En direct avec les 4 de Melle

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Libre Pensée : Bonjour Sylvie Contini, merci d’accepter cet entretien avec la Libre Pensée 79. Pour rappel, en mars 2020, tu fais l’objet avec deux de tes collègues d’une mesure de suspension, pour avoir participé à la mobilisation nationale contre les réformes du ministre Blanquer. Une bataille s’engage alors pour le retrait des sanctions. La Rectrice ne lâchera rien. Elle refuse de recevoir une délégation intersyndicale sur le mandat de retrait des sanctions, le 16 juillet 2020. Elle sanctionne une nouvelle collègue, et vous serez donc 4 professeurs à passer en conseil de discipline au mois d’octobre 2020. Elle prononce de lourdes sanctions contre vous le 4 novembre…. Peux-tu les rappeler, s’il te plaît ?

Sylvie : Oui, mais avant, je reviens sur la suspension, c’était à titre conservatoire, ce n’était pas considéré comme une sanction, et c’était en attendant l’enquête administrative. Cette suspension a été prolongée ce qui est illégal et reconnu comme tel par le Tribunal administratif, ce qui fut notre première victoire. Nous avons déposé un premier recours en juillet 2020.

Les sanctions : Sandrine a eu un blâme, Aladin a eu un abaissement d’échelon, Cécile une suspension de salaire de 15 jours et moi une mutation d’office : TZR affectée au lycée Maurice Genevoix de Bressuire (90 kms de mon domicile). Je l’apprends le vendredi soir à 17h et le lundi matin, à 8 heures, je reçois un coup de fil du proviseur pour me dire – on vous attend, on a un poste. Je me dis, cela ne va pas être possible. Je voudrais revenir sur les CAPA (Commissions administratives paritaires académiques). C’est quelque chose qui est extrêmement lourd et long. La mienne a duré 8 heures et demie, ce qui est très très éprouvant, on a en face de soi des gens qui ne sont pas forcément bienveillants, qui sont dans une attitude de toute puissance. La Rectrice a été intransigeante, c’est eux qui détiennent la parole, eux qui ont raison. Il faut savoir que, les décisions ne sont pas prises lors des CAPA, la Rectrice propose des sanctions, qui sont soumises au vote. Pour les 4 de Melle, la rectrice a choisi de ne pas suivre ces avis, et de prononcer, seule, les sanctions qu’elle avait proposées (une par personne sur une semaine). Les mandatés juridiques de SUD et les avocats ont fait un travail remarquable. On ne peut y aller tout seul, on se fait dévorer.

Libre Pensée : Ces sanctions prononcées contre vous, professeurs du lycée de Melle, étaient également une menace en direction de tous les personnels de l’Education nationale, bien au-delà de votre établissement. Sanctionnés pour l’exemple ! Quelles ont été les réactions autour de vous, dans le mellois et au niveau national ? La menace a-t- elle atteint son objectif ?

Sylvie : C’était un moment très particulier qui correspondait aussi au confinement, on est resté dans une espèce de petite bulle et puis, nous avons pris conscience de l’impact que cela pouvait avoir. Oui, c’est clair que c’était pour l’exemple. Le fait qu’il y ait eu une quatrième collègue sanctionnée, Sandrine, qui n’avait même pas été prévenue, histoire de montrer que cela pouvait tomber sur n’importe qui, à n’importe quel moment. « Ne vous croyez pas à l’abri ! ». Bien sûr que ça marche, bien sûr… les collègues, ils rentrent dans le rang.

Libre Pensée : La mobilisation a pris de l’ampleur au cours des mois de combat. Elle est devenue nationale et s’est fédérée à d’autres combats contre l’arbitraire, et les sanctions dont étaient victimes des salariés de tout secteur. Avez- vous été surpris de cette évolution ?

Sylvie : Oui, cela a pris de l’ampleur parce qu’il y avait un soutien syndical, qui a été exceptionnel, on a eu une intersyndicale (ndlr : SUD, FSU, FO, CGT), tant au niveau régional que national, qui a très bien fonctionné, qui a fait front commun, et c’est ce qui nous a permis de tenir. On aurait été complètement broyé sans ça. Le travail des avocats et l’accompagnement de notre comité de soutien, ont été aussi décisifs. Concernant les autres cas de répression, il y a eu une journée à la Bourse du travail à Paris, nous y étions, les quatre de Melle, et c’est vrai qu’il y a une volonté de réprimer à tous les niveaux. Dès qu’on dépasse un petit peu, on tape pour faire rentrer dans le rang et pour impressionner les autres, pour faire en sorte que rien ne se passe.

Libre Pensée : La Rectrice s’est montrée inflexible et autoritaire, malgré les arguments défendus par les organisations syndicales pour votre défense : vous aviez exercé votre droit d’expression, et de mobilisation, dans une actualité d’opposition à une réforme. Le fait de se retrouver plusieurs à être sanctionnés a dû compter pour tenir le coup. Comment avez-vous vécu ce lien particulier ?

Sylvie : Un lien indispensable entre nous quatre, puis nous cinq, j’ajoute un collègue élu au CA, qui a joué un rôle important. Et aussi Delphine de SUD qui a été incroyable, disponible 24 h sur 24, et qui nous a soutenus à bout de bras. Et bien sûr, les différents engagements, les multiples soutiens nous ont portés. Nous avons eu un comité de soutien qui a fait un travail remarquable : communication, caisse de soutien, car financièrement, il faut suivre, frais d’avocats etc… Dans les procédures légales, le facteur financier est au cœur de la bataille, et les nombreux dons sur la cagnotte ont contribué, et contribuent encore, à la poursuite de la lutte. C’est cet ensemble qui nous a permis de tenir. Lors d’un rassemblement, un monsieur est venu me voir pour m’expliquer que, lui aussi, il avait été victime de sanction, un blâme, dans une autre académie. Il s’était retrouvé isolé, sans soutien et aujourd’hui, il était en dépression, cassé. Je suis aussi en contact avec un collègue, également sanctionné, muté d’office, il s’est battu contre les E3C, et il se bat également pour les familles sans papier. On s’aide comme on le peut.

Libre Pensée : Tu soulignes bien l’importance de se défendre, de ne pas rester isolé, de s’organiser.

Sylvie : Oui, parce qu’en face il y a plus qu’une attitude de mépris. Il y a de la malhonnêteté, pas seulement intellectuelle. Dans le premier compte rendu du CHSCT, il y avait des éléments faux apportés sans l’aval des organisations syndicales. Le rapport de l’enquête administrative était complètement à charge. Ce sont des procédés malhonnêtes contre lesquels on n’est jamais prêt.

Libre Pensée : La Rectrice, mais également Blanquer sont aujourd’hui désavoués, des jugements successifs, tribunal administratif, conseil d’État annulent les sanctions prononcées. Peux-tu revenir sur ces étapes, ces bonnes nouvelles ?  

Sylvie : Juillet 2020, premier recours contre le renouvellement de la suspension, juillet 2021 on gagne ! Le renouvellement est jugé illégal et cassé par le Tribunal administratif (TA). Décembre 2020, nous avons déposé un référé en urgence pour casser la mutation d’office, et nous avons gagné au TA. Ce jugement du TA est en attendant la décision du jugement sur le fond, qui aura lieu peut-être en décembre 2021. Comme on a gagné en référé, monsieur Blanquer a décidé d’aller devant le Conseil d’Etat, pour casser ce jugement. Derrière, il y a l’idée de l’usure psychologique, et de l’usure financière, les avocats spécialisés pour le Conseil d’Etat, ce sont des dizaines de milliers d’euros. Le Conseil d’Etat n’a pas donné raison à Blanquer, et a donc confirmé le jugement du TA.

Voilà où nous en sommes. Peut-être que le jugement sur le fond nous donnera raison, et vous pourrez l’écrire en conclusion de cet article. Pour autant, je ne suis pas réintégrée sur mon poste, je suis réintégrée en TZR et affectée sur mon poste !!! Et donc, une autre personne peut obtenir mon poste au prochain mouvement. Il va falloir être vigilants et continuer à ne rien lâcher.

Libre Pensée : On ne lâche rien, oui, c’est entendu dans beaucoup de batailles. C’est la marque d’une véritable détermination et d’une conscience des enjeux. Ils vous ont sanctionnés pour l’exemple, et aujourd’hui, la réponse donnée, c’est une mobilisation exemplaire, j’emploie cette expression non pas pour donner des médailles, mais dans l’idée qu’elle peut servir d’enseignements et qu’elle peut aider dans d’autres combats.

Sylvie : Oui, parce que la mobilisation, elle paie, elle est nécessaire. C’est difficile, c’est long. On y a tous laissé des plumes, on tient le coup. On continue. Il faut comprendre que le but de la réforme c’est de démanteler complètement l’éducation nationale, on fait des économies, des classes à 36 élèves, donc moins de profs etc…Et qui craquent ? Qui montent au créneau pour défendre leur métier et leurs missions ? Les profs, qui malgré leur volonté et leur engagement professionnel, se retrouvent en échec, et les profs, on n’aime pas être en échec ! On se retrouve en situation d’échec parce qu’on ne peut pas donner des réponses aux élèves, on ne peut pas les préparer correctement aux épreuves, et donc, on se retrouve devant un vrai dilemme. Dans mon établissement, les collègues tombaient comme des mouches… Plus de 50% des collègues en maladie, sur quelques mois en 2020.

Libre Pensée : Ce que tu décris correspond tout à fait à ce qu’expliquent les personnels soignants. Il ne leur est plus possible de donner les soins auxquels les patients ont droit. Pour Blanquer, faire craquer les profs, c’est faire sauter une résistance pour atteindre le but dont tu parlais, le démantèlement de l’éducation nationale ?

Sylvie : Oui, avec derrière, la mise en place du secteur privé, les boîtes … Un nouveau marché.

Libre Pensée : Merci Sylvie pour cet échange riche et instructif. Veux-tu dire quelques mots en conclusion ?

Sylvie : Oui, je veux revenir sur la volonté de détruire les gens. Il y a vraiment la volonté de broyer.

Libre Pensée : Merci encore. A très bientôt.

(Propos recueillis par Cathy Maquard)