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Editorial

Rechausser les godillots ?

Le service militaire obligatoire a disparu en 2002 après une agonie programmée depuis 1996. Les jeunes n’ont aucune nostalgie de cette période d’ennui, de soumission, de brimades et d’enfermement où leur qualité de citoyen était niée. Depuis donc vingt ans, ce triste privilège d’être soumis à une discipline indiscutée et inflexible est donc réservé aux engagés, dans un parcours professionnel pas comme les autres, celui de soldat.

Les jeunes n’ont que dégoût de l’image de cette conscription permanente et obligatoire qui a conduit toute une génération dans l’enfer des tranchées il y a un siècle, puis à la défaite presque sans combat devant l’armée nazie, enfin à nombre de guerres coloniales dont celle, atroce d’Algérie, marquée par les exactions, tortures, exécutions auxquelles les appelés étaient contraints de participer sous peine de représailles terribles de l’état-major. Le mouvement de refus des rappelés, bien que réprimé, trahi puis circonscrit reste cependant douloureux pour la bourgeoisie régnante, tout comme la révolte du 17ème au début du siècle dernier dans le midi. Décidément, le contingent n’est pas sûr, mieux vaut tabler sur des professionnels, encore convient-ils de les encadrer de très près, ils ont le défaut d’être humains.

Cela laisse un grand vide : embrigader la jeunesse, la faire marcher au pas, lui inculquer des valeurs d’obéissance aveugle, lui enseigner l’amour de l’abstraction qu’est « La patrie » – On croit mourir pour la Patrie, on meut pour les capitalistes, disait Anatole France – c’était quand même quelque chose. Le maniement des armes, après tout, on peut même s’en passer, ce n’est pas sans danger mais la caporalisation c’est bien utile. Et puis, dans un contexte où les grondements de la guerre se font entendre et génèrent d’immenses profits, ne faut-il pas préparer les jeunes esprits à un retour de la conscription obligatoire, comme aux Etats-Unis où celle-ci n’intervient qu’après déclaration de guerre ? Il fallait remplacer les hurlements des adjudants par quelque chose de vaguement plus subtil, ce fut le Service National Universel (SNU).

Dès sa conception, et bien qu’il s’avançât à pas de loup (garou) il a dressé contre lui une cohorte conséquente d’organisations démocratiques, de partis, de syndicats. Voyez leur liste impressionnante dans notre rubrique pacifisme avec les participants au Collectif « Non au SNU ». A pas de loup (j’insiste, garou) il a fait l’objet d’une expérimentation sur la base du volontariat. Ce fut un énorme bide. Alors, Macron le despote sans majorité, annonce son obligation. Cela change tout. Notre rubrique précise : c’est une sévère reprise en main de la jeunesse qui s’organise.

Seulement la jeunesse, de plus en plus massivement, est dans la rue, contre toutes les injustices dont celle des retraites et l’usage honni de l’article 49-3. L’échéance de l’obligation est dès lors reportée : mars ? avril ? mai ? Juin ? Nous disons, avec les autres organisations qui composent le collectif : « à jamais ».

L’armée est-elle demandeuse d’ailleurs ? Du bout des dents, du bout des lèvres. Les dépenses afférentes s’avèrent énorme sans fournir immédiatement de chair à canon. Ce n’est que la volonté de l’Exécutif, celle de reprendre en main une jeunesse qui, à juste raison, se révolte et de remilitariser la société pour lui imposer l’acceptation de la guerre.

Ahurissant est la décision de mettre ce SNU sous le contrôle conjoint du ministère de l’Education nationale et de celui des armées. Cela rappelle, en pire, un certain protocole armée-jeunesse édicté en 2016 sous l’égide d’un autre gouvernement, celui de François Hollande qui a propulsé Emmanuel Macron au premier plan de la politique. Les enseignants ne sont pas là pour livrer leurs élèves à l’obligation du salut militaire.

Guerre à la guerre, à bas le SNU !

Je me permets aussi de vous conseiller la lecture de notre dossier sur la « sobriété ». Le graphique sur l’évolution du taux de profit mondial depuis 1960 interpelle : le capital mort saisit le capital vivant comme le diagnostiquait Karl Marx. Pour restaurer le taux de profit il faut soit une bonne guerre qui casse tout (ils y pensent), soit un bouleversement radical du marché. N’est-ce pas ce qui est en cours avec la « décarbonation » accélérée de l’industrie ?

Je vous souhaite bonne lecture.

Jean-Sébastien Pierre, Président de la Libre Pensée

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