Expulsé pour l’exemple

Pour nous suivre

« Méfiez-vous de celui qui veut mettre de l’ordre. Ordonner, c’est toujours se rendre le maître des autres en les gênant. » (DIDEROT)

La Fédération nationale de la Libre Pensée (FNLP) « regarde les religions comme les pires obstacles à l’émancipation de la pensée ; elle les juge erronées dans leurs principes et néfastes dans leur action. » Elle n’entend pas s’écarter de ce précepte fondateur, quelle que soit la confession concernée. En revanche, viscéralement attachée à la Révolution française et à son héritage, elle s’emploie à défendre, d’une part, l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, aux termes duquel « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi », d’autre part, l’esprit de liberté qui inspire la loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Église et de l’État. Par suite, elle condamne fermement les prises de position de M. Hassan Iquioussen, dont l’expulsion au Maroc peut être théoriquement désormais exécutée, mais considère que les droits de l’intéressé ont été sacrifiés sur l’autel de la raison d’État.

Madame Borne, qui est « ambiguë » sur la laïcité ?

Source : The Time of Israël (01/09/2022) « LFI, sur un certain nombre de sujets (…), il y a des choses qu’on ne partage pas, par exemple des ambiguïtés sur la laïcité, des ambiguïtés sur l’antisémitisme », a affirmé la Première ministre dans l’émission Quotidien sur TMC.

Le soutien affirmé de votre ministre de l’Intérieur aux « liens entre l’Eglise et la République » n’est pas ambigu, cela s’appelle le Concordat que précisément les lois laïques (1901, 1904, 1905) ont abrogé et que vous avez reconstitué par la loi Séparatisme du 21 août 2022, au nom du principe concordataire « Qui paie commande » (voir tweet ci-contre).

Votre gouvernement si intransigeant aujourd’hui, mais pas hier quand Gérald Darmanin passait un deal avec lui pour gagner la mairie de Tourcoing ( Voir Médiapart), à l’égard des propos passés de l’Imam Hassan Iquioussen, pourquoi ne dit-il rien, ne fait-il rien et couvre-t-il du Manteau de Noé ceux de l’abbé François-Marie Chautard qui a prononcé un discours le 2 mai 2021 dans son homélie à l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à l’occasion des mots annuels de l’institut Saint Pie X. ?

L’ensoutané affirme que des « lois immorales sont votées » et que les « vices sont encouragés, légalisés, remboursés », visant notamment l’avortement et les mariages entre les personnes de même sexe qu’il qualifie de « contre nature ». Et de poursuivre : « Cette prétention à la liberté de conscience, à la liberté d’expression, à la liberté de penser, c’est la liberté de refuser la révélation de Dieu. C’est un écho de  ce cri de Lucifer. » L’abbé va même jusqu’à comparer Jacques Chirac à un porte-voix de Lucifer. (Source : Fide Post, qui se présente comme un média catholique fondé à Strasbourg en 2015).

N’est-ce pas une violation flagrante de l’Article 35 de la loi de 1905 : «  Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile. »

Pourquoi tout ce bruit de bottes pour un imam
et ce silence des pantoufles pour un curé ?

Pour la Libre Pensée, il n’y a aucune différence de nature entre les propos de l’Imam et ceux de l’Abbé. C’est la même Réaction qui s‘y exprime. La question se pose alors : pourquoi un traitement différent de la part du Sinistre de l’Intérieur ? Ou alors, faudrait-il croire que : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » comme l’écrivait La Fontaine dans « Les animaux malades de la peste ».

Qui protégez–vous, madame Borne ?

Et “ne sortez pas de votre ambiguïté à votre détriment“…
(Cardinal de Retz)

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Analyse juridique de la Libre Pensée sur l’arrêt du Conseil d‘État

Par une ordonnance du 30 août 20221, le juge des référés du Conseil d’État, sur appel formé par le Ministre de l’Intérieur et des outre-mer, vient d’annuler celle par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif de Paris2 avait suspendu le 5 août dernier, en vue de revoir la situation de l’intéressé dans les trois mois, l’exécution de la décision de l’administration d’expulser au Maroc M. Hassan Iquioussen, conférencier et imam de Tourcoing, dont l’actuel locataire de l’Hôtel Beauvau ne répugnait d’ailleurs pas à solliciter les suffrages de sa communauté religieuse à la veille des élections municipales de 2014.

Dans un contexte marqué par la lutte contre le prétendu séparatisme musulman que permet l’entrée en vigueur de la loi du 21 août 2021 confortant le respect des principes de la République, la Haute juridiction administrative apporte ainsi, implicitement mais nécessairement, un appui objectif à l’orientation politique suivie en cette matière par le Gouvernement, qui envisage de faire adopter une nouvelle législation sur l’immigration, plus contraignante que celle actuellement applicable. À cet égard, il est utile de rappeler que la décision d’expulsion dont l’exécution était en litige constitue l’acmé d’une forme d’acharnement du Ministre de l’Intérieur et des outre-mer à l’encontre M. Hassan Iquioussen : perquisition effectuée à son domicile le 31 octobre 2020 dans le cadre des pressions exercées par l’État sur différents musulmans à la suite de l’ignoble décapitation du professeur Samuel Paty ; en 2021, condamnation de l’intéressé à trois mois de prison avec sursis pour abattage rituel irrégulier à son domicile ; surveillance policière rapprochée ayant conduit à l’établissement d’une fiche dite S en février 2021.

En l’état du droit en vigueur, aux termes de l’article L. 631-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) « l’autorité administrative peut décider d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public ». Toutefois, l’article L. 631-3 prévoit des protections particulières en faveur des étrangers résidant en France depuis plus de vingt ans : ils ne peuvent « faire l’objet d’une décision d’expulsion qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes. » L’imam de Tourcoing relève de ces dispositions puisqu’il est né en France en 1964 et y réside depuis lors sans interruption, de façon régulière du 2 juin 1982 au 1er juin 2022, le renouvellement de son titre de séjour lui ayant été refusé en mai 2022.

Si le juge des référés du Conseil d’État relève que l’autorité administrative n’a pas sérieusement justifié les principaux griefs qu’elle a invoqués au soutien de cette décision, en revanche, il considère que peuvent être retenus contre l’imam des propos antisémites et hostiles à l’égalité des femmes et des hommes, de nature à justifier son expulsion vers le Maroc dès lors que son installation dans ce pays ne menacerait pas sa vie privée et familiale et ne l’exposerait pas à des traitements inhumains et dégradants.

Le juge des référés du Conseil d’État a raison : rien dans les « comportements » de M. Hassan Iquioussen n’est « de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État » ou susceptible de laisser présumer de sa part la poursuite d’« activités à caractère terroriste ». En revanche, il interprète de façon extensive les termes de l’article L. 631-3 du CESEDA en reconnaissant le bien-fondé des motifs tirés par l’administration des propos antisémites que l’intéressé a tenus il y a très longtemps et de son point de vue, d’ailleurs variable, sur l’égalité entre les femmes et les hommes.

En 2003, dans une conférence ayant pour thème « La Palestine, histoire d’une injustice » diffusée au moyen d’une cassette, M. Hassan Iquioussen a effectivement déclaré que les Juifs seraient « avares et usuriers » et les a accusés notamment de ne pas vouloir « se mélanger aux autres qu’ils considèrent comme des esclaves ». Ces propos sont par nature inacceptables, en tant qu’ils procèdent de l’antisémitisme. Toutefois, il paraît pour le moins excessif de les retenir aujourd’hui contre lui, pour trois raisons.
D’une part, ces propos doivent être mis en perspective : ils ont été tenus dans une conférence sur la Palestine, à une date où s’achève la seconde intifada qui est l’un des nombreux épisodes différés de la catastrophe, de la Nakba de 1948. D’autre part, à la suite des protestations du Ministre de l’Intérieur alors en fonction, M. Dominique de Villepin, – celui-ci n’a d’ailleurs pas envisagé son expulsion à l’époque -, M. Hassan Iquioussen a présenté des excuses publiques aux personnes d’origine juive. Enfin, l’imam de Tourcoing a déclaré dans une vidéo de 2015 : « Vive la loi contre l’antisémitisme parce qu’être antisémite c’est de la folie, détester quelqu’un parce qu’il est juif est un pêché en islam. » À cet égard, la FNLP observe aussi que l’Union juive française pour la paix (UJFP), avec laquelle elle entretient des relations amicales et fraternelles, est intervenue volontairement à l’instance pour soutenir M. Hassan Iquioussen.

Il est également exact que M. Hassan Iquioussen a tenu des propos pour le moins éloignés de l’idéal d’égalité, en droit comme en fait, entre les femmes et les hommes : pour lui, en 2018, les femmes devaient « rester à la maison pour s’occuper des enfants et de leur mari ». Notons que la religion chrétienne n’assigne pas un rôle très différent aux femmes : « Je suis la servante du Seigneur » explique la Vierge (voir Luc 1, 38). Toutefois, l’imam a pu dire exactement le contraire dans un passé plus lointain : en 2014, il a soutenu dans une vidéo que « la place de la femme dans la société c’est exactement celle de l’homme dans la société. »

Dans ces conditions, le juge des référés du Conseil d’État, à la différence de celui du Tribunal administratif de Paris, n’a pas regardé ces propos comme de simples opinions, d’ailleurs variables dans le temps et publiquement dénoncées par l’auteur s’agissant des paroles à caractère antisémite, mais comme des « actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes. » Il interprète ainsi l’article L. 631-3 du CESEDA dans un sens pour le moins excessif. En particulier, à supposer même qu’il soit juste de considérer ces propos comme des actes, ils ne présentent pas le caractère « d’une provocation […] délibérée » puisqu’ils évoluent sans cesse.

Dernière remarque : si M. Hassan Iquioussen ne risque probablement pas de subir des traitements inhumains et dégradants au Maroc, encore que le royaume chérifien a pu dans le passé y procéder sans état d’âme, en revanche, sa vie privée et familiale s’en trouvera bouleversée si l’expulsion est exécutée : toutes ses attaches sont manifestement en France depuis 1964.

En l’état des informations à sa disposition, la Fédération nationale de la Libre Pensée considère que l’examen au fond de la décision d’expulsion doit conduire à son annulation. Cette décision en référé du Conseil d’État ne saurait préjuger d’une décision de fond qui sera nécessairement prise plus tard, et qui risque de conduire l’Adjudant Cruchot de la Macronie à quelques nouveaux déboires.

La suspension par le Maroc du laissez-passer consulaire que ce pays avait délivré à la France pour permettre l’expulsion de l’Imam n’est que le début du futur calvaire de Gérald Darmanin.

La Bastille, le 4 septembre 2022

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ARRÊT DU CONSEIL D’ETAT


  1. CE, Ord. 30 août 2022, Ministre de l’Intérieur et des outre-mer, n° 466554. 

  2. TA Paris, Ord. 5 août 2022, n° 2216413.