Décision du Conseil d’État sur le règlement des piscines de Grenoble :

Pour nous suivre

Une victoire en trompe- l’œil !

Rien n’est réglé, tout est encore devant nous !

Que les xénophobes anti-musulmans ne se réjouissent  pas trop tôt et ni trop vite !

Le Sinistre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a demandé au Préfet de l’Isère d’engager une procédure auprès du Tribunal administratif, au titre du « déféré-laïcité » de la loi xénophobe dite « Séparatisme ». Le Tribunal administratif a fait droit à la demande en décidant la suspension de l’article 10 du règlement des piscines, puis le Conseil d’Etat a refusé d’annuler la décision de suspension du TA.

Il s’agit d’une suspension et non d’une abrogation de la décision municipale. Il y aura donc un jugement plus tard sur le fond du Tribunal administratif qui doit advenir. Ce qui sera susceptible d’un recours à nouveau au Conseil d’État, puis éventuellement, en fonction de l’arrêt pris, d’un recours à la Cour européenne de Justice.

Autant dire que l’affaire est loin d‘être close et qu’elle risque de subir bien des rebondissements, d’autant que le centre de l’argumentation du Conseil d’Etat repose en grande partie sur l’écriture de l’article 10 du règlement des piscines, que la jurisprudence antérieure du Conseil d‘Etat n’aurait nullement contestée. Cet arrêt marque un tournant juridique, il faut le constater et le contester.

La Fédération nationale de la Libre Pensée publie ci-dessous son analyse juridique de l’arrêt du Conseil d’État.

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L’esprit de la loi « séparatisme »  plane au-dessus du Conseil d’État

Saisi en appel par la ville de Grenoble, sur le fondement du cinquième alinéa de l’article L. 2131-6 du Code général des collectivités territoriales dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, le Conseil d’État vient de confirmer, le 21 juin 2022, l’ordonnance par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble avait, le 25 mai précédent, suspendu la délibération du Conseil municipal de cette commune modifiant l’article 10 du règlement des piscines pour autoriser les personnes fréquentant ces équipements sportifs à porter un vêtement de bain dénommé « burkini ». La juridiction administrative suprême s’imprègne ainsi, implicitement, mais nécessairement, de l’esprit de la loi dite « Séparatisme » au détriment de la conception traditionnelle du service public et à rebours de certains de ses décisions passées.

Une motivation inquiétante

Après avoir rappelé, d’une part, qu’aux termes de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi », d’autre part, qu’à ceux de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale [qui] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion [et] respecte toutes les croyances. », enfin, qu’à ceux des articles 1er et 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Eglises et de l’Etat « La République assure la liberté de conscience [,] garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées […] dans l’intérêt de l’ordre public » et, à cette fin, « […] ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », le Conseil d’État souligne, à juste titre, que « Le gestionnaire d’un service public est tenu, lorsqu’il définit ou redéfinit les règles d’organisation et de fonctionnement de ce service, de veiller au respect de la neutralité du service et notamment de l’égalité de traitement des usagers [mais peut], pour satisfaire à l’intérêt général qui s’attache à ce que le plus grand nombre d’usagers puisse [y] accéder effectivement […] tenir compte, au-delà des dispositions légales et réglementaires qui s’imposent à lui, de certaines spécificités du public concerné […] » Il confirme ainsi que l’adaptabilité du service public constitue le troisième pilier sur lequel il repose, à côté de ceux de sa neutralité et de sa continuité.

Néanmoins, le Conseil d’État opère ensuite un glissement inquiétant. Il considère qu’en certaines circonstances l’obligation de neutralité du service public, qui pèse en théorie uniquement sur les agents qui l’assurent, puisse être exigée de ses usagers, en dépit du cadre juridique qu’il a rappelé : « […] lorsqu’il prend en compte pour l’organisation du service public les convictions religieuses de certains usagers, le gestionnaire de ce service ne peut procéder à des adaptations qui […], par leur caractère fortement dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, […] rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l’égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l’obligation de neutralité du service public. » En quelque sorte, l’adaptation du service public pour tenir compte des convictions de certains usagers, de façon à leur en faciliter l’accès, serait proscrite, parce qu’en raison de son « caractère fortement dérogatoire » elle mettrait en péril sa neutralité et l’égalité de traitement des usagers.

Ainsi, dans l’affaire du règlement municipal des piscines de Grenoble, le Conseil d’État estime que l’autorisation de revêtir des « burkinis », qui déroge « à la règle commune, édictée pour des raisons d’hygiène et de sécurité, de port de tenues de bain près du corps », a pour seul objet de répondre à « une revendication de nature religieuse » et de satisfaire, de manière « très ciblée », « une demande d’une catégorie d’usagers ». Dans ces conditions, elle serait à ses yeux « […] de nature à affecter tant le respect par les autres usagers de règles de droit commun trop différentes, et ainsi le bon fonctionnement du service public, que l’égalité de traitement des usagers. »

Le lecteur s’interroge sur les zones d’ombre du raisonnement tenu par le juge des référés du Conseil d’État qui ne se borne pas à dire que le port du « burkini » serait contraire aux impératifs d’hygiène et de sécurité dans les piscines. À partir de quand, une adaptation du service public présente-t-elle un caractère « fortement dérogatoire » par rapport à la règle de droit commun ? Quels critères permettent de regarder une demande d’adaptation du service public formulée par une catégorie d’usagers comme « une revendication de nature religieuse » ? À supposer que celle-ci puisse être qualifiée comme telle sans difficulté, sur le fondement de quels motifs l’autorité organisatrice du service public peut-elle la repousser à raison de son caractère « très ciblé » sans enfreindre l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 qui interdit toute discrimination ? L’administration doit-elle procéder à un bilan des avantages attendus d’une adaptation du service public et des risques, s’ils existent, qu’elle est susceptible d’engendrer ?

Un revirement intervenant dans le nouveau climat  induit par la loi « Séparatisme »

Compte tenu de sa jurisprudence passée, beaucoup d’observateurs, notamment parmi ceux qui se sont réjouis de la décision du juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble du 25 mai 2022, estimaient que le Conseil d’État l’aurait censurée en appel. Manifestement, leur pronostic a été infirmé : l’esprit de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dont celui-ci avait d’ailleurs validé l’essentiel des dispositions au cours de la procédure d’examen de ce texte, a plané sur le Palais-Royal.

Dans le passé, au regard du cadre juridique rappelé ci-dessus et des principes traditionnels régissant le service public, le Conseil d’État avait statué, dans des affaires comparables, dans un sens contraire à celui retenu par l’ordonnance du 21 juin 2022. Par un avis rendu public le 23 décembre 2013 et formulé à la demande du Défenseur des droits, il a considéré que les accompagnatrices de sorties scolaires revêtues d’un foulard ne sont pas des collaboratrices occasionnelles du service public astreinte à une obligation de neutralité : « entre l’agent et l’usager, la loi et la jurisprudence n’ont pas identifié de troisième catégorie de ‘collaborateurs’ ou ‘participants’ qui serait soumise en tant que telle à l’obligation de neutralité religieuse ».

De même, il a sanctionné une commune refusant de servir aux enfants des écoles élémentaires des repas adaptés aux convictions religieuses des familles au motif qu’elle n’avait pas pris en compte l’intérêt général en agissant ainsi : « 7. Lorsque les collectivités ayant fait le choix d’assurer le service public de restauration scolaire définissent ou redéfinissent les règles d’organisation de ce service public, il leur appartient de prendre en compte l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public, au regard des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont disposent ces collectivités. / 8. Il résulte de ce qui précède qu’en jugeant que les principes de laïcité et de neutralité du service public ne faisaient, par eux-mêmes, pas obstacle à ce que les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, la cour n’a, contrairement à ce que soutient la commune requérante, ni commis d’erreur de droit, ni méconnu les principes de laïcité, de neutralité et d’égalité des usagers devant le service public. »

Implicitement dirigée contre les personnes de confession musulmane regardées comme une menace intérieure, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République est passée par là. Elle remet en cause la liberté de l’enseignement protégée par la loi sur l’enseignement du 28 mars 1882 en limitant les possibilités d’instruction à domicile. Elle porte atteinte gravement à la liberté d’association en tant qu’elle élargit les possibilités de dissolution administrative des groupements et leur impose, lorsqu’ils demandent une subvention à une collectivité publique, un contrat d’engagement républicain.

Elle dénature les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Églises et de l’État en ce qu’elle introduit notamment une procédure de reconnaissance des cultes qui ne dit pas son nom. Elle instaure aussi un climat auquel doivent s’adapter les juridictions administratives, appelées à examiner les déférés-laïcité dirigées contre les délibérations des instances délibératives des collectivités territoriales considérées comme trop éloignées de la pseudo-laïcité de combat impulsée par le Président de la République, son gouvernement et tous les acteurs d’une croisade antimusulmane.

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La Libre Pensée rappelle son communiqué du 20 juin 2022, au lendemain de la déroute électorale, politique et morale du macronisme : « La Libre Pensée n’a pas été observatrice de cette situation. Elle a agi sur son propre plan. Elle a combattu pour la restauration de la Démocratie en interpellant les candidats sur la nécessité de l’abrogation de la « Loi Séparatisme ». En agissant ainsi, elle a posé la question du lien de confiance entre Élus et mandatés. Un certain nombre de candidats nous ont répondu. Cette question est donc posée publiquement, elle fait d‘ailleurs partie intégrante du programme de la NUPES. Il s ‘agira donc de la mettre en œuvre le plus rapidement possible ; ainsi que l’abrogation des lois destructrices des droits et libertés démocratiques. »

Une seule solution :

L’abrogation de la Loi « Séparatisme » !

Grenoble, le 27 juin 2022

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