On nous aime, chez les bas du Front

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Régulièrement la Libre Pensée est accusée – par ceux-là même qui sont partisans de violer la loi (celle de 1905 de Séparation des Églises et de l’État)  – de vouloir s’en prendre aux “libertés”, aux “traditions”, au “patrimoine” au “consensus”. C’est bien connu, il n’est pas de meilleur voleur que celui qui crie “au voleur !” pour détourner l’attention. Suite à une énième attaque (en l’occurrence, ici, du “Boulevard Voltaire”, nous faisons le point sur notre véritable position sur la question des statues.

 

Iris Bridier 19 novembre 2021Catégorie : Articles Culture Polémiques

Après Colbert devant l’Assemblée nationale, Schoelcher en Martinique, La Bourdonnais à La Réunion, Faidherbe à Lille, Gallieni à Paris, Napoléon à Rouen ou à La Roche-sur-Yon, nombreuses sont les statues dans le viseur de ceux qui veulent déboulonner notre Histoire, invoquant la laïcité ou le colonialisme. Cette fois, c’est aux Sables-d’Olonne, en Vendée, que nous emmène la frénésie de ces déconstructeurs, ennemis du passé.

Ce 18 novembre se tenait, devant le tribunal administratif de Nantes, l’audience dans l’affaire opposant la Libre Pensée de Vendée à la ville des Sables-d’Olonne. Dans le cadre du réaménagement d’une école privée, une statue de saint Michel doit être déplacée. Le conseil municipal de l’époque décide d’une nouvelle implantation. Ce sera sur le parvis de l’église Saint-Michel, devant l’auditorium Saint-Michel, au cœur du quartier… Saint-Michel. En 2018, la pose de la statue est inaugurée et donne lieu à une cérémonie en présence d’anciens parachutistes rendant hommage à un ancien capitaine décédé peu de temps avant et honorant, à cette occasion, saint Michel, leur saint patron.

Dans cette histoire où chacun ne saurait voir qu’un condensé de belle unité locale et française, d’heureuse transmission de patrimoine et de mémoire, quelques esprits chagrins ont vu une atteinte à la loi de 1905 qui interdit l’implantation de tout symbole religieux dans l’espace public. Des arguments en défense ont été invoqués, plaidant un projet dénué d’arrière-pensées prosélytes : l’aspect de la statue, plus allégorique qu’hagiographique ; l’évidence d’une implantation dans un quartier éponyme ; sa présence sur le parvis de l’église, assimilable à ces abords d’édifices autorisés par la loi… Le verdict est attendu dans un mois. Si la Libre Pensée obtenait gain de cause, cela entraînerait l’annulation de la décision municipale et l’obligation de déboulonner la statue, en maintenant cependant le socle, généreuse concession de nos révolutionnaires des temps modernes.

Car nos libres penseurs ne sont pas à un paradoxe près. De liberté, ils n’ont pas, engoncés dans l’étroitesse des textes, décrets, règlements et préambules qu’ils ont rabâchés à leurs pauvres élèves quand ils étaient encore profs de gauche. De pensée, ils n’ont pas plus : ne voyant pas qu’abattant nos racines, nos images, nos ciments, ils détruisent la liberté qu’ils disent défendre, installent l’idéologie qu’ils disent combattre, préparent les systèmes qu’ils feignent de dénoncer, fidèles héritiers des colonnes infernales qui, sur ces terres, voulaient faire table rase du passé.

Bien triste époque qui demande à saint Michel de replier ses ailes, aux statues de disparaître, à la Vendée de ne plus avoir de cœur… Comme elle est loin, l’époque où, à quelques encablures de là, on donnait au point culminant de Vendée, alliant les époques et les croyances, le beau nom de Saint-Michel-Mont-Mercure ! Les époques ont les héros qu’elles méritent. Il y a celles qui sont dignes d’un chef de milices célestes, protecteur des petits, et celles dont le héros ressemblerait plutôt à un enseignant qui n’aime pas son Histoire. On ne peut choisir son époque, mais on peut choisir ses héros.

 

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La véritable position de la Libre Pensée sur la question des Statues

Entre Mémoire et Histoire

L’Histoire s’écrit tous les jours. Elle change donc en fonction des acquisitions des connaissances. C’est ainsi que le lieu du Camp d’Alésia a quelque peu varié selon les recherches archéologiques et les contingences politiques.

La mémoire c’est ce qui reste quand l’Histoire s’efface et se modifie et que la paresse de l’esprit va – elle le croit – à l’essentiel.

Il faut toucher à l’Histoire avec des mains tremblantes (pour paraphraser Sieyès). La mémoire est fluctuante, elle n’est soumise à aucune règle rationnelle. La mémoire est émotion quand l’Histoire devrait être purement factuelle. L’Histoire est récit, quand la mémoire est passion.

On ne peut violer la mémoire qu’à condition de lui faire de beaux enfants (Alexandre Dumas qui parlait de l’Histoire en fait).

Si l’on doit modifier l’Histoire, on ne peut le faire qu’avec précaution et à petites touches. C’est souvent le récit réussi d’une histoire ratée.

Il faut établir une méthodologie pour la mémoire. On pourrait prendre le modèle de l’Article 28 de la loi de 1905 de Séparation des Eglises et de l’Etat : « Art. 28 – Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépultures dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »

On pourrait donc considérer que l’on ne touche plus à ce qui existe, et on s’interdit pour l’avenir d’ériger des choses en mémoire de choses ou de personnages discutables. On laisse alors, sur un autre plan, le champ de l’Histoire libre de toute évolution. La mémoire établit des bornes et des frontières, pas l’Histoire. L’une est limitée, quand l’autre n’a pas de frontière.

La Libre Pensée n’est pas adepte de la cancel-culture. La révision, oui, pas le révisionnisme. On ne doit pas effacer l’Histoire et ses traces, mais on doit l’expliquer en permanence. En dehors de cas caricaturaux et quelque peu provocateurs qui peuvent « troubler l’ordre public » selon la formule policière (une place Hitler à Strasbourg ou une rue Pétain à Vichy), à quoi sert de détruire des monuments, des statues et de débaptiser des rues ? Il est bien plus utile et pédagogique de mettre un panneau explicatif à côté d’un monument controversé. Panneau dont le texte peut aussi évoluer.

Il ne doit pas y avoir d’holocauste historique de destruction des traces du passé. Le Monument en hommage aux Fusillés de Chateaubriant le dit clairement : « Celui qui oublie son passé est condamné à le revivre ». L’Histoire sert une cause, alors que la mémoire peut servir à toutes les causes, un peu comme le fameux Hôtel Printania à Vichy sous « L’Etat Français » de Philippe Pétain : « Bains, douches ; gargarismes, sert tous les régimes ».

Parler d’Histoire, c’est faire l’Histoire. En fait, c’est utiliser le passé – à bon ou mauvais escient – pour façonner le présent. L’Histoire n’a d’intérêt que pour le futur et l’action pour faire.

L’Histoire est le propre de l’Homme. Les animaux ont de la mémoire, pour autant, ils ne construisent pas leur histoire. « Par ce signe tu vaincras » (In hoc signo vinces), ce n’est pas de l’Histoire et pourtant c’est devenu un fait de mémoire qui a marqué la conscience collective. (Bien qu’irréel et faux).

L’Histoire est-elle une succession de cycles, où « il n’y jamais rien de nouveau sous le soleil » (l’Ecclésiaste), ou comme le dit Karl Marx, quand l’Histoire se répète, la deuxième fois, c’est toujours une farce. Ma préférence va à Marx, car sinon quelle est la place de l’être humain, si tout doit se refaire à l’infini ?

Une Histoire qui ne ferait que se répéter ne laisserait aucune place à l’individu et « validerait » l’idée d’une puissance surnaturelle qui déciderait de tout. La Séparation du Temporel et du Religieux a aussi sa pertinence dans le débat sur l’Histoire.

Paul Valéry disait que « l’Histoire est une science des choses qui ne se répètent pas ». Pas plus que l’Histoire ne se répète pas, on ne se baigne jamais dans le même fleuve. L’Histoire ne se répète pas, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’a pas – parfois – de mémoire.

L’Histoire, c’est le Pourquoi, lors que la mémoire, c’est le Comment. Il n’y a de nouveau que ce qui est oublié.

L’Histoire appelle l’étude et la lecture. Quand les marins de Cronstadt en 1917 font la Révolution, ils ont une soif de lecture et même de poésie. L’Histoire engage l’étude, la mémoire non. L’Histoire appelle la morale, la morale n’appelle pas l’Histoire. Ainsi quand les marins de Cronstadt s’engagent dans le mouvement révolutionnaire, ils interdissent suppriment, répriment la criminalité, l’alcoolisme, la prostitution et les jeux d’argent. La mémoire s’accommode de toutes les turpitudes.

Pour terminer le propos, parlons de l’esclavage. N’y-a-t-il pas un contre-sens absolu à vouloir mettre en œuvre la cancel-culture, c’est-à-dire effacer à tout jamais les traces de cette abomination où le racisme le plus abject fut au service du profit et de l’économie ? Ou faut-il utiliser les traces du passé pour dénoncer cette horreur, éclairer l’avenir et essayer de rendre le monde meilleur et plus éclairé ?

La véritable question est comment dénoncer cette barbarie que fut l’esclavage, sans mettre un processus moral contraire à cette dénonciation ? On en revient toujours à la question de la morale et des moyens.

Cela nous amène donc à poser aussi la question des moyens pour rechercher la vérité qui devrait guider notre conscience. Il y a un procès perpétuel qui est fait au bolchévisme, puis au trotskysme (nécessité oblige) sur la formule faussement attribuée : « la fin justifie les moyens ». Dans son ouvrage «Leur morale et la nôtre », Léon Trotsky indique clairement qu’il ne saurait y avoir de moyens contraires à la fin.

Un autre auteur, qui n’a rien à voir avec le communisme, Albert Camus qui était plutôt de la mouvance libertaire répondait la même chose : « La fin justifie les moyens, mais qui justifiera la fin ? A cette question sans cesse posée et jamais résolue, l’homme révolté répond : les moyens ». Bernanos ne disait pas autre chose : « Une société de décadence, c’est une société qui substitue les moyens aux fins. »

C’est la même idée : il ne saurait y avoir de moyens contraires à la fin, car les moyens tuent la fin s’ils sont contraires à la fin.

Effacer les traces visibles de l’esclavage, n’est-ce pas, en quelque sorte, effacer l’esclavage lui-même ? Là est sans doute la contradiction.

Pour le reste, le chemin reste ouvert : « C’est en cherchant l’impossible que l’homme a toujours réalisé le possible. Ceux qui se sont sagement limités à ce qui leur paraissait possible n’ont jamais avancé d’un pas ». Ainsi parlait Michel Bakounine.

 

 

Christian Eyschen