit le recensement de tous les hommes de 18 à 50 ans et de toutes les femmes de 21 à 35 ans, en vue d’un stage de 6 mois dans les industries de guerre allemande. Les premiers convois partent en février 1943. Au total, 270 000 hommes et 53 000 femmes.

Cela ouvre une grave crise dans l’Eglise catholique :

– d’un côté, la hiérarchie qui se refuse à appeler à la désobéissance, ainsi des organes de presse catholique comme la Croix de Savoie ou les Semaines Religieuses de plusieurs diocèses justifient le STO et indiquent qu’il faut s’y soumettre. Le 15 mars, devant 4 000 jeunes réunis à Roubaix, le cardinal Liénart les exhorte à y aller (le Journal de Roubaix titre : « ce serait de la lâcheté de ne pas obéir […] »), une semaine plus tard ce cardinal expose sa pensée en trois points : l’occupant outrepasse ses droits, on peut donc désobéir sans péché, mais le devoir de charité (si je ne pars pas, un autre partira à ma place) peut inciter à partir. Les 6 et 7 avril 1943, l’Assemblée des Cardinaux et des Évêques s’aligne sur cette position

– de l’autre côté, l’Association Catholique de la jeune française et la JEC se prononcent ouvertement contre le départ et s’engagent de plus en plus dans l’insoumission et l’action clandestine. Cela suscite des réactions et incite nombre d’évêques à rentrer dans le débat, ainsi Martin, évêque du Puy : « Vous savez bien que ce sont les chefs mis en place par la Providence qu’il faut suivre […] C’est si simple d’obéir aux autorités constituées […] ».

Certes, les jeunes n’avaient aucune envie d’aller travailler en Allemagne, mais que peut-on dire des séminaristes et des jeunes prêtres ? Le Vatican avait demandé à Pétain, que les séminaristes soient exemptés du STO, ce qui n’était pas souhaité par les évêques français qui entendent ne pas déserter le terrain de la reconquête du monde ouvrier. 3 200 séminaristes partent donc en Allemagne dans le cadre du STO. Ajoutons qu’à la fin du mois de mai 1943, les évêques français, ont envisagé d’envoyer des prêtres en Allemagne non pas avec le statut d’aumônier, mais avec celui d’ouvrier. En outre, 273 prêtres prisonniers de guerre, sont transformés, comme cela est devenu possible, en « travailleurs libres » ; vous admirerez l’expression. Avec les 3 200 séminaristes et les militants de l’Action catholique, contraints ou volontaires, cela représente au total près de 10 000 « volontaires ».

En 1942, l’Eglise institutionnelle est tournée totalement vers Vichy et la collaboration, mais quelques militants catholiques sauvent l’honneur. Le général de Castelnau est emblématique : ce général, un des rares généraux brillants de la Première Guerre Mondiale, monarchiste revendiqué, député en 1920, fondateur d’un mouvement d’action catholique, était perçu comme un danger pour la République, par exemple par Paul Painlevé qui se vantait d’avoir fait la carrière de Pétain. Mais en 1940, il n’hésite pas à traiter publiquement Pétain et Weygand de « jean-foutres ». Plus tard quand l’archevêque de Lyon Gerlier « veut prendre langue avec lui » pour relancer le dit mouvement, sa réponse est claire et verte : « Gerlier veut prendre langue avec moi ! Cela n’a pas de sens. Il n’a plus de langue, il l’a usée à lécher le cul de Pétain ! » Gerlier est l’auteur d’une phrase célèbre « Pétain c’est la France ! La France c’est Pétain ».
À Londres, de Gaulle aurait bien voulu l’adhésion d’au moins une personnalité catholique représentative. Pierre Brossolette, envoyé en France en avril 1942, demande à sa femme de contacter Mgr Chevrot dont elle connaît les sentiments plutôt gaullistes. Mais Chevrot, volontaire pour partir à Londres, malgré son titre de « monseigneur », n’est pas évêque titulaire, il pourrait se retrouver désavoué par sa hiérarchie s’il rejoignait de Gaulle à Londres. Il reste à Paris, puis il adhère à un réseau de Résistance.
On doit citer Bruno de Solages directeur de l’Institut catholique de Toulouse, qui déclare en 1940 : « Je préfère une France victorieuse avec Léon Blum et les francs-maçons à une France vaincue avec le maréchal Pétain ». Ce proche de Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, est déporté en juin 1944.
Mgr Saliège, est le seul dignitaire de l’Eglise de France à avoir entretenu des rapports fréquents avec la Résistance, mais il n’est pas question qu’il parte à Londres, d’abord pour des raisons d’âge et de santé. De Gaulle devra donc se contenter de faire entrer dans la « France Libre » des personnalités catholiques laïques comme François de Menthon. Un Dominicain, le père Carrère est élu à l’Assemblée consultative d’Alger en 1943.
Individuellement de nombreux prêtres n’ont pas suivi leur hiérarchie et se sont impliqués pour sauver des juifs persécutés. Le mur des Justes à Paris mentionne nombre d’ecclésiastiques.

Les évêques gardent le même discours pendant toute la guerre : le gouvernement de Vichy est légitime, il est seul bon juge de l’intérêt du pays, il n’est pas question de lui désobéir. Ainsi s’exprime, en substance, le 23 octobre 1943, l’évêque de Saint-Brieuc, Serrand. Le cardinal Liénart réaffirme aussi en novembre son soutien au prétendu vainqueur de Verdun en condamnant les actions violentes de la Résistance. Et l’Assemblée des Cardinaux et des Evêques condamne « ces appels à la violence et ces actes de terrorisme qui déchirent aujourd’hui le pays, provoquant l’assassinat de personnes et le pillage des demeures ».
Mgr Saliège, après la Libération dira, en parlant de ses pairs : « Ils ont considéré la Résistance comme un péché mortel ».

Ceci conduit à s’interroger sur la légitimité de Vichy. Le 23 juillet 1945, Pétain comparait devant la Haute Cour de Justice. Dans une déclaration préliminaire, il tente de se justifier et déclare entre autres : « Le pouvoir m’a alors été confié légitimement et reconnu par tous les pays du monde, du Saint Siège à l’Union soviétique. » Alors, coup d’Etat ou prise de pouvoir légitime ?

C’est un coup d’Etat. Le coup d’Etat peut revêtir de nombreuses formes. J’aime inverser la célèbre formule de Marx : Brumaire est militaire, mais c’est une farce, le 2 décembre est policier, mais c’est une tragédie avec des milliers de morts. La déclaration de Pétain est un aveu inconscient : le pouvoir ne lui a pas été confié. Dans le cadre des institutions de la IIIe République le 16 juin 1940 à 22 heures Pétain succède à Reynaud démissionnaire à la présidence du Conseil des ministres ; les circonstances font qu’il n’y a pas de consultation des chambres. Ce n’est pas se faire confier le pouvoir, ce qui n’a pas de sens dans le cadre Républicain. Mais sa prise de pouvoir feutrée est immédiate, elle avait été préparée : Le nouveau gouvernement s’empresse de renoncer au transfert en Afrique du Nord qui était déjà en cours, rappelons Le Massilia, ce paquebot qui devait transférer au Maroc les parlementaires que Pétain laisse appareiller depuis Pauillac pour le transformer en piège. Arrivé à destination au Maroc, les passagers sont accusés de désertion et arrêtés. Pour les autres, la destination n’est plus Port Vendres, mais Vichy son parc hôtelier, son central téléphonique tout neuf, et la proximité du château du parvenu Laval. Le premier acte est donc de signer un armistice-capitulation le 22 juin, puis de convoquer les chambres en Congrès pour modifier la constitution et de fait abolir les institutions républicaines par le vote du 10 juillet. Ce vote sans véritable quorum, de parlementaires manipulés par des rumeurs plus folles les unes que les autres et, tout ceci n’est jamais assez souligné, est en infraction totale aux lois constitutionnelles de 1875. Lionel Jospin a qualifié dans un livre Vichy de « bonapartisme de la défaite ». Le casino de Vichy fut à Pétain ce que l’orangerie de Saint-Cloud fut à Buonaparte, son Murat fut Weygand, son Sieyès fut Laval. La reconnaissance diplomatique n’est pas un gage de légitimité d’un pouvoir. Vichy n’est pas un gouvernement « légitime », tout au plus un gouvernement de fait.

Que deviennent ces gens-là à la Libération ?

De Gaulle est catholique et agit avec prudence. Il veut entretenir l’image d’une France éternelle, résistante, à sa juste place dans le camp des vainqueurs. Cependant en août 1944, le Te Deum de la Libération est célébré hors la présence de Suhart archevêque titulaire de Notre-Dame. La réception de Pétain quelques mois plus tôt, puis le service funèbre de Philippe Henriot, exécuté par un commando de résistants quelques semaines plus tôt, sont trop récents. Deux engins blindés bloquent la rue Barbet de Jouy, résidence de l’archevêque, pour empêcher Suhart d’imposer sa présence. Mais Suhart, après un bref délai de viduité, officie pour le Te Deum du 9 mai 1945 !

Lors du procès Pétain nos prélats s’abstiennent prudemment de témoigner en sa faveur. Seul Liénart se fend d’une lettre lue à l’audience du 10 août 1945. C’est bien à juste titre que la Fédération du Nord de la Libre Pensée lors de l’inauguration d’une statue de ce prélat avait exprimé son indignation et rappelé son lourd passé vichyste, au moment où Madame Martine Aubry, je précise bien le prénom Martine : il ne faudrait pas confondre avec d’autres dames Aubry, déclarait : « Le cardinal Liénart incarne un message universel, il est à la fois l’homme de Dieu et l’homme du peuple. Un homme engagé et accessible, populaire et charismatique, avec ses débats intérieurs et ses contradictions ».

Le cas Touvier est intéressant. Quels moyens de chantage détenait ce pauvre type, sicaire, assassin au service la milice pour bénéficier de telles protections, aussi bien du côté de certains magistrats que du côté de l’Église, y compris une implication du cardinal Villot secrétaire d’État de Paul VI, mais qui avait débuté sa brillante carrière à Lyon, dans les froufrous de Gerlier. Arrêté enfin en 1989 dans les locaux de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X et de l’œuvre Saint-François de Sales, le non-lieu dont ce sinistre personnage a bénéficié dans un premier temps en 1992 avait frappé la France d’indignation, et reste un quart de siècle plus tard un morceau d’anthologie. Des phrases grandioses « Vichy, un ensemble composite de bons sentiments… etc », il y en a trente pages comme cela.

Le 30 juin 1944, le général de Gaulle est reçu en audience par Pie XII. Mais c’est seulement le 4 décembre 1944 que les relations diplomatiques sont rétablies. De Gaulle avait exigé le remplacement du nonce, et des sanctions contre le clergé collaborationniste, ce qui indispose Pie XII. Le nonce Valerio Valeri est remplacé par Roncalli antérieurement en poste en Grèce et Turquie où il dînait régulièrement avec son ami Von Papen le marchepied catholique de Hitler en janvier 1933 !

Le 26 juillet 1944, le gouvernement provisoire propose une liste de dignitaires religieux (dont les détenteurs des sièges épiscopaux de Paris, Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux…) au Vatican, aux fins de mise à l’écart pour collaboration avec le régime de Vichy. C’était une proposition du nonce Roncalli (futur Jean XXIII) pour soustraire ces princes de l’Eglise à la justice républicaine. Finalement le Vatican ne sanctionne que quelques supplétifs et maintient les cardinaux Suhard et à Lyon.

Il faut toute l’insistance de de Gaulle pour que Mgr Saliège, déjà fait Compagnon de la Libération, obtienne de Rome sa barrette de cardinal en févier 1946 : le Vatican et Roncalli lui reprochaient alors ses infirmités jugées incompatibles avec la fonction de cardinal !

Cela étant, sur le plan de la laïcité, les lois et décrets de Vichy ont de beaux restes, et de la suite…

L’ordonnance du 9 aout 1944 annule les lois de Vichy, sauf exceptions, mais l’Église bénéficie de plusieurs de ces exceptions.

Ainsi les dispositions prises le 3 septembre 1940, puis en 1942 en faveur des congrégations ne sont pas abrogées et demeurent en vigueur. Aussi, le processus de reconnaissance par l’État des congrégations, reprend-il dès 1966, depuis 180 ont été reconnues, au-delà du seul culte catholique

En 1951, loi « Marie » du 21 septembre 1951 permettant l’octroi de bourses aux élèves du privée comme dans des conditions similaires à ceux du public et ce au chapitre « « bourses nationales » du budget de l’éducation nationale », reprend le décret du 21 février 1942.

La loi du 31 décembre 1959 dite « Loi Debré », est trop bien connue. C’est la reprise des lois du 5 janvier 1941, du 8 septembre 1941, et du 8 avril 1942, ainsi que de l’arrêté du 23 novembre 1941.

Enfin, les récents tripatouillages, il n’y a pas d’autres mots, de l’article 910 du code civil qui soumet à autorisation préalable les dons et legs aux associations. Cet article nous vient via la Constituante et une ordonnance de Machaut d’Arnouville de 1747, d’une loi du 28 août 439, je dis bien du 28 août 439 dont l’exposé des motifs précise que « les prêtres doivent être riches en foi et biens spirituels, plutôt qu’en biens temporels et terrestres ». Cet article inchangé de 1803 à 2006, a depuis été modifié au moins trois fois, selon la méthode de la dilution et des approximations successives.

Pour conclure, l’Église de France institutionnelle s’est fourvoyée sur la base de l’illusion de légitimité d’un pouvoir illégitime, et s’en est somme toute plutôt bien sortie à la Libération. C’est toujours la vieille transaction de 425 avec l’Empire romain : « les princes en favorisant l’Église, travaillent encore moins pour l’Église que pour eux-mêmes ».

Je vous remercie chers auditeurs de m’avoir écouté patiemment et vous souhaite un bon dimanche et une bonne fin d’été.

 

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