DISCOURS POUR LA COMMUNE DE PARIS 1ER MAI 2021

Pour nous suivre

Citoyennes, citoyens, chers camarades, chers amis,

A Paris, discours de la Libre Pensée

Instituée en 1890 par la Deuxième internationale en hommage aux victimes du massacre de Haymarket Square à Chicago en 1886, la Journée internationale des travailleurs est un rendez-vous, d’abord, de grèves pour la journée de huit heures, puis de manifestations en faveur de l’émancipation de la classe ouvrière du joug du capital. En cette cent-trente-et-unième édition du Premier-mai, je vous apporte le salut fraternel de la Fédération nationale de la Libre Pensée (FNLP) qui entend, avec vous, à quelques mètres du Mur, à l’occasion du cent-cinquantième anniversaire de la Commune de Paris rendre bien sûr hommage aux milliers de Fédérés tombés sous les balles d’Adolphe Thiers (1797-1877) mais aussi célébrer l’œuvre de la première république ouvrière du monde dont l’écho parvient si net jusqu’à nous.

Dans son recueil de 1872, L’Année terrible, Victor Hugo (1802-1885), dont la maison a été vandalisée durant ces effrayantes journées, évoque en ces termes la Semaine sanglante du 21 au 28 mai 1871 : « Un jour je vis le sang couler de toutes parts ; / Un immense massacre était dans l’ombre épars ; / Et l’on tuait. Pourquoi ? Pour tuer. Ô misère ! »

A La Rochelle

Une fois signé le 10 mai 1871, le traité de paix avec la Prusse, qui a fait sombrer le Second-Empire après la défaite de Sedan, Adolphe Thiers, chef du pouvoir exécutif retiré à Versailles à la suite du déclenchement du soulèvement du prolétariat parisien le 18 mars, obtient des autorités d’occupation la libération de 60 000 prisonniers qui forment la moitié des effectifs de la troupe qui investit méthodiquement Paris insurgée, sous les ordres du général Félix Douay (1816-1879), à partir du quartier du Point du Jour de Boulogne.

En une semaine, selon les estimations de Prosper-Olivier Lissagaray (1838-1901) et de Camille Pelletan (1846-1915), de 20 000 à 30 000 Communards périssent dans les combats ou sont fusillés à l’arrière des premières lignes de l’armée versaillaise. Le dimanche 28 mai 1871, 147 fédérés sont tirés de la prison de Mazas à l’aube par le 65ème régiment de marche, tombent ici même sous les balles versaillaises, en l’absence de tout jugement, et finissent dans une fosse commune. Par ailleurs, plus de 40 000 insurgés ont été arrêtés, déportés, voire exécutés de façon sommaire sur décision des conseils de guerre ou sont morts au camp de Satory ou au bagne. Comme le dit la chanson de Jean-Baptiste Clément (1836-1903) : « La mode est aux conseils de guerre, / Et les pavés sont tout sanglants. »

Citoyennes, citoyens, chers camarades, chers amis,

A Clermont-Ferrand

Le souvenir des morts de la Commune de Paris nous étreint chaque année. En même temps, il nous invite à poursuivre leur action et leur œuvre dans les conditions de notre époque : leur sacrifice en faveur de la cause ouvrière reste un puissant stimulant pour continuer le combat. En soixante-douze jours, les Communards accomplissent un prodige. Non seulement, ils affrontent la contingence, mais ils esquissent ce que Jean Jaurès (1859-1914) appellera la République sociale. Ils brisent aussi l’État de la bourgeoisie pour lui substituer un gouvernement ouvrier.

Le blocus de Paris organisé depuis Versailles rend particulièrement aigu le problème du ravitaillement. La commission des subsistances, présidée par Auguste Viard (1836-1892) à partir du 16 avril, s’emploie à approvisionner les Parisiens et à encadrer les prix de manière à éviter les pénuries alimentaires et l’inflation dont la population a durement souffert pendant le siège imposé par l’armée prussienne. La Commune rétablit également le moratoire sur les loyers que l’Assemblée de Bordeaux a supprimé : les locataires bénéficient d’une remise de leur dette de loyer au titre de la période d’octobre 1870 à avril 1871. Plus généralement, les dettes de toute nature sont rééchelonnées. Pour héberger les sans-logis, Benoît Malon (1841-1893) réquisitionne les logements abandonnés par la bourgeoisie le 18 mars. Enfin, la Commune réorganise le service postal en vue de surmonter l’interruption des communications entre Paris et l’extérieur ordonnée par Adolphe Thiers.

Au chapitre de la République sociale, la mémoire ouvrière conserve, entre autres intact, outre celui du décret du 20 avril 1871 interdisant le travail de nuit des boulangers, le souvenir du rapport, resté à l’état de projet, du militant de l’Association internationale des travailleurs (AIT) Leó Fränkel (1844-1896), Président de la commission du travail de la Commune, préconisant de créer « une organisation sociale qui donne aux travailleurs des garanties réelles de secours et d’appui, en cas de chômage et de maladie. » Dès 1871, Leó Fränkel dessine les contours de l’assurance chômage et de la Sécurité sociale pour remplacer les monts de piété. De son côté, autre membre de l’AIT, Augustin Avrial (1840-1904), l’organisateur de la défense de Montmartre le 18 mars et du quartier du Château d’eau durant la Semaine sanglante, le fondateur de la Chambre syndicale des mécaniciens, rédige le décret du 16 avril 1871 par lequel la Commune réquisitionne les établissements industriels abandonnés par les patrons « francs-fileurs » afin de relancer l’activité économique sous la responsabilité de groupements coopératifs. Il s’agit d’un projet d’émancipation économique potentiellement expropriateur qui n’aboutit pas faute de temps.

A Paris

Enfin, la Commune brise l’État bourgeois. Si Marx (1818-1883) considère en 1881 que la Commune « fut simplement la rébellion d’une ville dans des circonstances exceptionnelles », il en cerne néanmoins la nature profonde dans La Guerre civile en France : « C’est le peuple agissant pour lui-même et par lui-même » ; « La Commune se débarrasse totalement de la hiérarchie politique et remplace les maîtres hautains du peuple par des serviteurs toujours révocables, remplace une responsabilité illusoire par une responsabilité véritable, puisque ces mandataires agissent constamment sous le contrôle du peuple » ; « La Commune ne supprime pas les luttes de classes […] mais elle crée l’ambiance rationnelle dans laquelle cette lutte de classes peut passer par ses différentes phases de la façon la plus rationnelle et la plus humaine. »

À cet égard, notons que la Commune réalise les réformes démocratiques essentielles que la bourgeoisie n’a pas accomplies : elle établit l’École laïque, gratuite et obligatoire pour les filles et les garçons ; elle protège les libertés individuelles par un décret du 14 avril 1871 qui prévoit d’informer le juge dans les vingt-quatre heures de toute arrestation d’un citoyen, sanctionne durement les auteurs de détensions arbitraires et soumet à un contrôle très strict les perquisitions et les réquisitions ; enfin, par un décret du 2 avril 1871, elle sépare l’État des Églises pour garantir à tous la liberté absolue de conscience.

Citoyennes, citoyens, chers camarades, chers amis,

A Evreux

Cent cinquante ans après l’effondrement de la Commune de Paris, sa voix parvient toujours claire jusqu’à nous, son souffle demeure toujours puissant, ses mânes nous accompagnent toujours comme de vivants exemples. Je n’évoquerai pas l’action qu’aurait menée sans aucun doute Auguste Viard pour fournir à tous les masques, les tests, les vaccins qui ont tant fait défaut depuis le début de l’épidémie que nous connaissons. Je laisse à mes camarades syndicalistes le soin d’évoquer mieux que je ne saurais le faire la prodigieuse modernité de l’ébauche de République sociale que la Commune a esquissée, qu’elle a déposée dans la besace de Jean Jaurès (1859-1914), qu’elle a imprimée dans la conscience des travailleurs, mais aussi la redoutable tâche de dresser le bilan des régressions que nous connaissons, que nous combattons, que nous vaincrons. Pour sa part, parce que l’histoire l’a chargée de cette mission, la Libre Pensée s’attardera sur les atteintes aux libertés démocratiques que nous subissons et la dénaturation de la loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Églises et de l’État.

Dans le sillage de la Révolution française, nous l’avons vu, la Commune de Paris s’applique, en dépit des circonstances exceptionnelles qu’elle doit affronter, à garantir les libertés fondamentales que la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen a consacrées le 26 août 1789. Aux termes de l’article 11 de ce texte fondateur « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

A Digne-les-Bains

Au mépris de ce principe, la loi de sécurité globale votée le 15 avril dernier limite la liberté de la presse, étend les pouvoirs des polices municipales, légalise l’usage des drones à des fins de surveillance de la population et insère les officines de sécurité privée dans le continuum de la sûreté publique. De son côté, dès le 2 décembre 2020, jour symbolique du cent-soixante-neuvième anniversaire du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, le gouvernement publie trois décrets scélérats par lesquels la police obtient le droit de conserver dans des fichiers numérisés des informations sur « des signes physiques particuliers » et les « opinions politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales » des citoyens, pour mener des enquêtes administratives dont le champ s’est trouvé en même temps considérablement élargi de la sécurité publique à la lutte contre le terrorisme.

Contre cette forfaiture, quatre syndicalistes de la CGT, de Force Ouvrière, de la FSU et de Solidaires, avec l’appui de la FNLP, par ailleurs engagée dans le collectif contre la loi de sécurité globale, ont lancé une pétition demandant l’abrogation de ces décrets, qui a recueilli plusieurs milliers de signatures à ce jour.

Pour la deuxième fois dans l’histoire du pays, la Commune procède aussi à la Séparation des Églises et de l’État et à la suppression du budget des cultes, le 2 avril 1871. Portée par la légion des défenseurs du capitaine Dreyfus (1859-1935), qui la sauve de la mort programmée que lui réservaient les généraux de jésuitière, comme disait Jean Jaurès, et le parti clérical du comte Albert de Mun (1841-1914), la République achève le processus d’émancipation politique né avec la Révolution française. D’une part, Pierre Waldeck-Rousseau (1846-1904) élabore la loi du 1er juillet 1901 sur le contrat d’association qui permet à chaque citoyen d’user de ses droits individuels fondamentaux dans un cadre collectif. La liberté de l’individu coïncide avec celle de la société civile tout entière.

A Dôle

D’autre part, tous issus du socialisme à cette époque, Aristide Briand (1862-1932), Ferdinand Buisson (1841-1932) et Jean Jaurès dirigent le puissant cortège des chirurgiens de la République qui tranchent le nœud gordien noué entre l’État et les cultes depuis 1801. En dépit de la rébellion de l’Église romaine, un équilibre institutionnel s’installe : parmi les libres groupements de droit commun permis par la loi de 1901, le législateur de 1905 distingue les associations cultuelles qui obéissent à un régime particulier dans le seul but de rendre effectivement applicable le principe d’interdiction du financement public des cultes.

Au prétexte de lutter contre le « séparatisme » supposé d’une partie des musulmans, le gouvernement s’emploie à faire adopter le projet de loi renforçant le respect des principes de la République qui rompt cet équilibre séculaire. Les associations de droit commun seront placées en permanence sous la contrainte de reconnaître une idéologie d’État par le biais du « contrat d’engagement républicain » et la menace d’une dissolution administrative, même en raison des faits imputables à certains de leurs membres. Quant à elles, les associations cultuelles devront tous les cinq ans justifier de leur caractère spécifique auprès de l’administration et leurs responsables trembleront sans cesse devant le péril des lourdes sanctions pénales susceptibles de leur être infligées en cas de violation de la législation sur la police des cultes ou de fermeture des lieux de culte.

A Carmaux

Comme Victor Hugo dans Les Châtiments, nous pouvons qualifier l’action de ce gouvernement comme suit : « Forcer quatre-vingt-neuf qui marche à reculer ». Comme Victor Hugo à Jersey en novembre 1852, avec presque vingt ans d’avance, nous pouvons entendre l’appel prémonitoire qu’il lance sans le savoir aux Communards : « Citoyens ! Marchons ! Peuple, aux armes, aux pavés ! »

Vive la Commune !
À bas la Calotte et vive la Sociale !

Je vous remercie.

Dominique Goussot, vice-Président de la Libre Pensée

A qui tout cela profite ?

La Fédération nationale de la Libre Pensée condamne avec la plus grande énergie les agressions et violences commises contre le siège de l’Union départementale de la CGT-Force Ouvrière du Puy-de-Dôme le 26 avril 2021 et contre les militants CGT lors de la manifestation du 1er mai. Elle assure les deux Confédérations issues de la Vieille CGT et leurs militants de la plus totale solidarité des libres penseurs.

Attaquer les syndicats ouvriers ne peut profiter qu’au Capital et à ses valets, quels qu’ils soient.

150 ans après la Semaine sanglante qui mit fin à la Commune de Paris, le message est clair : la Réaction est toujours là.

150 ans après la Commune de Paris, notre message est tout aussi clair : la classe ouvrière est là et ne laissera pas faire.

TELECHARGEZ LE COMMUNIQUE DE L’URIF (Union Régionale Ile de France) FORCE OUVRIERE

TELECHARGEZ LE DISCOURS DU 1er MAI DE LA FNLP