Interview de François PADOVANI, Président du CLIPSAS.

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Se tient actuellement le Congrès national de la Libre Pensée à Alizay dans l’Eure. Un grand nombre d’associations amies ont tenu à faire part de leur amical et fraternel salut à la Libre Pensée, notamment François Padovani, President du CLIPSAS qui nous a transmis son interview à un blog maçonnique, présentant ses actions et points de vue. C’est bien volontiers que nous le publions

La Libre Pensée

RÉACTION DU CLIPSAS AU LIVRE BLANC DU GODF

1. Vous venez de présider la 54ème AG du CLIPSAS à Montréal. Que représente au juste cette organisation maçonnique internationale?

Ceux qui parlent du CLIPSAS ignorent trop souvent ce que ce sigle signifie. C’est une Association loi 1901, un Centre de Liaison et d’Information des Puissances Maçonniques Signataires de l’Appel de Strasbourg créé en 1961 à Strasbourg essentiellement par les volontés convergentes des Obédiences libérales.

Cet appel de Strasbourg, c’est en quelque sorte la profession de foi du CLIPSAS qui nourrit l’ambition, depuis sa fondation, de tenter de réunir un grand nombre d’Obédiences du monde entier, quels que soient leurs rites, à condition qu’elles aient pour référence la liberté de conscience et la fraternité universelle, sans poser en retour aucune condition de réciprocité de reconnaissance.

2. Quel bilan tirez-vous de cette session? (à laquelle nous croyons comprendre que certaines Obédiences fondatrices n’assistaient pas).

Je me permettrai de compléter votre  information en commençant par un rappel de la liste des Obédiences fondatrices du CLIPSAS : point essentiel, le  Grand Orient de France fut à la fois fondateur et initiateur. Se sont associés à lui, la Grande Loge d’Italie, le Grand Orient de Belgique, le Grand Orient de Suisse, le Grand Orient d’Autriche et le Grand Orient du Luxembourg, ainsi que la Serenísima Gran Logia de Lengua Española à New-York.

Sur l’ensemble des Obédiences fondatrices, le Grand Orient de Belgique était absent car démissionnaire de notre institution. Le Grand Orient de France, quant à lui, ne nous a pas prévenus de son absence.

Concernant votre question sur le bilan, je pense pouvoir affirmer que ça a été une bonne session, dans une ambiance sereine et fraternelle. Je ne suis pas le seul à y voir une volonté et un  encouragement à persévérer.

3. Vous vous situez pourtant dans une philosophie portée par de grandes Obédiences qui ont formé le CLIPSAS en 1961. Alors, comment expliquer le débat au GODF autour d’un Livre Blanc préconisant le retrait du CLIPSAS qui sera soumis au vote du Convent dans quelques jours ?

Vaste question qui en appelle d’autres !

Comme je le rappelais précédemment, la caractéristique commune des Obédiences fondatrices était qu’elles étaient pratiquement toutes européennes. Or  en 1996, une grave crise a secoué le CLIPSAS. C’est à cette époque que le GODF et le GODB ont claqué la porte une première fois. Cette politique de la chaise vide n’a pas remis en cause l’existence  du  CLIPSAS. Il  a survécu et a même prospéré autrement grâce à ce que certains appellent, il faut bien le dire avec une certaine forme de  mépris, « les petites Obédiences » ou encore « les Obédiences exotiques » appartenant aux 4 continents. Et c’est bien grâce à ces dernières  que  le CLIPSAS a survécu tant de décennies. Le CLIPSAS a si bien démontré son utilité, que le GODF et le GODB ont fini par le réintégrer. Mais il est évident que ces épisodes laissent des traces . .

Alors le GODF ?

Le GODF a donc réintégré le CLIPSAS en 2010.

J’apprécie votre question qui nous renvoie au Livre Blanc. Je m’en explique : Le Livre Blanc de la politique extérieure du GODF consacre un passage important au CLIPSAS. Nous comprenons tous que lors du Convent qui se tiendra à Rouen dans quelques jours, les loges seront invitées à voter pour se prononcer sur une troisième sortie du CLIPSAS. Les informations versées par le Conseil de l’Ordre du GODF au dossier destiné à informer les délégués sont malheureusement très orientées et ne me semblent pas à la hauteur des véritables enjeux. Je n’hésite pas à dire que nous sommes en présence d’un dossier à charge fait de demi-vérités et comportant même nombre d’affirmations erronées. Je me garderai bien d’affirmer que tout est parfait, car nous savons tous combien il serait présomptueux  de prétendre cela.

Pour autant, alors que je suis dans ma troisième année de présidence du CLIPSAS, je considère que mon devoir est de m’opposer à une présentation travestie du CLIPSAS et de le faire savoir, d’autant que les choix que feront les délégués des loges du GODF engageront durablement l’Obédience. Sincèrement, je ne crois pas que ce serait servir ses idéaux que de claquer une nouvelle fois la porte en sachant que ce serait sans doute un choix sans retour. L’enjeu dépasse le seul CLIPSAS et c’est pourquoi j’ai considéré opportun de répondre à vos questions.

C’est pourquoi, aussi, je vous remercie de l’opportunité que vous m’offrez de faire entendre  une autre voix, la mienne, et à travers la mienne, celles des Obédiences du CLIPSAS que je me dois de défendre.

4. Quelles sont les vrais raisons qui incitent le GODF à vouloir pousser ses loges à quitter le CLIPSAS ?

Ma réponse va vous surprendre : je ne connais pas la vraie et profonde motivation. Parler du GODF est peut-être une facilité de langage ? Ne s’agit-il pas plutôt de trois ou quatre maçons qui ont la chance de bénéficier d’un certain auditoire et en profitent pour influencer leur entourage ?

Sinon comment comprendre que nos nombreuses demandes de rencontres soient restées sans réponse sous le mandat actuel ?

5. En vous écoutant, je retrouve un écho aux arguments avancés par Gérard CONTREMOULIN, ancien Conseiller de l’Ordre du GODF, attentif aux stratégies internationales. Est-ce à dire que la porte reste ouverte à un dialogue constructif et à ce que l’on pourrait appeler une “sortie de crise” ?

Aucune Assemblée n’est parfaite, je le répète avec réalisme, et le CLIPSAS, comme d’autres, mérite certainement d’améliorer son fonctionnement. Les dirigeants du GODF se sont forgé un avis définitif sans venir à l’Assemblée Générale de 2018 (mais en donnant procuration, ce qui permet de dire qu’ils étaient présents car ils ont bel et bien voté), et réellement absents en 2019 (sans donner de procuration, ni même prévenir de leur absence).

Il est important de préciser que dans ces deux AG, des améliorations au fonctionnement ont été apportées, ce qui correspondait, en partie, à leur souhait. Mais il semble bien que quoique le CLIPSAS puisse faire pour s’améliorer, ils ont décidé d’en sortir. Il est évident que je leur reconnais ce droit. Mais pas au prix d’allégations infondées contre le CLIPSAS qui est loin d’avoir tous les défauts que ces détracteurs lui imputent.

Le Frère Gérard CONTREMOULIN a bien pris la juste mesure des véritables enjeux stratégiques lorsqu’il a mis en exergue, entre autre, un élément de réflexion qui semble ne pas être compris  de tous : face à l’ensemble maçonnique structuré et réparti sur toute la surface du globe, la GLUA (Grande Loge Unie d’Angleterre) règne presque sans partage dans un tout cohérent et puissant. Et il serait bien illusoire de miser sur un affaiblissement tel de la Maçonnerie dite “régulière” pour se permettre de baisser la garde. En effet, il demeure essentiel que  la maçonnerie libérale et adogmatique préserve sa capacité à se regrouper  dans une Association qui leur offre un cadre commun. Le CLIPSAS est aujourd’hui encore cette seule Association. C’est sa force. Et vouloir casser le CLIPSAS, plutôt que d’y rester et de l’améliorer, ferait des heureux parmi nos amis anglo-saxons.

Quant à « la porte ouverte », elle l’a toujours été. Les Obédiences membres du CLIPSAS, admirent le GODF qui reste pour elles une Obédience phare lorsqu’elle reste grande car fidèle à ses valeurs. Elles acceptent d’entendre ses recommandations pour la plupart d’entre elles, notamment les Obédiences Africaines et Sud-Américaines qui, il faut le dire, ont parfois du mal à saisir les motivations tactiques ; tout se passe comme si l’exécutif du GODF en était arrivé à ne plus souhaiter que cette grande puissance soit considérée comme le « Grand Frère » ! Statut très privilégié pourtant dans lequel nos amis africains et sud-américains se retrouvaient. Incompréhensible donc ! Mais ces derniers ont bien compris, eux, que le CLIPSAS n’est pas une Obédience, et encore moins une super-Obédience, seulement une Association qui est leur force sur la scène internationale car elle leur permet de conjuguer leurs efforts. Ce regret vaut d’ailleurs aussi bien pour le GODF que pour le GODB.

6. Ne pensez-vous pas que les Obédiences qui se considèrent comme de « grandes » Obédiences pourraient avoir la tentation  de créer une autre structure internationale ?

Qu’elles le fassent si telle est leur volonté. Plusieurs tentatives ont existé par le passé, toutes se sont soldées par des échecs cuisants. Ceux qui ont de la mémoire ou une culture à l’international se souviendront, par exemple de l’AMIL (Association Maçonnique Intercontinentale Libérale), du SIMPA (Secrétariat International Maçonnique des Puissances Adogmatiques), des RMU (Rencontres Maçonniques Universelles)… et j’en passe ! Chaque initiateur se croyant plus efficace que le précédent. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Le CLIPSAS existe, quant à lui, depuis 61 ans !

Alors, que chacun fasse ce qu’il doit, advienne que pourra.

Pour terminer sur ce sujet, je vous livre une véritable interrogation : comment se résoudre à ne pas vouloir soutenir (je ne dis pas « reconnaître ») des Obédiences, ces pseudo “petites Obédiences”, tant décriées et objets apparents du litige, alors même qu’elles vivent dans l’adversité lorsqu’elles défendent la laïcité, la liberté absolue de conscience, c’est à dire la liberté de croire ou de ne pas croire? J’avoue ne pas bien saisir la cohérence qu’il y aurait à proclamer de grands principes et à ne pas soutenir ceux qui les défendent dans les conditions les plus difficiles. Elles sont contraintes à résister dans des environnements politiques et religieux hostiles, et sont cernées par des Obédiences anglo-saxonnes toujours dominantes quoi qu’en disent ceux qui ne veulent pas voir les réalités.
La défense des valeurs humanistes ne serait-elle donc qu’un discours incantatoire ? J’avoue ne pas bien saisir.

7. Et lorsqu’il est question de l’ECOSOC dans tout cela ?

Je crains qu’un certain nombre de lecteurs ne sachent pas ce que recouvre cette interrogation. L’ECOSOC est le Conseil Economique et Social des Nations Unies. Il réunit quelques centaines d’ONG qui ne sont pas obligatoirement humanitaires. Le CLIPSAS a obtenu en 2014 le statut d’Observateur. C’est la seule voix internationale maçonnique aux Nations Unies et ce n’est pas rien. Et elle s’est déjà fait entendre à la tribune en 2015 grâce à la pertinence de sa contribution sur la « décroissance », thème hautement privilégié aujourd’hui.

Toutes les ONG sont représentées par des délégués.

Ainsi le CLIPSAS dispose de 15 délégués : 5 à New York, 5 à Vienne, 5 à Genève. A titre d’anecdote, des obédiences ont proposé des délégués issus de leurs rangs. Parmi elles : la fédération française du DH (2017), le Grand Orient de France (de 2013 à 2017, responsable d’ECOSOC au CLIPSAS). Or, force est de constater qu’aucun des délégués issus de ces deux Obédiences ne s’est jamais déplacé à Genève alors qu’il s’agissait de saisir une opportunité rare et sans précédent d’agir dans la cité, principe si souvent proclamé. Je vous laisse juge.

8. Conclusion

Pour conclure notre entretien, plutôt que de s’en tenir à ce qui ressemblerait à un plaidoyer pro domo, il me parait important de préciser que ce n’est ni cela, ni un réquisitoire. Je préfère tirer la sonnette d’alarme en faisant mien l’adage « mieux vaut prévenir que guérir ». N’oublions pas que nous évoluons dans un contexte maçonnique et qu’aucun d’entre nous ne devrait  perdre de vue ni la Fraternité, ni les exigences éthiques et stratégiques de notre engagement global.

Alors …Quitter le CLIPSAS… ? Cela pourrait-il avoir des effets préjudiciables ? Je le crains ! Aussi mon intime conviction est que les délégués des loges, appelés à se prononcer lors du convent prochain du GODF, saurons mesurer la véritable portée de cet enjeu, même si la quiétude du quotidien vécu dans nos loges ne nous amène pas toujours à regarder « au-delà des mers, au-delà des frontières ».