La Raison n° 660 avril 2021

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L’editorial :

Napoléon le (tout) petit

Napoléon premier, de son nom d’origine Napoléon Bonaparte a inventé le bonapartisme : le sauveur universel situé au-dessus des clivages sociaux et des partis. Il se fait couronner empereur et, bien loin de proclamer la Séparation des Églises et de l’État, projet que la convention n’avait pu établir, il restaure les privilèges de l’Église et son intervention dans la société par le concordat de 1801 qui va durer jusqu’en 1905. Dans le concordat, l’Église et l’État sont indissolublement associés et les religions gouvernées par l’état et organisées en consistoires.

Cette organisation concordataire a été évidemment préservée par les deux restaurations, par la seconde république qui fut par trop éphémère, et bien entendu par Napoléon le IIIème, celui que Victor Hugo appelait dédaigneusement « Napoléon le petit ». Dans le 18 brumaire de Louis Napoléon Bonaparte, Karl Marx notait que l’histoire se répète souvent deux fois, la première sous forme de tragédie, et la seconde sous forme de farce. Notre Napoléon III, était ainsi habillé pour l’hiver par deux personnalités majeures du XIXème siècle.

Mais que dire alors du ter repetita de Macron ? Quid de la troisième fois ? Si j’affuble notre président d’un numéro IV pour le troisième empire, ce n’est pas à cause de l’année Napoléon, non, c’est à cause de la tentative concordataire sournoise injectée dans le projet de loi « visant à renforcer le respect des principes républicains ». En paraphrasant Karl Marx, on pourrait dire : «une fois comme une tragédie, la seconde fois en farce, et la troisième en eau de boudin ». Car le moins que l’on puisse dire, c’est que l’entreprise n’est saluée par personne, si ce n’est par les pires godillots de la République en Marche, qui d’ailleurs se font de plus en plus rares. Pour les droites classiques et extrêmes, le texte ne flagelle pas assez les musulmans, pour les autres oppositions et même une fraction du parti présidentiel, elle est liberticide et attentatoire à la loi de 1905. J’invite nos lecteurs à parcourir le communiqué commun de la Libre Pensée et du Groupe parlementaire de la France Insoumise, particulièrement net dans ses attendus. Sans doute la loi trouvera sa majorité au parlement mais au prix de quelles laborieuses négociations ?

Citons également Orwell et son invention de la novlangue : parmi les procédés de ce langage totalitaire on note l’utilisation d’une formulation positive, pour exprimer son contraire : ainsi « visant à renforcer le respect des principes républicains » devrait se traduire par « visant à saper les bases de la république laïque ». Dans le même ordre d’idées, nous citons aussi la célèbre phrase de Victor Hugo : « Quand vous forgez une chaîne, vous dites liberté ».

Notre Napoléon IV, le tout petit, n’y va pas frontalement. La loi de 1905 est un morceau trop gros à avaler pour un Bonaparte de fin de règne, président-monarque d’une Vème République à bout de souffle. Il emprunte une voie détournée, la loi sur les associations cultuelles. Elles devraient alors donner des gages à la République pour être agréées, signer des chartes de laïcité. Lorsque Napoléon (le premier) força les israélites à s’organiser en consistoire, cette institution adopta comme devise « Religion et Patrie ». C’est à peu près ce que le gouvernement demande aux associations cultuelles nouvelles moutures, rompant ainsi avec le principe de séparation selon lequel l’État ne se mêle pas de l’administration des cultes. C’est un retour en arrière, avant 1905, sur le terrain de la liberté religieuse. Personne ne s’y trompe, même pas les cultes bien établis, catholiques, protestants et juifs, qui ont tous émis de fortes réticences vis-à-vis de ce projet de loi.

Ce dernier était pourtant bien balisé : dans l’exposé des motifs de la loi, on lit la phrase suivante : « Un entrisme communautariste, insidieux mais puissant, gangrène lentement les fondements de notre société dans certains territoires. Cet entrisme est pour l’essentiel d’inspiration islamiste ». C’est la seule menace qui est citée, et les rédacteurs précisent : « Face à l’islamisme radical, …, force est de constater que notre arsenal juridique est insuffisant. » Personne ne saura en quoi réside cette « insuffisance ». La loi de 1905 est claire en ce qui concerne la limitation de la liberté religieuse par le respect de l’ordre public, elle renvoie au Code pénal pour les infractions, délits et crimes qui peuvent en résulter. La loi peut passer, mais ce sera contre une mobilisation croissante des organisations laïques, démocratiques et des droits de l’homme. Le troisième empire a des allures de peau de chagrin.

Jean-Sébastien PIERRE
président de la FNLP

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