Interview de M. Philippe Gosselin, à propos de la réhabilitation des Fusillés pour l’exemple de la guerre de 14-18.

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La Libre Pensée : Pouvez-vous vous présenter en quelques phrases ?

Philippe Gosselin, député de la Manche, vice-président de la Commission des lois, et Secrétaire du bureau de l’Assemblée nationale.

Philippe Gosselin : Né dans la Manche il y a 56 ans, j’y ai toujours habité, comme ma famille. Je me suis, depuis mon plus jeune âge, intéressé à son histoire, à son tissu local notamment. Je suis élu municipal  depuis plus de 30 ans, et j’ai été maire de ma commune, Remilly-sur-Lozon, 22 ans, de 1995 à 2017, date d’application de la loi sur le non cumul des mandats.

Je suis député depuis 2007, à ce titre vice-président de la Commission des lois, et Secrétaire du bureau de l’Assemblée nationale. Juriste de formation (DEAs et Sciences Po), je suis maître de conférences à Sciences-Po-Paris, et colonel de la Réserve Citoyenne, après avoir été plus de 20 ans réserviste opérationnel.

LP : D’où vient votre intérêt pour les fusillés pour l’exemple ?  

PG : Tout gamin, les Fusillés pour l’exemple sont rentrés dans ma vie, d’une certaine façon.  Ma grand-mère paternelle nous parlait régulièrement des Fusillés de Souain, 4 caporaux, (Maupas, le plus connu car « l’affaire » porte son nom, Lefoulon, Girard et Lechat) dont trois de la Manche, passés par les armes en 1915, pour l’exemple, alors qu’il a bien été établi par la suite qu’ils étaient innocents. 

Le père de ma grand-mère, Auguste Chapey, lui-même tué à Verdun en 1917, Officier de réserve lors de son incorporation en 1914, avocat dans la Manche dans le civil, avait tenté, en vain, de les défendre pour le conseil de guerre. Ils appartenaient, tous les 5, au 336e RI, d’où une réelle proximité. 

Son mémoire en défense sera utilisé après la guerre pour la réhabilitation des caporaux, menée alors par le Syndicat des Instituteurs de la Manche, la Ligue des droits de l’Homme et la Libre Pensée. Cette mobilisation conduira à leur réhabilitation officielle en 1934.

LP : Vous avez parlé avec émotion de l’affaire Maupas, que pouvez-vous nous apprendre sur ce drame ?

PG : Il y avait beaucoup d’émotion, c’est vrai, parce que l’histoire de Maupas et des Caporaux, et à travers eux celle, plus largement, des Fusillés pour l’exemple, a traversé les âges et les générations chez nous. Elle m’est si familière !

Non seulement, elle a donné lieu à des cérémonies officielles, dans la Manche, à Sartilly, ou au Chefresne, mais aussi à l’extérieur, comme à Suippes ou à Souain. Et encore assez dernièrement. Mais, c’est aussi une affaire qui a inspiré des œuvres (livres, théâtre) comme le film, longtemps interdit en France, Les Sentiers de la Gloire, de Stanley Kubrick.

Ma grand-mère, née en 1913, vénérait ce père, Auguste Chapey, qu’elle a si peu connu à cause de la guerre, et qu’elle trouvait admirable tant par sa bravoure que la force de ses convictions ! Oui, en défendant Maupas et les 3 autres caporaux, Chapey avait su, sans aucun doute, s’affranchir d’un certain « confort », ou conformisme, s’était mis en difficulté aussi avec la hiérarchie militaire que pourtant il respectait beaucoup, tout comme moi, réserviste de 2022.

Il ne pouvait, même en temps de guerre, laisser passer une telle injustice. Gamin, et c’est encore le cas aujourd’hui, j’admirais cet homme capable d’aller jusqu’au bout du possible pour défendre ses convictions, la justice et une certaine idée de l’Homme. Il estimait que son devoir, son honneur, ce sont ses mots, était de parler.

Il a ainsi dénoncé dans son mémoire en défense un procès joué d’avance. La femme de Maupas, Blanche, institutrice dans la Manche, après la guerre, a mené le combat de la réhabilitation grâce, entre-autres à ce document. Il fallait laver l’honneur de son mari, et par conséquent aussi de sa famille. Vous vous rendez compte: un soldat fusillé par les siens ! Un pleutre? Non! Un traitre ! Quel opprobre, quel déshonneur ! Pas de nom sur le Monument aux Morts par la suite. Une quasi- exclusion de la Communauté nationale pour lui et sa famille. Ma grand-mère a eu, beaucoup plus tard, l’occasion de rencontrer, à plusieurs reprises, la fille de Maupas. Moi aussi, avec elle.

Et aujourd’hui encore je vois régulièrement son propre fils, Bruno, et parfois le fils de celui-ci. Un lien, toujours très fort, nous unit ! Plus d’un siècle nous sépare des faits. Mais ce drame est encore incarné, au sens littéral du terme. 

Voilà pourquoi j’ai ressenti cette émotion non feinte, dans un moment et un lieu solennels, au cœur de la Représentation nationale. J’ai alors, en cet instant ou je prenais la parole, éprouvé le sentiment de poursuivre l’œuvre, d’une certaine façon, de mon arrière-grand-père, d’être un petit maillon, bien modeste, mais réel cependant je crois, de cette longue chaîne, déjà plus que séculaire. Ils revivaient, et avec eux, tant d’autres de leurs camardes d’infortune ! 

LP : Vous me dites connaître l’action de la Libre Pensée pour la réhabilitation. Avez-vous vu le monument de Chauny, érigé le 6 avril 2019, en hommage aux fusillés, après la souscription nationale lancée par la Libre Pensée.

PG : Depuis des années, de mon adolescence à aujourd’hui, et comme je l’ai écrit plus haut, je m’intéresse, par le prisme familial et celui de « l’affaire Maupas », aux Fusillés pour l’exemple. J’ai donc bien en tête l’action continue de la Ligue des Droits de l’Homme comme de la Libre Pensée. Je ne connais cependant pas le monument de Chauny ! Il va falloir réparer cette lacune !

J’ai dévoré, à sa sortie, le livre de Nicolas Offenstadt, « Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective », publié en 1999. J’ai suivi les déclarations de certains politiques dans les années 1990 ou 2000, qui alors ont fait débat. Aujourd’hui, il faut essayer de dépasser tous ces clivages, politiques, philosophiques, voire religieux notamment, qui, parfois, ont pu être un frein à l’engagement de certaines personnes, de ma famille politique notamment, pour la réhabilitation.

Je le dit clairement : il ne s’agit pas de faire le procès des armées, de la France d’une certaine époque, de réécrire l’histoire avec des risques d’anachronisme, ni de réhabiliter « des déserteurs » ou « des traitres », mais bien des Fusillés pour l’exemple !

LP : Votre intervention a eu un grand effet sur l’Assemblée nationale et nous vous en sommes très reconnaissants. Comment voyez-vous la suite de cette bataille pour la réhabilitation au sénat ?

PG : Nous devons continuer ce travail en commun, transpartisan, dont cette nuit fameuse à l’Assemblée nationale, avec le vote de la proposition de loi, a été un point majeur.

Après cette 1ere étape, nous devons poursuivre au Senat, convaincre nos collègues et ceux de la majorité sénatoriale en particulier, du bien-fondé de notre action. Nous devrons sans doute rencontrer le Président Larcher à ce sujet. 

« Unis comme au front », a pu prendre pour devise l’Union nationale des Combattants, UNC,  au lendemain de la Grande guerre. Eh bien, soyons, nous aussi,  unis pour faire front, au-delà de nos différences et sensibilités, pour être aux côtés de ces Fusillés pour l’exemple.

Plus d’un siècle après, il n’est que temps ! Nous devons regarder avec lucidité, mais aussi bienveillance cette page douloureuse de notre Histoire, rendre leur honneur à ces Poilus, à leurs familles, à leurs descendants.

Nous devons leur dire qu’ils sont, à nouveau, pleinement des Enfants de  la Nation. C’est une belle œuvre collective !

Interview réalisée par Nicole Aurigny.