En hommage à deux combattants de la liberté

Pour nous suivre

Maurice Rajsfus et Zeev Sternhell viennent de nous quitter il y a peu.

La Fédération nationale de la Libre Pensée tient à leur rendre un hommage mérité. C’est pourquoi, nous publions les hommages de Dominique Goussot et Jean-Marc Schiappa Nous publierons ces hommages dans notre revue la Raison.

La Libre Pensée

Maurice Rajsfus, une conscience libre dans le siècle

Le 13 juin 2020, le jour même du rassemblement de milliers de manifestants contre les violences policières et le racisme ainsi que de l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’État condamnant la restriction du droit de manifester dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, Maurice Plocki alias Rajsfus, l’observateur attentif pendant tant d’années des bavures de la police, s’est éteint à l’âge de quatre-vingt-douze ans. La Fédération nationale de la Libre Pensée, à laquelle il avait apporté publiquement son soutien lorsque fut lancé, en juin 2005, l’Appel des 666 contre le délit de blasphème et le retour de l’ordre moral, salue la mémoire d’un militant toujours critique et d’un homme de plume sachant mettre au jour les monstruosités induites par la raison d’État auxquelles il avait échappé en juillet 1942.

La fuite de l’enfant juif

Maurice naît en France dans une famille d’immigrés juifs polonais, arrivés en France durant les années 1920. Ceux-ci exercent la profession de marchands forains de bas et chaussettes jusqu’à ce que la pratique de ce petit commerce leur soit interdite, en application du statut des Juifs du 3 octobre 1940. Maurice et sa sœur aînée Jenny sont au nombre des quatre mille enfants arrêtés avec neuf mille adultes par la police française, le 16 juillet 1942, sur l’ordre de René Bousquet, Secrétaire général de la police de Vichy, pour le compte des autorités nazies qui ont programmé la solution finale à la conférence du Wannsee, six mois plus tôt. Regroupés temporairement à Vincennes avec leurs enfants dans un centre près du lieu d’habitation de la famille, les parents Plocki acceptent que Maurice et Jenny, au motif qu’ils sont, contrairement à eux, de nationalité française, quittent le centre. Ils sauvent ainsi leurs deux enfants qui ne les reverront plus : la famille Plocki, transférée au camp d’Auschwitz le 27 juillet 1942, y est exterminée.

Maurice et Jenny survivent grâce à l’aide d’une famille amie de Vincennes et des secours de l’Organisation de reconstruction par le travail (ORT) qui sera incorporée de force dans l’Union générale des israélites de France (UGIF), dont Maurice, moins de quarante ans plus tard dressera un bilan sans concession dans un ouvrage intitulé Des Juifs dans la collaboration1. Il entreprend une formation de joailler, profession qu’il n’exerce que peu d’années. Le marbre des journaux puis le travail de journaliste l’attirent davantage.

Le militant à l’esprit libre

Le 28 août 1944, âgé de seize ans, Maurice Rajsfus revient respirer l’air de révolution qui flotte dans le Paris de la Libération. Dans la foulée, il adhère aux Jeunesses communistes, puis au Parti communiste français (PCF), alors si puissants. Néanmoins, il discute, conteste et refuse l’embrigadement de la pensée. Avec la brutalité et la subtilité qui les caractérisent, les staliniens se séparent de Maurice, qualifié de « provocateur policier » et d’« hitléro-trotskiste », parce qu’il ose dire que la grève est l’arme des travailleurs, alors que les dirigeants et les ministres du PCF demandent des sacrifices à la classe ouvrière pour reconstruire la France et tiennent un discours chauvin.

En octobre 1946, libéré du carcan stalinien et éclairé par sa rencontre avec les animateurs du Mouvement laïque des auberges de jeunesse qu’il fréquente assidument, Maurice Rajsfus rejoint le Parti communiste internationaliste (PCI), section française de la Quatrième internationale alors unifiée, sa sœur Jenny étant par ailleurs la compagne de Jean-René Chauvin, ancien déporté membre de cette organisation. Michel Raptis dit Pablo assure sa formation. Toutefois, la probable insistance de Pablo à défendre non pas seulement l’Union soviétique comme État ouvrier ayant instauré une économie fondée sur l’appropriation collective des moyens de production et d’échange mais aussi la bureaucratie stalinienne qui dénature cet État le pousse dans les bras de Cornélius Castoriadis et Claude Lefort du groupe Socialisme et barbarie qui considère que le régime économique institué en octobre 1917 en Russie doit être caractérisé comme un capitalisme d’État.

Au cours de l’été 1950, encore aux côtés des trotskistes, Maurice Rajsfus participe à une brigade de travail dans la Yougoslavie de Tito, en délicatesse avec Moscou. Il mesure les illusions de ses camarades sur le régime yougoslave, ce qui l’éloigne du militantisme classique au profit d’un engagement d’un autre ordre. En 1951, il rencontre les surréalistes, notamment le poète Benjamin Perret, également rallié à la thèse de l’existence d’un capitalisme d’État en Union soviétique, et apprécie l’œuvre de Jacques Prévert. Dans la même période, il rencontre Édouard Glissant et découvre grâce à lui Aimé Césaire, dont l’œuvre l’éblouit comme le soleil de la terre natale de l’écrivain des Caraïbes. Sans travail et fort pauvre, Maurice Rajsfus mène alors une vie de bohême dans le climat si particulier du Saint-Germain des Prés de l’immédiat après-guerre. Il tente en vain de publier des textes littéraires dans des revues aussi confidentielles qu’éphémères.

L’homme de plume qui dévoile les coulisses nauséabondes de la raison d’État

Si la voie de la littérature lui demeure fermée, en revanche la plume devient l’instrument par lequel il soigne la blessure jamais refermée d’une adolescence brisée au cœur de l’été 1942 : « Je m’enchantais de tout ce qui pouvait mettre à mal cette société à qui je n’avais rien pardonné et avec laquelle mes comptes ne seraient jamais réglés » livre-t-il à l’auteur de sa notice biographique dans le dictionnaire Le Maitron, en 19922. Certes, il n’abandonne pas toute action militante classique. Dès 1955, il organise le Comité des mouvements de jeunesse de la région parisienne contre l’utilisation du contingent en Algérie. Moins de dix ans plus tard, il participe un temps à l’aventure du Parti socialiste unifié (PSU), au point même d’être candidat sur la liste présentée par cette formation à l’élection municipale de Vincennes, en 1965. Encore au début des années 1990, il s’investit dans l’association Ras l’Front.

Néanmoins, la plume occupe bientôt tout l’espace de son existence. Elle est à la fois son gagne-pain et le porte-voix de sa colère. Le jour, il exerce la profession de journaliste. De 1958 à 1968, il travaille à la revue La Vie des métiers qui le remercie après mai 1968, parce qu’il y a mené la grève. Quatre ans plus tard, après un passage au journal Le Monde, il devient rédacteur en chef de la Revue de la formation permanente qui le renvoie dès 1976. Il poursuit alors son activité de journaliste comme pigiste dans de nombreuses publications.

La nuit, il écrit pour tenter de régler ses comptes avec ceux qui ont brisé sa vie. Bien sûr, il publie des petites feuilles militantes, comme L’Enragé de Fontenay-aux-Roses, en 1969, ou Action banlieue Sud de 1970 à 1975. Néanmoins, l’essentiel de son œuvre est ailleurs.

En premier lieu, de 1968 à 2014, il tient la chronique détaillée des bavures policières qui émaillent la vie politique française. Ce travail de recension donne lieu à la fondation d’un Observatoire des libertés publiques en 1994, à la diffusion jusqu’en 1999 du bulletin Que fait la police ?, et à la publication, en 1996, d’un ouvrage intitulé La police hors la loiDes milliers de bavures sans ordonnances depuis 19683. Les exactions policières nourrissent d’autres travaux de Maurice Rajsfus qui aborde aussi bien la répression en mai 19684 que celle exercée durant la Grande Guerre5.

Maurice Rajsfus parvient même à mettre au jour des événements tragiques que le pouvoir, quel qu’en soit le titulaire, s’emploie à effacer des livres d’histoire. Ainsi, il révèle dans un ouvrage publié en 2003 le sanglant 14-Juillet de 19536, qui précède la grande grève des fonctionnaires du mois d’août. Lors de la dislocation d’une manifestation en l’honneur de la Révolution Française, la police parisienne charge des manifestants algériens, plus d’un an avant la Toussaint rouge. Sept personnes (six Algériens et un Français) sont tuées et une centaine d’autres blessées dont certaines par balles7.

En second lieu, Maurice Rajsfus porte un regard acéré sur la police de Vichy et la rafle des 16 et 17 juillet 1942 en zone occupée, qui nourrit sans cesse sa traque de la bavure policière. Il n’en finit pas d’explorer l’événement ainsi que le fonctionnement de cette police, mise au service de l’occupant et de la politique d’extermination des Juifs conduite par la Nazis. Pour s’en tenir à deux titres, signalons La Rafle du Vél’ d’Hiv’8 et La Police de Vichy, les forces de l’ordre au service de la Gestapo, 1940-19449. Cette quête est conduite avec la plus grande lucidité. Maurice Rajsfus n’exonère pas les notables israélites de leurs responsabilités dans le drame subi par les Juifs qui résidaient en France durant la guerre. Avec son ouvrage Des Juifs dans la collaboration, il met au jour la puissance des affrontements de classe dans le déroulement de la tragédie : « Malgré les épreuves, la solidarité de classe sera plus forte que la solidarité tout court » écrit-il de manière lapidaire. Il analyse avec autant de lucidité le conflit israélo-palestinien ultérieur.

Maurice, salut et fraternité.

Dominique Goussot

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Zeev Sternhell (1935-2020)

L’annonce du décès de Zeev Sternhell a chagriné tous les lecteurs de La Raison. Survivant des ghettos juifs polonais, c’était un intellectuel et un polémiste reconnu, historien, homme de paix, militant. Il fut cofondateur du mouvement israélien La paix maintenant, opposé à la colonisation sioniste, victime d’un attentat, dans lequel il est blessé, de la part des ultra-nationalistes israéliens. En février 2018, il comparait le sort des juifs avant la guerre et celui des Palestiniens d’aujourd’hui. « Il a été une voix fondamentale pour le droit des Palestiniens et contre l’occupation des territoires », a déclaré à sa mort Ayman Odeh, représentant des partis arabes israéliens. René Backmann a titré sa nécrologie dans Mediapart « Mort d’un Juste ». On ne peut mieux dire.

On ne peut dissocier sa vie politique de sa vie intellectuelle. Mais il serait malhonnête de dire que tout dans sa vie intellectuelle méritait une approbation sans faille et il n’est nullement certain que lui, homme de conviction et de litige, eût approuvé une unanimité de louanges superficielles.

Les anti-Lumières

Faisons un crochet dans la chronologie et parlons d’abord de Les anti-Lumières. Du XVIIIe siècle à la guerre froide (2006). On peut estimer que c’est son livre le plus important. Sternhell était d’abord un historien des idées ; c’était sa force mais, incontestablement, sa faiblesse. Il ne s’agit pas ici de dire tout ce que l’on peut penser de la branche « histoire des idées » dans la forêt générale de l’Histoire. Si « l’Histoire est la science des hommes dans le temps » pour rappeler le fort propos de Marc Bloch, notre maître à tous, il est assurément délicat de séparer l’histoire des idées de l’histoire des hommes, des forces sociales, des économies, des sociétés. Pourtant, dans cet exercice périlleux, Les Anti Lumières est d’une rare qualité10.

Il dévoile un important corpus idéologique commun (avec, évidemment, certaines différences ou contradictions de la part des protagonistes) entre les anti-Lumières (Burke, Herder, Taine, pour parler bref), la sociologie durkheimienne, Augustin Cochin, François Furet et Pierre Rosanvallon (pour ne prendre que ces deux exemples contemporains) et la Doctrine sociale de l’Eglise. En fait, c’est celle-ci qui est la pierre angulaire de l’ensemble (et pas seulement d’un point de vue chronologique). Cette idéologie d’ensemble est fondée sur l’organicisme, le corporatisme, la subsidiarité, la foi (au sens de « la croyance en un dogme ») et l’obéissance à l’autorité. On peut y ajouter le regret de l’Ancien-Régime et la crainte des révolutions. Cette théorie se présente comme non-politique, puisqu’elle est la formulation d’une situation immuable et que la politique est mouvement visant à modifier cette situation immuable. C’est un élément basique des anti-Lumières : rien ne peut bouger. Vanitas, vanitatum. Tout est vain, tout est illusoire. Pas de politique …

Mais il existe un danger terrible et le livre n’y échappe pas : extraire, en quelque sorte, les idées de leur contexte, des forces sociales, politiques, culturelles qui les portent (ou qui les combattent). Les sortir de l’Histoire, tout simplement. C’est ce reproche qui a été fait à Zeev Sternhell et pas toujours innocemment.

Un débat sur le fascisme

Pendant longtemps, la doxa était dite par René Rémond, grand clérical devant l’Éternel. En France, existaient trois droites : bonapartiste, légitimiste, orléaniste. Ce départ avait un immense avantage : il ne se prononçait pas sur l’existence du fascisme en France ; mieux, il l’excluait du débat qui était terminé avant même de commencer.

Secouant le cocotier, Sternhell, dans plusieurs ouvrages, faisait de la France le véritable berceau du fascisme et faisait commencer celui-ci dès la fin du XIXe siècle11 ; en quelque sorte le fascisme était né avant le fascisme. Pour parler comme dans mon jeune temps, Sternhell est passé « de l’autre côté du cheval ».

Il y eut une sorte de haut le cœur, très français, très chauvin : « De quoi, de quoi ? Un étranger va nous dire quelque chose sur l’histoire de France ? ». Déjà, un américain, Robert O. Paxton, avait eu le front, en 1972, de nous parler de Vichy… Cela devint une véritable rengaine : Ainsi, Le Figaro du 13 mars 2019, écrit à propos de l’ouvrage L’histoire refoulée « Zeev Sternhell, historien israélien bien connu, et les auteurs, pour la plupart anglo-saxons, qu’il a réunis se sont fixés pour objectif de revisiter l’histoire des Croix de Feu ». La présentation de L’Histoire12 (revue fondée par Michel Winock13 ) évoque « l’historien israélien » qui récuse « les faits établis par nombre d’historiens français ». Dans l’important ouvrage de Pierre Milza Fascismes français, qui corrige un certain nombre d’approximations de Sternhell (pourquoi les nier ?), on ne compte plus les formulations comme « l’universitaire de Tel Aviv »…

Le débat aurait pu être bien plus fécond que la polémique. Présentant la controverse, la revue Vingtième siècle écrit : « A Vingtième siècle, nous tenons Sternhell pour un historien vrai, de ceux qui vont aux sources, lisent de près et ont fait leurs preuves ; pour un chercheur qui, dans sa hâte d’avancer vers une connaissance renouvelée, est libre de prendre le risque de faire un livre discutable, sans pour autant se mettre au ban de la communauté scientifique ni souiller aucun drapeau »14. Bien étrange exorde ! Aurait-il fallu croire que le risque de bannissement était seulement envisageable ?

Mais, malgré les récriminations, le débat fut poursuivi et le fascisme français fut étudié dans ses nuances : le seul parti fasciste de masse était celui de Doriot, par exemple. Le fascisme de masse, comparable au fascisme italien, au nazisme, au franquisme, n’existait pas en France. Il y eut des fascistes mais pas de fascisme. Tout cela est à porter au crédit de Sternhell, répétons-le, malgré ses erreurs et ses approximations.

Alors, pourquoi n’y eut-il pas de fascisme en France ? Le débat est complexe et bien riche. Par exemple, Serge Bernstein, historien solide, parle dans l’article mentionné plus haut de « cette imperméabilité de la France au fascisme ». Bien plus que « les traditions démocratiques » qu’il invoque (mais le système parlementaire italien n’existait-il pas avant 1920 malgré la monarchie ? mais les tentations autoritaires n’existaient-elles pas en France tout au long de la IIIe République depuis l’Affaire Boulanger jusqu’au gouvernement semi-militaire de Clémenceau ?) ne faudrait-il pas regarder du côté de l’immobilisme paysan qui a empêché de fournir la main d’œuvre déclassée propre aux coups de main fascistes ? Ne faut-il pas regarder du côté de l’Empire colonial propice à recevoir tous les assoiffés d’aventures ? Pas de besoin de corps-francs, quand la Légion étrangère ou l’aventure ultra-marine sont là…). Évidemment, il faudrait aller beaucoup plus loin que ces remarques mais ce n’est pas le lieu.

La gauche, matrice du fascisme ?

Une autre erreur de méthode de Sternell fut d’expliquer que « en France, le fascisme prend ses sources, et ses hommes, aussi bien à gauche qu’à droite, très souvent beaucoup plus à gauche qu’à droite ».

Allons donc ! Si les organisations ouvrières ont été la matrice du fascisme, il fallait être un irresponsable pour, comme l’a fait, par exemple, Trotsky proposer le Front Unique des organisations ouvrières pour barrer la route au fascisme. J’attends ici les arguments en ce sens, non sans un certain plaisir …

Si tel était le cas, en Allemagne quelle est la continuité théorique, doctrinale, politique, organisationnelle entre le SPD et le KPD, d’une part, et le nazisme, d’autre part ? Quel est le chef nazi qui a fait ses armes dans « la gauche » ? Et en Angleterre ? Sternhell écrit : « Il ne s’agit point ici d’un phénomène spécifique à la France : le comportement du ministre travailliste Oswald Mosley… ». Certes, mais Mosley fut, d’abord, un député conservateur de 1918 à 1920, puis un député indépendant de 1920 à 1924, puis travailliste de 1924 à 1931, date à laquelle il fonde le « New Party », avant de devenir fasciste en 1932. Établir une filiation entre le travaillisme et le fascisme par l’exemple, marginal et excentrique, de Mosley est, disons, approximatif.

La social-démocratie a besoin du parlementarisme que le fascisme veut détruire : « La victoire du fascisme s’accomplit par la destruction des organisations ouvrières et la suppression des libertés démocratiques »15. Ce seraient les organisations ouvrières qui seraient la matrice du fascisme qui les détruira ? On a connu des scorpions moins suicidaires…

Il ne faut pas confondre le corporatisme de Déat qui a tout fait, dès Perspectives socialistes (1930), pour détruire le réformisme social-démocrate et celui-ci. Le destin des individus est net : les dirigeants sociaux-démocrates Dunois et Lebas s’étaient opposés à Déat, ils sont morts en déportation.

Il ne faut pas confondre non plus le fascisme qui est la destruction physique du mouvement ouvrier et le corporatisme qui est l’intégration des organisations ouvrières. C’est une erreur grave que faisait Sternhell ; elle ne nous aliène en rien notre sympathie et notre estime, mais nous ne sommes pas obligés de la commettre à notre tour.

Sternhell écrit également : « Nul autre parti communiste ne perd en faveur d’un parti fasciste un tel nombre de membres de son Bureau politique que le PCF »16. Cela est tout simplement faux. Les futurs collabos Barbé et Célor ne sont plus membres du Bureau Politique depuis 1931 et Doriot depuis 1934 ; on ne peut citer que Gitton, devenu hitlérien. On additionne des carottes et des camions. On oublie de dire combien il eut de membres de cette instance : une cinquantaine jusqu’à 1937 (dernier congrès avant la guerre). Quatre sur une cinquantaine, la moisson est maigre et peu convaincante. Dans une revue maintenant sabordée faute de lecteurs, l’auteur de ces lignes écrivait : « A l’inverse, les bureaucrates qui tiennent leur place de l’appareil international restent pour l’essentiel fidèles : seulement 3 sur 31 membres du comité central d’avant-guerre (10 %), Soupé, Vassart et Gitton, quittent le parti et deviennent d’actifs collaborateurs hitlériens »17. La haine du stalinisme ne doit pas, elle non plus, nous aveugler…

Offusqué par le pilonnage en règle dont était victime Sternell, Laurent Joffrin dans Libération écrivait le 28 novembre 2014 : « La critique de Sternhell est légitime. Son excommunication, certainement pas ». On pourrait le plagier : la sympathie pour Sternhell est légitime. La répétition de ses erreurs, certainement pas.

Jean-Marc Schiappa, Président de l’IRELP.

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  1. Maurice Rajsfus, Des Juifs dans la collaboration, Éditions & documentations internationales (EDI), 1980. 

  2. Jean-Paul Salles, Dictionnaire biographique Le Maitron, Mouvement ouvrier, Mouvement social, 26 août 2018. 

  3. Maurice Rajsfus, Des milliers de bavures sans ordonnances depuis 1968, Éditions Le Cherche midi, 1996. 

  4. Maurice Rajsfus, Mai 68, Sous les pavés la répression, Éditions Le Cherche midi, 1998. 

  5. Maurice Rajsfus, La Censure militaire et policière 1914-1918, Éditions Le Cherche midi, 1999. 

  6. Maurice Rajsfus, 1953, un 14 juillet sanglant, coll. « Moisson Rouge », Éditions Agnès Viénot, 2003. 

  7. Voir le site La Horde 

  8. Maurice Rajsfus, La Rafle du Vél’ d’Hiv’, coll. Que sais-je ?, Éditions des PUF. 

  9. Maurice Rajsfus, La Police de Vichy, les forces de l’ordre au service de la Gestapo 1940-1944, Éditions Le Cherche midi, 1995. 

  10. Ce n’est pas l’avis de tout le monde. Ainsi Jean-Clément Martin in Annales historiques de la Révolution française, de 2013 n° 372 décrit «une écriture aussi intolérante et polémique » 

  11. Notamment, Ni droite ni gauche : l’idéologie fasciste en France, 1983. Les citations de Sternhell sont tirés de cet ouvrage. 

  12. https://www.lhistoire.fr/serge-berstein-r%C3%A9pond-%C3%A0-zeev-sternhell-dans-%C2%AB%C2%A0marianne%C2%A0%C2%BB. 

  13. Est-il possible que Winock, rédacteur d’Esprit et grand pourfendeur de Sternell, eut été choqué par le rappel de l’approbation portée dans les colonnes d’Esprit à l’invasion nazie de l’URSS en 1941 ? 

  14. Présentation à l’article de Serge Berstein « La France des années trente allergique au fascisme » in Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°2, avril 1984. pp. 83-94. 

  15. Philippe Burrin, La dérive fasciste, Doriot, Déat, Bergery, rééd., 2003, p. 79. 

  16. Cette citation sert un peu à n’importe quoi : un blog de Médiapart (https://blogs.mediapart.fr/b-girard/blog/271218/lheure-des-gilets-jaunes-relire-zeev-sternhell ) nous invite à relire Sternhell au moment des Gilets Jaunes et des « doctrines les plus glauques défendues par quelques gros bras »…  

  17. JMS, « Le PCF en 1939 » in Cahiers du mouvement ouvrier 1999, n°7, pp. 89 et sq.