Le cadeau d’anniversaire du 2 décembre : Les nouveaux décrets contre les libertés et droits fondamentaux

Pour nous suivre

L’épidémie de SARS-COV-2 accélère et amplifie brutalement des processus à l’œuvre depuis longtemps. En particulier, elle offre l’opportunité au Pouvoir exécutif, par l’intermédiaire d’une majorité parlementaire aux ordres, en dépit des états d’âme d’un nombre grandissant de ses membres, lorsqu’il est contraint de recourir à la loi, ou de son propre chef, quand il est habilité à légiférer par ordonnance ou exerce son pouvoir réglementaire, de porter gravement atteinte aux libertés et droits fondamentaux. La publication des décrets du 2 décembre1 2020 modifiant les dispositions du Code de la sécurité intérieure (CSI) relatives au traitement des données à caractère personnel dans le cadre, d’une part, des enquêtes administratives liées à la sécurité publique, d’autre part, de la prévention des atteintes à la sécurité publique s’inscrit dans ce mouvement d’ensemble.

La tentation autoritaire de la Cinquième République  s’emballe depuis 2017

Depuis les débuts de la Cinquième République, les libertés et droits fondamentaux sont régulièrement fragilisés dans la mesure où ils s’accordent mal avec un régime bonapartiste assurant des pouvoirs très étendus au Président de la République et abaissant le Parlement : en sont quelques exemples la mise en œuvre pendant plus de cinq mois, du 23 avril au 29 septembre 1961, de l’article 16 de la Constitution de 1958 donnant au chef de l’État des pouvoirs exceptionnels en cas de crise lors de la tentative de putsch d’Alger qui échoue pourtant au bout de quelques jours ; la loi sécurité et liberté du 2 février 1981 dont les dispositions demeurées en vigueur prévoient la comparution immédiate, une procédure peu respectueuse des droits du justiciable ; la mise en œuvre à plusieurs reprises de l’état d’urgence, notamment en 2015, pendant pratiquement dix-huit mois.

Depuis l’élection présidentielle de mai 2017, les dérives autoritaires se multiplient. La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme introduit dans le droit commun les mesures d’exception de l’état d’urgence, parfois sans l’accord préalable d’un juge : en constituent quelques exemples les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les zones de sécurité créées temporairement par les préfets, l’assouplissement des règles encadrant les visites domiciliaires par la police.

La loi du 23 mars 2020 sur l’état d’urgence sanitaire donne au pouvoir exécutif d’importants pouvoirs de restriction des libertés fondamentales, notamment celles d’aller et de venir, de manifester sur la voie publique ou de pratiquer un culte. De surcroît, sont en cours d’examen deux textes inquiétants. D’une part, l’Assemblée nationale vient d’adopter en première lecture une proposition de loi de sécurité globale qui, si elle est adoptée en l’état, porterait atteinte à la liberté de la presse, renforcerait les pouvoirs des polices municipales et des groupements de sécurité privée et autoriserait la surveillance par « caméras installées sur des aéronefs » pour mener des actions de sécurité civile mais aussi de sécurité publique, notamment lors des manifestations.

D’autre part, le projet de loi confortant les principes républicains, s’il était voté, remettrait en cause les libertés de l’enseignement, d’association et de conscience, garanties par les lois des 28 mars 1882, 1er juillet 1901 et 9 décembre 1905. Cet emballement législatif sécuritaire se déroule sur la toile de fonds de l’accroissement des violences policières à l’origine de nombreuses mutilations et gardes à vue abusives depuis 2018.

Les décrets du 2 décembre 2020  élargissent les possibilités de fichage des individus

Participe de cet emballement, au prétexte une fois de plus d’intensifier la lutte contre le terrorisme à la suite des attentats de Romans-sur Isère et Colombes en avril puis de Conflans-Sainte-Honorine et Nice en octobre, la publication des décrets du 2 décembre 2020 modifiant les articles R. 236-1 à R. 236-20 du CSI aux fins d’étendre le champ des traitements automatisés de données à caractère personnel recueillies au cours des enquêtes administratives liées à la sécurité publique et au titre de la prévention des atteintes à la sécurité publique.

En ce qui concerne les premières, les services de police sont autorisés à recueillir, conserver pendant cinq ans et analyser des informations à caractère personnel ayant trait à des individus âgés de seize ans et plus. À l’origine, le traitement automatisé concernait les personnes appelées à exercer ou exerçant des emplois publics, notamment dans les domaines sensibles de la sécurité et de la défense. Au fil du temps, il a été étendu à celles dont l’activité est susceptible d’intéresser la sécurité des biens et des personnes utilisant des services publics de transport ou qui demandent la nationalité française.

Le premier décret du 2 décembre 2020 franchit la ligne jaune : en l’absence de base législative claire, il autorise la police à recueillir, conserver et analyser des « données intéressant la sûreté de l’État [et révélant] des activités susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou de constituer une menace terroriste portant atteinte à ces mêmes intérêts. » Les enquêtes administratives couvrent donc désormais un champ très vaste, en l’absence de garantie sérieuse pour les personnes concernées dès lors que celles-ci ne disposent pas, en l’espèce, du droit d’opposition prévu par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique et aux libertés.

En ce qui concerne la seconde, en l’absence de toute base législative, les articles R. 236-11 et suivants du CSI donnent aux services de police le pouvoir d’effectuer un traitement automatisé de données à caractère personnel au titre de la prévention des atteintes à la sécurité publique. Ces informations concernent des personnes âgées de treize ans et plus et sont conservées pendant dix ans. À l’origine, cette action policière de prévention se limitait au domaine de la sécurité publique et les données susceptibles d’être recueillies étaient de deux ordres : les « signes physiques particuliers » présentant un caractère incontestable ; les « activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales ».

Si l’enregistrement et la manipulation de telles données constituaient déjà en eux-mêmes une atteinte grave aux droits fondamentaux des individus, ils demeuraient néanmoins fondés sur des éléments objectifs d’appréciation. Or, le second décret du 2 décembre 2020 accentue fortement les pouvoirs de la police en la matière en lui permettant de recueillir des informations éminemment subjectives ou d’une particulière sensibilité. D’une part, il ajoute au champ de la sécurité publique stricto sensu celui, très vaste et malléable à l’infini, de la lutte contre le terrorisme : « Les données intéressant la sûreté de l’État sont celles qui révèlent des activités susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou de constituer une menace terroriste portant atteinte à ces mêmes intérêts

D’autre part, il substitue l’enregistrement des « opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses ou [de] l’appartenance syndicale » à celui des « activités » dans ces domaines. Si l’activité repose sur des actes, en revanche l’opinion ou la conviction, par nature fluctuante et toujours sujette à discussion, reste impossible à établir. De simples propos de comptoir tenus au bistrot pourront-ils justifier un fichage pendant dix ans comme individu suspect ? L’opinion est-elle par elle-même une menace ? Son enregistrement par la police constitue-t-elle l’antichambre d’un délit nouveau d’opinion ou d’intention ?

Enfin, la police peut également désormais enregistrer des « données de santé révélant une gravité particulière ». Outre la violation du secret médical qu’autorise cette disposition, celle-ci reste d’interprétation difficile. S’agit-il de consigner des données de santé en vue d’éviter des bavures policières dans les commissariats, toujours délicates à justifier auprès de l’opinion ? S’agit-il d’inscrire dans les fichiers de police des malades mentaux ? Cette deuxième hypothèse est sans doute la bonne, même si elle n’exclut pas la première. En 2018, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a publié une étude concluant, à partir de l’étude de soixante-et-onze dossiers de personnes impliquées dans une action terroriste de 2010 à 2016, que 30 % de ces dernières souffraient de « failles psychologiques ». Déprimés, psychotiques, bipolaires, autistes attendez-vous à être fichés par la police !

Un troisième décret du même jour reprend les mêmes dispositions pour modifier en conséquence les règles applicables en matière de « gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique » et prévues aux articles R. 236-21 et suivants du CSI.

Devant l’élargissement des champs d’application des textes régissant les enquêtes administratives liées à la sécurité publique et l’action conduite par la police en matière de prévention des atteintes à la sécurité publique, parfois en l’absence de toute base législative, la défense des libertés et droits fondamentaux appelle un cri d’alerte et une seule proposition :

Retrait des décrets du 2 décembre 2020 !

Paris-Bastille, 16 décembre 2020

TELECHARGEZ AU FORMAT RTF

TELECHARGEZ AU FORMAT PDF

image mise en avant : La cavalerie de d’Allonville dans les rues de Paris – Gravure ancienne anonyme 1851-1852


  1. Le coup d’État du 2 décembre 1851 est l’acte par lequel, en violation de la légitimité constitutionnelle, Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la République française depuis trois ans, conserve le pouvoir à quelques mois de la fin de son mandat alors que la Constitution de la Deuxième République lui interdisait de se représenter.