La Libre Pensée auditionnée au Sénat sur la fin de vie – audition de Jean-Sébastien Pierre, président de la FNLP

Pour nous suivre

Voici la présentation qu’a faite, au nom de la Fédération nationale de la Libre Pensée, son Président Jean-Sébastien Pierre :

Bonjour Mesdames, Messieurs, Bonjour Madame Meunier et merci de nous auditionner.

Au nom de la Fédération Nationale de la Libre Pensée, je dois dire tout d’abord que nous sommes très satisfaits de voir un tel projet de loi soumis au Parlement.

Dans son exposé des motifs, le projet de loi s’inspire ouvertement des travaux de nos amis et partenaires de l’ADMD, Association dont la Libre Pensée a toujours soutenu l’action et les propositions. Il rappelle aussi à quel point les sondages successifs (cinq depuis 2010) font apparaître ce sujet comme une préoccupation majoritaire des Français. Le dernier en date faisait apparaître une proportion de 95% des interrogés pour autoriser les médecins à mettre fin sans souffrance à la vie des personnes qui en font la demande.

Michèle Meunier, Sénatrice, rapporteure du projet de loi

Le projet de loi ainsi proposé met au centre la volonté de l’intéressé, ce qui est absolument fondamental du point de vue de notre association. Cela fait partie de la liberté de conscience, garantie aux citoyens par la loi fondamentale de Séparation des Églises et de l’État votée le 9 décembre 1905 dans son article 1. Ce principe est pour nous un guide majeur qui s’oppose aux interdits idéologiques et religieux. Nous ne cessons d’ailleurs de rappeler qu’en France, pays à constitution laïque garantie par la loi que je viens d’évoquer, le poids des interdits religieux sur les questions dites de bioéthique est excessivement présent.

Il qui se traduit par l’action de groupes de pression inspirés du cléricalisme, défini comme l’intervention des Eglises dans les affaires civiles. On le voit clairement dans la discussion et dans les lois dites de bioéthique, qu’elles concernent le début de vie – IVGPMAGPA – ou la fin de vie, sujet qui nous occupe ce jour. On a vu également la liberté de la recherche sur l’embryon humain gravement bridée par la révision de la loi de Bioéthique de 2011, même après sa correction de 2014.

La grande opposition entre les libres-penseurs et les Églises (au premier chef l’Église catholique, ancienne puissance d’État avant 1905) est la suivante : pour les religieux, notre corps et notre vie ne nous appartiennent pas et nous ne pouvons en disposer, il appartient à une transcendance supérieure, à une divinité qui lui a insufflé son âme ; au contraire, pour les libres penseurs, nous sommes des êtres matériels doués de raison et d’aspirations à la liberté, et nous pouvons disposer de notre corps et de notre vie selon des règles rationnelles et acceptables par le corps social au sens de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

Dans ces conditions, il est étonnant, et de notre point de vue choquant de constater que des pays européens dotés de constitutions moins nettement laïques comme la Belgique, monarchie constitutionnelle, ou la Suisse dans laquelle deux cantons seulement ont une constitution laïque et où la Constitution fédérale commence par l’invocation « au nom de Dieu tout puissant » aient promulguées des lois permettant le suicide assisté, bien avant notre pays. Nous venons d’apprendre également que le Portugal a adopté une telle loi. L’expérience de la Suisse et de la Belgique, mais aussi des Pays-Bas, du Luxembourg et du Canada a fait pièce des prédictions d’abus de toute sorte et de vagues de suicides assistés. Les cas restent rares et très correctement encadrés. Il est temps, il est grand temps que cette liberté fondamentale soit garantie en France. Ce projet de loi, s’il était adopté, serait une avancée majeure dans le droit des citoyens à décider de leur propre destin.

Vous disposez de nos réponses détaillées au questionnaire que vous avez bien voulu nous envoyer. Ces réponses, détaillées et fouillées ont été élaborées par notre camarade Dominique Goussot, juriste compétent et Libre Penseur chevronné. Je l’en remercie et souhaiterais revenir sur quelques interrogations qu’il a formulées.

Jean Leonetti et Alain Claeys

Les insuffisances de la loi Claeys-Leonetti sont évoquées dans le préambule du projet. L’affaire Vincent Lambert les a tristement illustrées. Nous souhaitons donc insister sur quelques points du questionnaire et de la loi :

  • D’abord, la non-opposition entre soins palliatif et assistance active à mourir. Bien évidemment, nous sommes favorables au développement le plus large possible des soins palliatifs, garant d’un accompagnement humain de la fin de vie médicalisée mais, elle ne doit pas s’opposer à la volonté des personnes intéressées d’en finir dignement lorsqu’elles le réclament. Au contraire, ces deux approches doivent se combiner et s’articuler.
  • La sédation profonde et prolongée (SPCJCD). Je rappelle une parole du professeur Israël Nisan lors d’une de ses interviews radiodiffusée : « je ne vois pas où est le supplément éthique de la mort lente par rapport à une mort rapide ». L’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation est bien une décision létale, et l’on ignore complètement si les patients en état d’inconscience irréversible subissent ou non une souffrance. Ne pas recourir dans ce cas à l’euthanasie active et contrôlée nous semble alors plus relever de la barbarie, que de la nécessaire éthique médicale.
  • Le respect des directives anticipées est essentiel lorsqu’un patient n’est plus en état d’exprimer une demande libre et éclairée. Nous considérons que la rédaction de ces directives a valeur de liberté de décision et de choix de la part de cette personne. La liberté de conscience est aussi la liberté de se projeter dans l’hypothèse d’une perte de conscience.
  • En l’absence de ces directives, le projet de loi prévoit une hiérarchisation des avis de la famille. Cet ordre est défini dans une idée de proximité affective et non de droit successoral ou d’autres considérations juridiques. Cela nous semble absolument sensé. Là encore, l’affaire Vincent Lambert et ses enseignements ont guidé les rédacteurs.

Une remarque enfin sur l’article L. 1110-5-6. Et le suivant : – Un médecin n’est jamais tenu d’apporter lui-même une aide active à mourir.

Cet article, compréhensible, ouvre néanmoins la porte à ce que l’on a appelé la clause de conscience sur laquelle notre association a toujours manifesté une certaine méfiance parce que, on l’a vu dans le cas de l’IVG, cela ouvre la voie à de possibles manœuvres de lobbies d’inspiration souvent religieuses, visant à interdire de fait les possibilités ouvertes par la loi à des secteurs entiers de la population.

Nous ne proposons pas de solution, mais souhaitons attirer l’attention des législateurs sur ce point. Cette liberté de refus devrait être assortie de garde-fous solides pour assurer que la volonté du patient puisse être respectée.

Fait au Sénat, le 19 février 2021