Commission de la défense : réhabiliter les militaires « Fusillés pour l’exemple » durant la Première guerre mondiale. Mardi 4 janvier 2022

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Transcription faite sous la seule responsabilité de la Libre Pensée

Les Fusilleurs ont la parole

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere – LREM

« Monsieur le rapporteur votre PPL reprend dans les grandes lignes les dispositions d’une loi qui a déjà été soutenue pas moins de 3 fois par le groupe GDR devant cette assemblée. Vous reprenez donc leur texte à ce détail près : contrairement aux lois précédentes ce texte ne demande pas d’accorder la mention « Mort pour la France » aux Fusillés pour l’exemple.

Vous vous cantonnez en effet à demander une réhabilitation générale et collective pour les Fusillés ainsi que l’inscription de leurs noms sur les monuments aux morts de leur commune alors que, et vous l’avez reconnu, cela est déjà possible.

Ainsi cette PPL poursuit un objectif mémoriel et symbolique bien plus qu’un objectif pratique, puisque l’essentiel des dispositions que vous présentez relève au fond du domaine réglementaire.

Ceci étant dit, le groupe LREM ne s’opposera pas à cette loi sous le seul prétexte qu’elle n’a pas de portée législative. Il serait en effet malhonnête de prétendre que nous nous opposons à poursuivre des objectifs mémoriels à travers la loi alors que nous avons adopté le projet de loi Harkis voici quelques semaines.

Par ailleurs, sur le volet mémoriel, je souscris à nombre de vos propos. Il est indiscutable que ce qui se jouait dans les cours martiales en 1914 et 1918 et plus exactement entre 1914 et 1915, n’était qu’une parodie de justice. D’abord parce que les droits de la défense n’y étaient pas respectés, ensuite parce que la justice était rendue de façon expéditive. Le dire ne revient pas à procéder à une relecture de l’histoire à la lumière d’aujourd’hui car ce simulacre de justice a été amplement dénoncé par les contemporains. Vous l’avez dit, en 1915 déjà des députés se sont battus pour la fin des cours martiales et cela a abouti à la réforme de la justice militaire du 27 avril 1916.

Georges Clemenceau disait lui-même que la justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique. Je le laisse maitre de ses propos, mais je n’ai aucune difficulté à reconnaitre avec vous que la justice rendue par ces cours martiales était une justice expéditive et je crois même que cette affirmation peut faire l’unanimité sur nos bancs. En revanche je dois dire que sur d’autres volets votre PPL me met un peu plus mal à l’aise.

Ainsi, en proposant une réhabilitation générale et collective vous dépassez le cadre légitime de la dénonciation d’erreur pour évoluer vers un terrain idéologique et politique. Vous le savez bien mieux que moi, si beaucoup de soldats qui ont été exécutés par ces cours martiales, l’ont été pour de mauvaises raisons, certains été de doubles, triples voir quadruples déserteurs. Comme le souligne le rapport Prost déclarer un mutin innocent constitue une négation du devoir militaire ce qui pose en cascade une multitude de problèmes. Notamment parce que cela reviendrait à admettre que la défense nationale n’a jamais été une obligation pour les citoyens. Ainsi, à travers cette position le serpent se mord la queue puisque cela revient à remettre en cause l’existence même du concept et du statut de mort pour la Nation. Cela s’inscrit même en contre du combat des proches de Fusillés. Beaucoup se sont battus non pas pour renier le devoir militaire, mais pour que l’on reconnaisse qu’il avait été accompli par les disparus.

Au fond, la campagne en faveur de la réhabilitation poursuit des objectifs la simple question de rendre justice à tel ou tel soldat. Elle revient à régler une question complexe, une question centenaire en affirmant une question de principe. Cela dessert le travail des historiens, car cela nie la complexité de l’histoire et des situations auxquelles ces soldats ont été confrontés.

Ainsi, si le législateur peut parfois voter des lois mémorielles qui tentent à reconnaitre une injustice commise par l’État ou le gouvernement à une époque donnée, il ne lui revient nullement de se substituer aux historiens en imposant une grille de lecture politisée et empreinte des idées modernes sur des événements qui ont eu lieu il y a plus de cent ans.

Sur la forme, votre proposition de réhabilitation se heurte à des difficultés pratiques qui ont été recensées dans le rapport Prost de 2013. La réhabilitation générale pose des problèmes politiques et historiographiques que vous ne saurez nier. La réhabilitation individuelle a été rendue possible par l’institution de la cour spéciale de justice militaire de 1932, vous l’avez rappelé, et a conduit à une quarantaine de réhabilitations au cas par cas.

Aujourd’hui, et malgré les initiatives menées en ce sens, comme la numérisation des archives des Conseils de guerre qui sont accessibles en ligne depuis 2014, les réhabilitations au cas par cas se trouvent dans l’impasse. Parce que refaire des procès 100 ans après n’a aucun sens. Parce que 20% des dossiers ont été perdus et que la plupart de ceux qui ont été conservés sont lacunaires. En l’absence de témoin il est donc impossible de conclure.

Ainsi, Monsieur le rapporteur, nous voterons contre votre texte. Nous ne pouvons souscrire au principe de réhabilitation collective pour les raisons que j’ai énoncé tout à l’heure. Pour ce qui est de la reconnaissance de la Nation, car il ne faut pas faire d’amalgame entre réhabilitation et reconnaissance, nul besoin de la loi pour préciser ce qui est.

Vous l’avez d’ailleurs dit, divers de nos chefs de gouvernements ou de l’État ont eu des expressions très claires. Tout sur les fusillés est transparent et parait clairement, notamment sur le site Mémoires des hommes, ou encore, vous l’avez dit, au musée de l’Armée.

L’inscription du nom des réhabilités est déjà une possibilité qu’ont exercé certaines communes. Enfin sur la question de l’érection d’un monument national, alors qu’il existe différents monuments comme à Riom en Auvergne, à Vingré dans l’Indre ou à Saint-Martin-d’Estreaux dans la Loire, entre autres, pourquoi ne pas laisser le soin aux associations d’Anciens combattants, si elles le souhaitent, de désigner l’un d’entre eux pour devenir monument national.

Pour finir, Monsieur le rapporteur, si nous partageons la volonté mémorielle, il nous apparait strictement que ce n’est pas à la loi de faire l’Histoire. »

Monsieur Jean-Louis Thiériot – Les Républicains

« Le sfumato est formidable sous la plume de Léonard de Vinci. L’impressionnisme est de haute tenue sous le pinceau de Claude Monet. Le problème c’est que l’impressionnisme en droit, quand on fait de la légistique et que l’on rédige un texte c’est infiniment plus problématique. Notre groupe est interpelé par le fait que dans cette PPL vous faites un tout du concept de Fusillé pour l’exemple et que vous choisissiez l’idée d’une réhabilitation collective.

Avant de développer je veux tenir deux propos préalables. Le premier c’est que nul ici, et moi qui ai fait un peu d’histoire plus que d’autres, ne peut dire qu’il n’y a pas eu de monstrueuses injustices dans cette justice militaire du début de la guerre de 1914.

La deuxième chose aussi que je souhaite dire c’est que personne, je crois, ne conteste ici que ces hommes qui ont été fusillés, sont morts du malheur des temps, sont morts des malheurs de la France et sont morts par la France. Évidemment.

La question c’est : est ce qu’ils sont morts pour la France ? Je crois, qu’aucun de nous ici ne peut honnêtement savoir ce qu’il aurait fait face à l’horreur de ces combats sauf peut-être certains d’entre nous et je pense à notre collègue Jean-Michel Jacques qui lui c’est ce que s’est d’être au feu et qui est le seul qui pourrait en parler sans avoir l’humilité que nous devons tous avoir.

Aujourd’hui, à travers ces différentes lois que Monsieur le rapporteur a cité, les lois de 21, les lois de 24, la loi de 25, la procédure de réhabilitation de 1932, lorsque la justice militaire dans ces différentes formes – et qui évidemment, parce que c’était les temps qui le voulaient, ne respectait pas les termes du droit au procès équitable tel que définit aujourd’hui par la Cour Européenne des Droits de l’Homme – mais ne faisons pas de l’anachronisme judiciaire, ne faisons pas de l’archéologie juridique, ces cas-là, individuellement quand la justice a été saisie ont été pour la plupart réhabilités.

Vous avez-vous-même Monsieur le rapporteur cité les cas que l’on a tous en tête. Celui des six de Vingré, celui du poilu Gabrielli, d’autres cas que nous avons en tête. Oui la justice saisie en son temps a réparé les fautes commises par la justice militaire lorsqu’elle avait été saisie. Vous avez-vous-même dans votre intervention parlé de ceux qui avaient désobéi, dans les trois cas que l’on connaît. Cela veut dire que vous reconnaissez bien implicitement qu’il y a eu désobéissance.

Si aucun de nous ici ne peut accepter le principe de la décimation, c’est-à-dire de la responsabilité collective, par exemple par tirage au sort, nul ne peut non plus accepter une réhabilitation collective. Parce que cela veut dire sinon que l’on trouverait sur des monuments aux morts, à côté de ceux, le million deux cent mille poilus qui sont morts en première ligne et pour la France, des gens qui vous l’avez dit vous-mêmes ont désobéi. Personne ne jugera la faute morale qui a été la leur, car aucun de nous ne sait ce que d’être au feu, mais si la faute est individuelle, la réhabilitation ne peut aussi qu’être individuelle.

Un siècle après est-ce si intelligent dans notre pays si divisé, de rouvrir encore des blessures mémorielles ? La France a besoin d’unité. Elle a besoin de se réunir sans mettre en permanence du sel sur les plaies d’une histoire.

Notre groupe votera contre cette PPL parce qu’elle ne veut pas éternellement que nous rouvrions les plaies de nos désaccords nationaux (note : l’orateur dit « nationales ») pour la sérénité collective du pays. Le temps, je crois, est de jeter un voile pour que nous ne mettions pas dans un même bateau ceux qui ont été à la hauteur des sacrifices que la nation a demandés et ceux qui, pour une raison quelconque et pour certains c’est injuste mais on ne sait pas pour lesquels, on ne peut pas ici au nom de la loi les mettre tous sur les mêmes monuments au mort en les respectant évidemment tous. »

M. Christophe Blanchet -MODEM

« Monsieur le rapporteur le sujet que vous soumettez ici aux débats ne laisse pas de place à l’indifférence. D’ailleurs vous vous êtes chargé de le rappeler. De monsieur Jospin à Monsieur Sarkozy en passant par Monsieur Hollande, il n’est question pour personne d’ignorer ces soldats qui, sous le poids des circonstances terribles que sont celles d’une guerre dévastatrice, ont pu fléchir, craindre la mort ou perdre la force de se battre. Pour autant, avant de m’exprimer sur un sujet d’une telle importance j’ai souhaité comprendre ce qui avait mené les gouvernements successifs à demeurer défavorable à la réhabilitation générale de ces militaires dits « Fusillés pour l’exemple ».

Pour se faire, et comme chacun d’entre nous a sans doute taché de la faire ici, vous en premier lieu Monsieur le rapporteur, je me suis appuyé sur le rapport publié par le groupe de travail mené par l’historien Antoine Prost en 2014, lequel s’est révélé un vrai support de réflexion sur ce point précis.

Tout d’abord il est vrai que le terme d’exemplarité doit nous interpeler, car en effet généraliser son emploi reviendrait à croire que des soldats auraient été fusillés au hasard pour intimider ceux qui auraient tenté de montrer à leur tour un instant de faiblesse. Or, s’il est vrai que ces condamnations avaient un effet dissuasif sur le reste de la troupe sous les yeux de laquelle ces dernières avaient lieu, la notion d’exemplarité ne doit cependant pas exclure celle de culpabilité. Ces hommes ayant été inculpé à cette époque au regard de la justice militaire.

Ainsi c’est précisément pour cette raison que se pose la question de la réhabilitation générale de ces soldats, laquelle présente deux difficultés historiques selon le rapport précité, qu’il me semble, toutes deux, nécessaire de prendre en compte. En effet, si beaucoup d’entre eux ont été fusillés de manière totalement inacceptable, d’autres l’ont quant à eux été pour des raisons si sérieuses que les tribunaux de droit commun auraient eux-mêmes pu conclure à ces condamnations.

En outre, il faut garder à l’esprit que réhabiliter reviendrait à affirmer qu’une condamnation a été prononcée à tort. Ce qui implique de proclamer l’innocence d’un combattant. Or, selon l’historien Antoine Prost, il ne serait par exemple pas légitime que la réhabilitation permette de dire qu’un soldat ayant abandonné son poste soit mort pour la France.

Pour ces différentes raisons il me semble plus conforme d’envisager une réhabilitation qui se fasse au cas par cas, prenant en compte l’individualité de chacun des dossiers soumis au Ministère des armées, comme pour ce qui concerne l’attribution de la mention « Mort pour la France » en cas de réhabilitation après-guerre.

Néanmoins il ne doit pas être question de procéder à l’examen de l’ensemble des dossiers. Les plus alarmants ayant d’ores et déjà étaient juridiquement et sérieusement examinés en 1939. De même ne sélectionner que certains cas symboliques relèveraient d’un choix arbitraire qui ne trouverait pas toute sa justification.

Il convient donc de ne pas ignorer ces difficultés historiques et de privilégier un examen très pointu des dossiers des soldats concernés par cette réhabilitation. Si le devoir mémoriel est de mise dans le devoir d’une nation, nécessité sur laquelle nous nous accordons tous ici, l’idée d’une justice rétroactive n’apparait quant à elle pas raisonnable. Dès lors, Monsieur le rapporteur, vous comprendrez que le groupe Démocrate ne puisse pas soutenir ce texte. »

M. Thomas Gassilloud – Agir ensemble

« Nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi visant à réhabiliter les militaires Fusillés pour l’exemple durant la Première guerre mondiale présenté par notre collègue Bastien Lachaud.

Le groupe Agir ensemble remercie les auteurs de cette PPL qui nous permet d’évoquer à nouveau un sujet sensible de notre histoire, celui des fusillés de la Grande Guerre. Comme les trois premiers groupes qui se sont exprimés, et je salue la qualité de leurs orateurs, nous nous opposerons à l’adoption de ce texte.

En effet, si le fait que la justice militaire de la Première Guerre Mondiale a parfois été expéditive et inéquitable fait l’unanimité, ce n’est pas le cas de la réhabilitation des Fusillés de la période. Quand bien même celle-ci ne concernerait que les condamnés à mort pour désobéissance militaire ou mutilation volontaire.

Les associations d’anciens combattants elles-mêmes sont loin de toutes demander cette mesure et plusieurs s’y opposent. Il en va de même pour les associations historiques de défense des droits de l’homme. Ces discordances ne viennent pas de nulle part. En effet si la notion d’exemple a pu mener à des excès elle ne porte pas en elle-même la marque d’une injustice. Surtout la réhabilitation générale est soumise à plusieurs difficultés juridiques. En particulier, cela reviendrait à affirmer que toutes les condamnations visées ont été prononcées à tort. Ainsi, là où l’amnistie serait déjà plus recevable, la réhabilitation signifierait par exemple qu’un soldat ayant abandonné son poste pour la énième fois était innocent. Ce qui n’était pas le cas au regard du droit en vigueur. Surtout, ce serait faire un contresens et affirmer qu’il est mort pour la France. Nous pouvons éviter cette information erronée sans pour autant reconnaitre les conditions extrêmement difficiles qui ont pu amener des soldats à désobéir à leur hiérarchie ou à tenter d’échapper aux combats.

Mes chers collègues. L’histoire demeure complexe pour celui qui la lit avec le prisme de son quotidien et les valeurs de son temps. Lorsque l’humanité atteint les pires abimes de son histoire et que la survie même de la nation est engagée, peut-on réellement comprendre, plus de 100 ans après, et dans toute leur logique, les décisions de nos aïeux ?

S’il faut faire la lumière sur toutes les pages de notre histoire, si noires soient elles, l’humilité doit probablement prévaloir sur la critique. »