La Raison n°658 – février 2021

Pour nous suivre

Editorial :

par Jean-Sébastien PIERRE, président de la FNLP

Avec le roi et l’inquisition, chut! (Ancien proverbe espagnol)

Les événements se succèdent à un tel rythme qu’il n’est pas facile de concentrer son attention sur un fait majeur. Ceci est d’autant plus vrai que nous composons la revue un mois et demi à l’avance et que l’évolution de la pandémie est elle-même une cause d’incertitude. Cela fait d’ailleurs la richesse de ce numéro de La Raison et la diversité de son contenu, il n’est donc nulle raison de se plaindre d’un défaut de matière à traiter.
La France est cependant marquée par une dérive autoritaire et répressive qui ne se dément pas, et contre laquelle les citoyens se soulèvent. Deux éléments suscitent la réaction de la population et des forces démocratiques, laïques et syndicales : Le passage à l’Assemblée Nationale du projet de loi dit de « sécurité globale », et les deux décrets édictés le 2 décembre 2020 en catimini.

La loi de « sécurité globale » qui serait mieux nommée « loi big brother de surveillance accrue » a concentré les polémiques sur son article 24, limitant le droit de filmer les actions policières. Sa formulation invoquant le but de l’action et non l’action elle-même est choquante pour la plupart des juristes. La morale juge l’intention, et la loi juge l’action. C’est un adage bien connu. Dans un jugement, l’examen de l’intentionnalité est toujours subordonné à l’existence de l’acte délictueux. A contrario, Bernard (« saint ») énonçait que l’enfer est pavé de bonnes intentions, ce qui laisserait à penser que le supposé Dieu le père est assez bon juriste. La loi avancerait ainsi vers la définition de « précrimes » comme dans le livre d’Orwell 1984. Cependant la portée de cette loi dépasse, et de loin, son article 24. Les articles 21 et 22 sur les cameras portées et les drones, ne sont pas moins inquiétants. Nous donnons la parole à Maître Arié Alimi, interviewé dans nos colonnes. A la question : «Y-a-t-il d’autres problèmes importants et menaces graves dans cette proposition de loi ? », il répond : « Oui, toute la loi ».

En dépit du confinement, nous avons vu des centaines de milliers de personnes manifester le 28 novembre 2020 contre ce projet, et les rassemblements se succéder en décembre sous de multiples formes. Cette réaction populaire illustre une aspiration à refuser les mesures liberticides et l’extrême dégradation sociale qui frappe la population. Ce n’est pas fini, tant s’en faut.

Non moins graves sont les deux décrets promulgués en catimini le 2 décembre de l’année passée qui aggravent notablement le Code de la Sécurité Intérieure (CSI) en autorisant la conservation prolongée de données individuelles d’ordre non pas pénal mais associatives, syndicales et même médicales. Le code de Sécurité Intérieure avait lui-même été modifié à plusieurs reprises dans un sens de plus en plus inquisiteur et policier. Comme le soulignait un communiqué de la Libre Pensée dont les abonnés à notre lettre électronique ont pu prendre connaissance. Les enquêtes administratives couvrent donc désormais un champ très vaste, en l’absence de garantie sérieuse pour les personnes concernées dès lors que celles-ci ne disposent pas, en l’espèce, du droit d’opposition prévu par la loi relative à l’informatique et aux libertés. La dérive autoritaire et policière du gouvernement s’accroît proportionnellement à son impopularité !

Pour terminer sur une note plus positive, si c’est possible, Le gouvernement Macron, malgré des incitations multiples venues, c’est le cas de le dire, de droite et de gauche, n’a pu liquider l’Observatoire de la laïcité qui, depuis plusieurs années dit simplement le droit, au vu de la loi de 1905 telle qu’elle est, ce dont la Libre Pensée lui a toujours su gré. Un de ses responsables, Nicolas Cadène, vient de publier un livre qui s’intitule : « En finir avec les idées fausses sur la laïcité ». En faisant la recension de ce livre, Christian Eyschen rappelle quelques vérités bonnes à dire. Par exemple : « la laïcité s’impose directement aux institutions publiques, ce qui justifie une obligation de neutralité pour les agents publics dans l’exercice de leurs missions. En revanche, elle ne peut s’imposer directement à la société ou aux individus qu’en raison des exigences propres à certains services publics  ».

Notre association a, par ailleurs été entendue place Bauveau sur la loi, qui ne s’intitule plus “contre le séparatisme“, mais projet de loi pour conforter la laïcité. Les remarques très précises faites au gouvernement sur cette loi constituent un argumentaire pour en démonter l’hypocrisie et les atteintes détournées à la loi de 1905. Bien entendu, nous y reviendrons.

Jean-Sébastien PIERRE

P.S. Au moment de poster ces lignes, j’apprends que le Conseil constitutionnel vient de censurer une des dispositions les plus contestée de la loi LPR sur l’Enseignement Supérieur : la pénalisation des intrusions étrangères sur les campus. Respect des franchises universitaires !

 

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