La Libre Pensée sur France Culture – 9 mai 2021

Pour nous suivre

Chères auditrices, chers auditeurs, bonjour.

Au micro Christophe Bitaud, Vice-président de la Libre Pensée.

D’aucun seront peut-être, sincèrement ou non d’ailleurs, surpris que la Libre Pensée donne la parole à un prêtre. C’est vrai que ce n’est pas notre habitude. Ceci étant, la Libre Pensée n’a jamais demandé à ceux qui font progresser les lumières d’adhérer à toutes ses positions, pas plus que de faire partie de ses membres.
Nous savons travailler avec ceux, aussi différents de nous soient-ils, qui cherchent la vérité. Une des choses la plus précieuse du monde. Si nous combattons avec force et vigueur les institutions cléricales, nous respectons les individus dès lors bien sûr qu’ils sont respectables.
Et respectable, Monsieur Pierre Vignon, prêtre, à l’origine d’une pétition adressée au Pape pour demander la démission de Philippe Barbarin pour non dénonciation de crimes de pédophilie dans l’Église, l’est indubitablement par son courage et par son honnêteté. C’est pourquoi nous l’avons invité pour parler avec lui de ce qu’il est convenu maintenant d’appeler l’affaire Preynat-Barbarin.
Tout d’abord je tiens donc à vous remercier d’avoir répondu, Monsieur Vignon, à l’invitation de la Libre Pensée à participer à notre émission mensuelle sur France Culture. Pouvez-vous en quelques mots vous présenter à nos auditeurs ?

Pierre Vignon : bonjour. Merci pour vos amabilités. Ce qui m’a poussé à vous répondre favorablement c’est que dans les circonstances actuelles où l’on s’invective beaucoup, je trouve très important que l’on puisse se parler les uns les autres. Nous ne sommes pas obligés d’être tous d’accord, mais se parler aimablement c’est déjà quelque chose.

J’ai 67 ans. Je suis prêtre catholique dans la Drôme. Cela fait 41 ans que je suis prêtre.

Je suis un cas particulier : je vis retiré chez moi pour raison de santé. Il ne faut pas se décourager. Il faut faire au mieux avec ce que l’on vit et aller de l’avant.

Il me reste assez de temps pour embêter les autres.

C.B. : votre pétition adressée au Pape demandant la démission du Cardinal Barbarin, qui en a justement agacé quelques-uns, vous a placé sous les feux de l’actualité. Nous y reviendrons tout à l’heure. Mais ce n’est pas votre premier ni votre seul combat depuis votre nomination comme juge à l’officialité de Lyon en 1993. Je ne suis pas un spécialiste mais c’est, si je ne m’abuse, une sorte de tribunal interne de l’Église catholique. Des religieuses victimes d’autoritarisme et d’abus sexuels de la part de leurs supérieurs se sont adressées à vous me semble-t-il ?

P.V. : Vous êtes bien renseigné. Effectivement j’accomplissais ce genre de service et compte-tenu de cette position j’écoutais les demandes qui m’étaient faites. Par le bouche-à-oreille, j’en avais de plus en plus et alors j’aidais en particulier des religieuses qui étaient un petit peu écrabouillées, mais pas seulement. Mettre leurs dossiers en forme, donner des conseils pour avancer et essayer d’aboutir et dans certains cas je leur trouvais un journaliste qui voulait bien faire une parution sur leurs difficultés. Quand une situation est bloquée rien ne vaut la presse et à partir de ce moment là toutes les autorités disent s’occuper du dossier ! A partir de ces déclarations un petit peu hypocrites, même complètement, cela m’amusait toujours de voir que les choses se mettaient à avancer. Je restais dans l’ombre non pas par soucis de me cacher ou par ce que je faisais quelque chose de mal, au contraire, mais parce que je pensais que c’était la meilleure façon d’aider ces personnes.

C.B. : Alors que votre ministère vous avait donné depuis longtemps l’occasion de connaître des cas d’abus sexuels au sein de l’Église, pourquoi avez-vous éprouvé le besoin en 2018, au prix d’une entorse à votre devoir d’obéissance à votre évêque, de lancer une pétition signée par plus de 100 000 personnes, adressée au Pape pour demander au Pape la démission du Cardinal Philippe Barbarin accusé d’avoir caché l’ampleur des agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans commises par le prêtre Bernard Preynat ?

P.V. : Je vais vous répondre tout d’abord au sujet de la pétition et ensuite je vous parlerai de l’obéissance brièvement.

Cette pétition n’a jamais été de mon fait. Il s’agissait d’une lettre ouverte au Cardinal Barbarin, et elle n’était pas adressée au Pape, pour lui demander à lui, dans la situation catastrophique dans laquelle il s’était enfoncé et où il impliquait le diocèse de Lyon et aussi l’Église de France – Cela commençait à fatiguer tout le monde – de ne pas continuer à compliquer les choses en se cramponnant au poste qu’il avait.

Je lui avais déjà demandé de façon personnelle et n’ayant pas eu de réponse j’ai décidé de faire une lettre ouverte.
Il y a eu un facteur déclenchant : la lettre du 20 août 2018 du Pape François où il en appelait à tout le peuple de Dieu pour dire : «Aidez-moi. Dans la crise des abus je n’y arrive pas ». Il définissait les abus de façon très intéressante sous le mot cléricalisme. Ce mot il l’a défini « comme une manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église ». Je trouvais cela très bien. Et il ajoutait « Dire non aux abus c’est dire non de façon catégorique à toute forme de cléricalisme ».

J’ai fait le brouillon de cette lettre pour ne pas agir de façon impulsive. Je l’ai envoyé et j’ai appellé François Devaux, Président de La Parole libérée, ainsi que Aymeri Suarez-Pazos, président d’une association d’aide aux victimes d’abus à l’intérieur de l’Eglise (AVREF). Ils m’ont fait retoucher une ou deux choses et François Devaux a demandé si j’accepterais qu’il joigne une pétition en ligne à la lettre ouverte. J’ai dit : « Pourquoi pas !  à condition que je ne m’en occupe pas ».

C’est là où les choses sont intéressantes : ça a été mis en ligne à 10h le 21 août. A 11h, j’ai commencé à recevoir des appels téléphoniques.

J’ai retrouvé le premier journaliste (Dauphiné Libéré) sur la place du village à St Martin en Vercors et derrière attendaient d’autres journalistes de la presse, de la télévision et de la radio. Cela a duré jusqu’à 22h00. Le lendemain matin ça a recommencé avec Jean-Jacques Bourdin au téléphone et cela a duré comme cela pendant plusieurs semaines, si bien que les habitants de La Chapelle en Vercors en avaient un peu marre de la présence des caméras à l’église le dimanche !

Que s’est-il passé exactement ? Vous savez que le Cardinal Barbarin a été relaxé récemment pour ce délit de non dénonciation. Il y a plusieurs choses : le légal et le moral.

D’un point de vue légal, le temps était prescrit, la Cour de Cassation a tranché, très bien.

D’un point de vue moral il avait, après la dénonciation par Alexandre Hezez, laissé Bernard Preynat en poste et il l’a même promu. C’est sur ce sujet là que moi je protestais.

Ce n’est qu’après ma lettre et la pétition que Bernard Preynat a commencé à avoir des ennuis. Donc il faut remettre les choses en perspective. C’était une question de dignité et d’honneur. « Pour rester à votre place, vous allez nous emmener où comme ça ? Vos prédécesseurs mais vous aussi avez franchement fauté par rapport à Bernard Preynat ».

Il faut se rappeler que de Août 2016 à Août 2018, il y avait pratiquement tous les jours un article sur le Cardinal Barbarin. Cela commençait à être fatiguant.

Si je n’ai pas reculé devant l’afflux des journalistes c’est que j’ai pensé aux victimes. Je me suis dit « pour les victimes il faut le faire ». J’ai été aimable avec les journalistes et ça me permet de préciser deux choses. La première c’est que l’on dit beaucoup de mal des journalistes en temps normal. Or c’est une grave faute et une grave erreur car la liberté de la presse c’est le premier pilier de nos libertés à tous.

Dans l’Église, certains ont une mentalité obsidionale : on rentre dans le château-fort et on remonte le pont levis. Si vous venez on vous verse de l’huile bouillante.

Je trouve cela anormal. C’est une fausse appréhension du monde qu’il faut absolument changer.

La deuxième chose c’est que le Pape François a tout à fait raison de parler de « manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église ». Cela me permet de répondre au premier point dont vous parliez : l’obéissance.

J’ai chagriné mon évêque ça c’est certain puisque c’était l’ancien vicaire général du Cardinal Barbarin. Mais je ne lui ai jamais désobéi. Il y a des gens qui ont une conception très figée de l’obéissance un peu comme Trump en Amérique. C’est-à-dire si vous ne plaisez pas au chef vous êtes viré ! Or dans l’Église ça ne se passe pas comme ça. Donc je peux dire en toute tranquillité de conscience que je n’ai jamais désobéi à mon évêque même si effectivement je lui ai fait de la peine. Mais je n’ai pas été ordonné prêtre pour ne pas faire de peine à mon évêque !

C.B. Vous avez longtemps été juge à l’officialité interdiocésaine de Lyon avant d’être démis de vos fonctions. Vous maîtrisez donc le droit canon. Droit qui, s’il considère les atteintes sexuelles sur mineurs comme délictueuses, n’en impose pas moins le secret à tous ceux qui, au sein de l’Église, ont connaissance de ce crime. Quel est votre regard sur cette culture du secret ?

P.V. : C’est un vaste sujet.

Il y a d’abord une part positive au secret. Il ne faut pas confondre « secret » et « occulte ». Le secret est nécessaire pour nous. Je prends un exemple très simple : deux petits amoureux, ce qu’ils se disent, ce qu’ils vivent c’est secret, ça ne regarde pas les autres. Transposé dans une société comme l’Église où il y a beaucoup d’affaires de conscience, si quelqu’un vient ouvrir sa conscience il faut qu’il ait la certitude que cela ne sera pas affiché sur les platanes du village !

La discrétion est essentielle et le droit protège ce droit à l’intimité. Les Anglais appellent cela « privacy » il me semble. A partir de là on va comprendre ce qui ne va pas dans le secret.

Je reviens à mes deux amoureux. Leur histoire ne nous regarde pas, mais si un des deux commence à faire ou faire faire des choses graves sur l’autre ou à l’autre, qui pour cela réclame le secret, à ce moment là on sort du cadre normal du secret. Autant pour la première partie c’est une obligation de ne rien dire, autant pour la deuxième partie cela devient une obligation de le dire et même de le dénoncer. Les prédateurs et prédatrices savent très bien repérer les personnes à qui elles vont pouvoir imposer ce secret, le transgresser et jouir psychologiquement de cette transgression.

C’est là où il y a une question de salubrité personnelle et publique où il faut pouvoir dire les choses : « Non, autant dans le cadre normal le secret doit être respecté, autant dans le cadre anormal le secret ne doit plus être respecté ». Le secret est absolu dans les associations de malfaiteurs. Alors on devient un complice, consciemment ou non, du mal qui est fait et c’est là qu’il faut avoir une vision très précise des choses. Transposé au droit canonique, et dans toutes les autres formes de droits, il y a une protection du secret. À partir du moment où le droit n’est plus respecté dans son intention profonde, ce que l’on appelle « l’esprit de la loi », alors tous les abus sont permis.

C.B. : Je pense que vous avez fait une distinction assez limpide entre, je dirais, la discrétion et le secret.
Vous avez déclaré : « Disons-le clairement : les pédophiles ont trouvé au sein de l’Église une structure favorable pour développer leur activité criminelle (…) On peut dire sans craindre d’être excessif : “il y a quelque chose de pourri au royaume du Vatican. » Et pourtant, dans vos propos, vous semblez faire confiance au pape actuel pour prendre les mesures qui s’imposent. Je vais vous taquiner un peu peut-être, le libre penseur que je suis : ne péchez-vous pas par optimisme ?

P.V. : Libre penseur et gai pinson et ça me plaît beaucoup ! Moi aussi je suis d’un naturel optimiste. Ma mère m’a fabriqué comme ça Justement cela donne davantage de poids à tous ce que j’ai pu dire publiquement. Si j’avais un caractère acariâtre, disposé à chercher des poux dans la tonsure de mes confrères, on pourrait me suspecter. Mais mon premier sentiment est la bienveillance, en général.

Ce qui me parait important c’est ce que l’on appelle la parrhésie (parrêsia) mot d’origine grecque que l’on trouve dans les actes des apôtres, qui a été beaucoup développée par le philosophe Michel Foucault dans son livre « Le courage de la vérité ». C’est important de comprendre ce mot-là. Parrêsia c’est parler librement et franchement, ce que l’on appelle le franc parler en français.

Dans la question des abus, la liberté de parole c’est ce qui va permettre de s’en sortir. À partir du moment où vous ne parlez pas, vous vous comportez comme dans une secte ou une association de malfaiteurs. À partir du moment où vous pouvez parler, on trouve des solutions et des règlements aux questions que l’on n’aurait pas trouvés autrement.

Le Pape François parle énormément de parrhésie. Depuis 8 ans qu’il est Pape, il fait tous ces efforts pour lancer les réformes structurelles de l’Église, pour inviter les chrétiens à changer de mentalité, c’est pour cela que je suis optimiste.
Ce franc parler me paraît une chose absolument essentielle aujourd’hui.

C.B. : Merci Monsieur Vignon pour votre franc parler.  Rendez-vous le mois prochain pour une émission consacrée à une grande figure de la littérature : Anatole France.

Ecouter l’émission