Lettre aux enseignants de l’École publique laïque et à leurs syndicats

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Les mesures prises à l’encontre de l’Ecole publique laïque, ainsi que les remises en cause de la mission des enseignants et les tentatives de Jean-Michel Blanquer de mises au pas, nous conduisent à vous adresser cette lettre, afin de vous faire part de notre position sur ces questions d’une extrême importance pour la démocratie et de vous apporter notre soutien.

Nous avons pris connaissance des nouvelles mesures du ministre Blanquer à l’encontre du baccalauréat qui ont pour but de supprimer son caractère de 1er grade de l’enseignement supérieur et de ses déclarations concernant selon ses paroles « la redéfinition du métier ».

La seconde partie de l’épreuve orale du CAPE et du CAPES porte sur « la motivation du candidat et son aptitude à se projeter dans le métier de professeur au sein du service public de l’éducation ». Les qualifications passent au second plan.

Ces dispositions nouvelles visent à transformer l’enseignant en exécutant docile de la politique du gouvernement. Le ministre a réuni en octobre dernier « 1 000 formateurs à la laïcité ». A cette occasion, il a déclaré : « Si vous devenez professeur, vous transmettez les valeurs de la République. Et si vous ne les transmettez pas et si vous-même vous militez contre les valeurs de la République, éventuellement sortez de ce métier, parce que vous vous êtes trompés à un moment donné ». Étranges propos insultants de la part du ministre ! Comment brandir les « valeurs de la République » à tout propos, sans jamais pourvoir les définir avec précision ? Il semblerait que le Ministre de l’Éducation nationale applique en la circonstance la définition théologique du « Saint-Esprit » : « Le noyau est partout, la circonférence nulle part et l’Esprit souffle où il veut ».

Outre le fait que M. Blanquer n’est pas celui qui est le mieux placé pour parler de la République, c’est une menace très grave. A quand les interdictions professionnelles pour délit d’opinion ? Les enseignants sont des fonctionnaires d’État, relevant du Statut général et d’un statut particulier qui leur garantissent notamment la « liberté d’opinion » et les protègent contre toute « […] distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses », conformément à l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983. Mieux, ils bénéficient d’une certaine indépendance dans la mesure où l’obligation d’exercer leurs « […] fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité », prévue à l’article 25 de ce texte, doit tenir compte de « la liberté pédagogique » que leur reconnaît, par ailleurs, l’article L. 912-1-1 du Code de l’éducation, laquelle « […] s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale ». Ils ne sont pas des supplétifs ou des propagandistes du gouvernement qu’il serait, selon M. Blanquer, interdit de critiquer. 

Les enseignants sont des citoyens. A ce titre, pour eux comme pour tout le monde, l’article 1er de loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Églises et de l’État leur garantit la liberté de conscience, dont découle la liberté d’opinion qui s’exerce au plan professionnel, en ce qui les concerne, dans les conditions prévues par les textes rappelés ci-dessus. C’est cette liberté d’opinion qui est remise en cause par M. Blanquer. Faudrait-il que les enseignants prêtent serment de fidélité au gouvernement comme les fonctionnaires sous le Régime de Vichy ?

M. Blanquer s’attaque ouvertement à la laïcité, tout en prétendant organiser la formation des enseignants à la laïcité. Quelle hypocrisie ! M. Blanquer veut l’autonomie des établissements scolaires pour mieux les livrer aux groupes de pression, aux lobbies économiques, politiques (les “décideurs“) et religieux. Il remet en cause la laïcité et, du même coup, le statut du fonctionnaire. Les menaces sont claires. C’est la mise au pas des enseignants, le formatage !

En même temps, le ministère a publié des affiches mettant en scène des enfants, soulignant de manière caricaturale l’origine étrangère de l’un ou l’autre d’entre eux. Ce qui sous-entend que la présence d’enfants d’origine étrangère à l’École est une source de problèmes et de tensions. Ces stéréotypes ethnico-religieux n’ont rien à voir avec la laïcité, fondée sur le respect de la liberté de conscience et de l’égalité des droits.

C’est la même politique avec la volonté d’embrigader, d’endoctriner les jeunes avec le SNU (Service national universel). Port de l’uniforme, chants patriotiques, travail gratuit (comme le nettoyage du littoral, des berges des rivières) et des mesures pour amener les jeunes à s’enrôler dans la gendarmerie ou l’armée sous prétexte d’engagement républicain.

L’armée a manifesté des réticences pour l’encadrement de ces jeunes dans le SNU. Le gouvernement a donc décidé de demander à l’Education Nationale et donc aux enseignants d’encadrer aux côtés des militaires et des gendarmes ces jeunes sous l’uniforme. Ce n’est ni le rôle, ni la mission des enseignants de recruter, ni d’encadrer les jeunes pour le SNU.

Le gouvernement, qui utilise la pandémie actuelle, pour développer l’enseignement “distanciel” dans tous les degrés d’enseignement, vise à accélérer la privatisation de l’enseignement. C’est cela l’objectif du “e-learning” et de groupes puissants comme Microsoft… Cela n’est pas acceptable ! L’Éducation Nationale n’est pas « un marché » ! Cela est et doit rester un service public de l’État.

Les établissements scolaires publics sont victimes de milliers de suppressions de postes et de classes, notamment dans les zones rurales. Dans le même temps, chaque année 12 milliards d’euros de fonds publics sont détournés au profit de l’enseignement privé, confessionnel, catholique, institution de l’Église dont le but est avant tout l’évangélisation, comme ils le revendiquent eux-mêmes. Dans ce cadre de la loi Debré, la mise en œuvre de la scolarité obligatoire dès 3 ans représente un cadeau financier supplémentaire à l’école privée confessionnelle.

Le métier des enseignants est d’enseigner. Il n’a pas à être redéfini. Dans ce combat, les enseignants peuvent compter sur la Libre Pensée. La Libre Pensée sera toujours aux côtés des enseignants.

Dans son « rapport sur l’Instruction Publique », présenté le 20 avril 1792 devant l’Assemblée législative, Condorcet déclarait : « La première condition de toute instruction étant de n’enseigner que des vérités, les établissements que la puissance publique y consacre doivent être aussi indépendants qu’il est possible de toute autorité politique.(…) Aucun pouvoir public ne doit avoir ni l’autorité, ni même le crédit, d’empêcher le développement des vérités nouvelles, l’enseignement des théories contraires à sa politique particulière ou à ses intérêts momentanés ».

Ces principes, que la République a mis en œuvre, sont toujours d’actualité : l’enseignant enseigne selon les fondements de la science, pas selon des directives politiques.

Pour la Libre Pensée, l’effort de la Nation doit aller exclusivement à l’École publique. Douze milliards, ce sont 180 000 postes qui font cruellement défaut à l’École de tous, celle de la République.

Fonds publics à l’École publique exclusivement !

Fonds privés à l’École privée !

Le Bourget, le 30 novembre 2021

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