Service National Universel : embrigadement de la jeunesse, militarisation de la société

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Dimanche 13 décembre 2020

Émission présentée par Christophe Bitaud, vice-président de la FNLP. Il reçoit Émilie Monsillon et Christian Mahieux pour évoquer avec eux la question du Service National Universel.

C.B. : Émilie, Christian, quels sont vos parcours militants respectifs et plus particulièrement vos engagements antimilitaristes, anti-autoritaires ?

E.M. : Je suis militante de la Libre Pensée depuis environ 10 ans. Fille de militants ouvriers, de syndicalistes, j’ai baigné dans les réunions politiques, les manifestations depuis l’enfance. Les hommes de ma génération n’ont pas subi le service militaire. Je n’ai pas le sentiment d’avoir particulièrement subi d’ambiance autoritaire qui aurait réveillé en moi l’antimilitarisme. Mes convictions sont d’avantage nées de fréquentations de militants plus âgés et au fur et à mesure de l’acquisition de connaissances historiques. Par exemple il y a le combat pour la Réhabilitation des Fusillés pour l’Exemple de la guerre 14/18 qui m’a un peu ouvert les yeux, ouvert grand les yeux sur le sort des soldats. Cela a renforcé vraiment mon aversion pour les conflits armés et surtout pour ceux qui les justifient.

J’ai également rencontré des gendarmes et des militaires au cours de ma vie, pendant la journée « citoyenne » et pendant des recrutements subis et contraints par Pôle Emploi. Il m’a semblé évident que confier toute une classe d’âge aux militaires était une idée catastrophique.

C.M. : Bonjour. Je suis né en 1957, je suis donc la première génération de l’immédiat après 68. Mes premières manifestations sont contre la loi Debré en 1973. Loi Debré qui visait notamment les sursis qui permettaient de différer l’appel au service militaire quand on faisait des études. Mais au-delà de cette question des sursis, ces manifestations contre la loi Debré, dans le mouvement lycéen notamment, m’ont rapidement débordées sur la question antimilitariste, la question anti-autoritaire d’une manière plus générale.

Ces années 73 et suivantes c’est aussi la période des luttes antimilitaristes assez fortes, aussi bien sous la forme de comités de soldats, d’objection de conscience ou de l’insoumission totale. Tous cela en rapport avec le service militaire qui était obligatoire à ce moment-là.

J’ai fait le choix de l’objection de conscience, mais de l’objection collective ce qui fait que dans le cadre de cette lutte je suis passé par des périodes d’insoumission totale, jusqu’à la régularisation des personnes qui avaient fait des demandes d’objection collective. Régulation faite en 1982.

Dans ces années 70, à partir du mouvement antimilitariste, c’est aussi comme cela que j’ai commencé à lire, fréquenter un certain nombre de mouvements et de manifestations libertaires.

C.B. : Le service militaire a été suspendu en 1997. Le Président de la République et son gouvernement entendent donner une nouvelle impulsion au service national afin, prétendent-ils « d’offrir à chaque classe d’âge de 15 à 16 ans, l’occasion de partager, pendant un mois, une expérience commune contribuant à la cohésion nationale et l’occasion de mesurer la force de l’engagement auquel ils seront invités à souscrire sous diverses formes à la suite.

Pourquoi vos organisations respectives, la Libre Pensée pour Émilie, le syndicat Sud pour Christian, combattent-elles le SNU ?

Que vous inspirent ces notions de cohésion nationale, d’engagement et d’universel brandies par le gouvernement ?

E.M. : J’ai écrit une conférence au sujet du SNU, que j’ai présentée à quelques reprises, et ces mots qui peuvent apparaître forts mais qui sont surtout creux, font partis des points que j’aborde.

Que serait la cohésion nationale et à quel prix l’obtiendrait-on ?

C’est comme le terme « valeurs » qui peut abriter derrière une façade républicaine, moult idées réactionnaires ou xénophobes.

Ce sont des mots qui me mettent immédiatement en alerte. Ils ont au moins ce mérite là.

Le côté universel quant à lui c’est une idée purement marketing. Universel c’est pour tous, c’est ouvert, c’est généreux. Or l’on sait déjà que ces camps n’ont rien d’ouverts, rien de généreux. Il s’agit de se mettre en rangs, de se taire pour une idée qui nous dépasserait : la Nation.

On est carrément dans le culte. Il est dangereux de former la jeunesse à penser un État de cette façon. La République devrait avoir pour mission l’émancipation pas le repli.

La phase d’émancipation du SNU façon caserne sera l’occasion d’exacerber les violences et discriminations. Les militaires ne sont pas éducateurs.

Pour finir, quand ils parlent d’engagement ils partent du principe que l’engagement de la jeunesse serait défaillant. Il l’est sans doute pour ceux qui le mette en cause. En revanche dans les faits les jeunes s’engagent. D’une façon moins classique, d’une façon moins structurée mais ils s’engagent. Ils sont extrêmement nombreux dans les associations (adhérents, bénévoles, administrateurs), ils les créent, les animent. On rappelle que les associations font malheureusement de plus en plus le boulot de l’État. Mal ou pas subventionnées.

Ils sont là les jeunes, et ils étaient nombreux parmi les gilets jaunes également.

C.M. : Il n’y a pas de cohésion nationale ni internationale d’ailleurs, au sein de la société telle qu’elle fonctionne actuellement. Dans le contexte social et politique qu’elle connaît, sous le capitalisme, la notion de cohésion nationale c’est de l’hypocrisie. Celles et ceux qui exploitent la masse de la population, ce sont eux qui organisent la division, le séparatisme, les fractures, les exclusions. Faire croire que tous cela va disparaître parce que les jeunes se retrouveraient ensemble pendant un mois c’est de la fumisterie !

La cohésion sociale elle est possible quand on organise l’égalité, quand toutes et tous ont les mêmes droits. Pas quand une minorité exploite la majorité. D’où le pseudo brassage social tant vanté ! C’est déjà un argument utilisé pour défendre le service national jusqu’en 1997. C’est de la poudre aux yeux !

L’égalité sociale ça ne peut pas être de se retrouver au même endroit quelques semaines au cours d’une vie ! ça passe par la fin des discriminations et des inégalités, par la reconnaissance des méfaits du patriarcat, du colonialisme, du racisme et des exclusions. Par la reconnaissance des méfaits de la captation par une minorité des moyens de production et d’échange et des conséquences en matière d’exploitation de la majorité par une infime minorité. Tous cela n’est pas vraiment le programme du SNU et ce n’était pas celui de l’ex service militaire.

Par ailleurs c’est significatif qu’ils parlent de cohésion nationale. Si cohésion il devait y avoir cela devrait concerner l’ensemble des populations, l’ensemble des peuples, au-delà des frontières actuelles. Donc ce n’est pas d’une cohésion nationale dont on doit parler, c’est d’une cohésion internationale mais on en est évidemment bien loin avec le SNU.

C.B. : La mise en œuvre du SNU est confiée à un secrétaire d’État placé sous la tutelle du Ministre de l’Éducation Nationale faisant ainsi disparaître le ministère de la jeunesse et des sports créé en 1936 par Léo Lagrange et déjà absorbé par l’Éducation Nationale sous le régime de Vichy. Fâcheux précédent historique. Dans de telles conditions, quelles sont les incidences du SNU que tu redoutes Christian sur le plan budgétaire comme du point de vue des conditions d’emploi des jeunes, des salariés du privé comme du public ?

C.M. : Sur le plan budgétaire c’est que l’argent utilisé pour le SNU ne servira pas à plein d’autres choses pour lequel il aurait été plus utile, c’est évident. Mais en dehors de ça il y a aussi les conditions d’emploi de ces jeunes qui feraient le SNU et pour l’ensemble des salariés.

Les jeunes du SNU seront utilisés pour remplacer des emplois qui sont aujourd’hui occupés par des personnes qui ont un salaire, souvent une convention collective ou un statut, la possibilité de s’organiser syndicalement, des droits individuels et collectifs. Avec le SNU l’objectif gouvernemental c’est que chaque année il y ait 800 000 jeunes exploités, sans aucun de ces droits pour des durées variables. Ces jeunes seront vivement encouragés, le gouvernement ne s’en cache pas, à poursuivre leur « engagement volontaire » par un service civique dans les mêmes conditions de précarité. Tous cela pose de gros problèmes. Un, sur la question de l’utilisation de l’argent collectivement, il y a bien d’autres choses plus utiles que le SNU et de deux, sur la remise en cause d’un certain nombre de droits pour l’ensemble des salariés à travers ce projet de Service National Universel.

C.B. : La journée de Défense et Citoyenneté, prévue dans le cadre du SNU, a pour objet de conforter l’esprit de défense et de concourir à l’affirmation d’appartenance à la communauté nationale ainsi qu’au maintien du lien entre l’armée et la jeunesse. Peut-on dans un tel cadre, parler d’embrigadement et de militarisation de la jeunesse, Émilie ?

E.M. : Cela me parait limpide. La défense de la Nation, cela implique la menace, la peur et pour faire taire toute velléité d’argumenter on n’a encore pas trouvé mieux que de faire peur. C’est comme la notion de résilience souvent présente dans la communication autour du SNU. Ça parle de résistance et de reprendre sa forme après un choc. Ça implique qu’une attaque va subvenir et qu’il va falloir y résister voire y répondre. Se défendre et défendre la nation est hissé au rang de besoin supérieur qui dépasserait nos chamailleries comme l’a dit récemment Emmanuel Macron à propos de la lutte contre le COVID 19. C’est le sempiternel bien commun qu’il faudrait défendre et qui dépasserait tous les conflits de classes. C’est une chape de plomb sur les débats.

En fait, dans ce SNU et les textes qui l’entourent – il y a eu des groupes de travail et beaucoup de commissions qui ont rédigés sur ce dispositif – tout est extrêmement violent en fait. J’ai lu la plupart des documents que l’on peut trouver sur le net, des documents officiels, je précise. Et si dans une communication grand public on trouve la notion de volontariat, dans les textes plus techniques cette notion s’évapore et elle est remplacée par des termes très différents. Je vais citer un rapport de 2018 du groupe de travail sur le SNU que l’on trouve sur un site du gouvernement et qui est très éclairant sur ce qu’est le SNU :

« Qu’une minorité que l’on espère très réduite rechigne à se soumettre à cette exigence, ne mérite pas que l’on mette en danger l’ensemble du système. Il n’y aura pas d’insoumis au sens pénal du terme, il n’y aura que des jeunes ayant échoué à un moment de leur trajectoire à comprendre le plein sens des valeurs d’égalité et de fraternité. Passagers clandestins d’une société à l’amélioration et à la générosité de laquelle ils apparaîtront comme ayant renoncé. »

C.B. : A l’occasion du 11 novembre, des appels contre le SNU ont vu le jour. En particulier, et sous l’impulsion de militants de la Libre Pensée, de Sud, mais également de la Fédération Anarchiste et de la CNT, à Paris ou en Moselle par exemple. Est-ce un nouvel élan ? Quelles perspectives et quel avenir pour le combat contre le SNU ?

E.M. : Je me pose surtout la question de quelles perspectives pour le SNU ? En fait il ne plaît pas. Évidemment il ne plait pas aux antimilitaristes mais il ne plaît pas beaucoup plus aux militaires qui souhaiteraient le retour d’un vrai service militaire. Il coûte cher alors que l’on demande aux français de se serrer la ceinture, que l’on compresse de nombreux budgets, il est impopulaire, il est jugé inutile de toute part et il est mis à mal par le contexte épidémique.

Je ne doute pas, puisqu’il l’a montré à de nombreuses reprises, que le gouvernement soit capable de s’acharner. On verra quand la situation sanitaire évoluera. Je pense qu’ils remettront le paquet. C’est au collectif de ne pas lâcher ! Et même de profiter de ce moment pour intensifier sa campagne et aux autres réfractaires de se saisir de ce combat.

C.B. : Le pacifisme et l’antimilitarisme ont toujours été des combats de la Libre Pensée. Je remercie donc Christian Mahieux de Solidaires et Émilie Monsillon de la Libre Pensée pour leur analyse du SNU.

 

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