Entretien avec Keith Porteous Wood, président de la National Secular Society (Grande-Bretagne)

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Libre Pensée Française : Bonjour Keith. Peux-tu te présenter ?

Keith Porteous Wood : La National Secular Society a été fondée en 1866 et a toujours eu une vocation internationale et nationale. J’en suis devenu le directeur général en 1996 et j’en suis le président depuis que j’ai pris ma retraite il y a cinq ans.

Nous avons six employés, dirigés par le directeur général Stephen Evans. La plupart d’entre eux sont impliqués dans des campagnes et ont beaucoup de travail. L’essentiel de notre travail se situe dans le domaine de l’éducation. Un tiers des écoles financées par des fonds publics sont religieuses. L’Église d’Angleterre est “établie” et étroitement liée à l’État. Le roi Charles sera couronné lors d’un service religieux. Nous avons 26 évêques au Parlement.

Nous avons contribué à l’abolition de la loi (chrétienne) sur le blasphème, mais nous commençons à nous inquiéter des menaces religieuses qui pèsent sur la liberté d’expression, notamment de la part des islamistes.

Il y a quinze ans, nous sommes devenus une organisation de défense des droits de l’homme plutôt qu’une organisation athée. Nous pensions que ce combat avait fait son temps et que ce changement ferait du NSS une plate-forme plus réceptive à notre travail, notamment aux Nations unies, et en particulier au Comité des droits de l’enfant.

Nous bénéficions d’une bonne (mais bien sûr jamais suffisante !) couverture médiatique.

Notre collaboration avec la Libre Pensée est fructueuse depuis plus de vingt ans et nous apprécions notre partenariat avec vous.

LPF : Quelle est votre opinion sur l’ampleur des abus commis par des religieux catholiques dans le monde et sur la réaction de l’Église à cet égard ?

KPF : Parmi de nombreuses autres préoccupations, j’ai été horrifié par l’ampleur des abus commis par des clercs sur des mineurs qui sont apparus au cours des trente dernières années. L’Église catholique n’a absolument pas réussi à contrôler ces abus et ne semble même pas essayer de le faire. Ce problème est aggravé par le fait qu’elle jouit d’une impunité de fait partielle, voire totale, vis-à-vis de la loi en ce qui concerne les abus sexuels sur mineurs, et ce pratiquement partout dans le monde. Dans certains pays, dont la Pologne, en vertu de son concordat, cette impunité est, au moins en partie, de jures.

Il s’agit d’un échec de la laïcité, ce qui justifie en partie notre travail dans ce domaine. Ce qui est plus important, c’est notre détermination à faire en sorte que les victimes obtiennent justice contre les clercs auteurs d’abus qui agissent en toute impunité. Nous sommes également motivés pour continuer parce que personne d’autre ne fait ce travail systématiquement (dans la mesure où nos ressources le permettent) dans le monde entier avec les Nations unies. Nous n’avons pas trouvé de meilleur moyen de poursuivre ces objectifs dans le monde entier que de collaborer avec les Nations unies, qui demandent à tous les pays (à l’exception des États-Unis, qui sont les seuls à ne pas avoir signé la convention) de rendre des comptes sur la protection de l’enfance.

Un premier succès (en 2014) avec l’ONU a été de susciter le rapport le plus critique que l’on puisse imaginer de la part du Comité concernant le Saint-Siège/Vatican. https://www.secularism.org.uk/uploads/concluding-observations-holy-see-crc-annotated-by-nss.pdf

Depuis lors, nous avons alerté le Comité sur des problèmes dans le monde entier et nous avons formulé des recommandations.

Ils reflètent généralement nos préoccupations dans leurs rapports. Nos recommandations comprennent souvent des enquêtes nationales indépendantes, des lois efficaces sur la déclaration obligatoire et des délais de prescription les plus longs possibles, tant au niveau pénal que civil.

Les Nations unies nous ont récemment dit à Genève qu’elles appréciaient notre travail, et nous avons été honorés qu’elles publient notre dernier rapport sur la France à la fois dans sa version originale, en anglais, et dans une traduction française que nous avons fournie. Je pense que c’est la première fois qu’ils publient le rapport d’une ONG en deux langues.

LPF : Vous avez produit un rapport à l’ONU détaillant l’ampleur des crimes sexuels commis par des religieux en France et la mesure dans laquelle la justice française s’en est occupée. Que disait votre rapport ?

KPW : Compte tenu de la réputation de laïcité de la France, nous nous attendions à ce qu’il y ait peu de problèmes et qu’ils soient bien contrôlés. Malheureusement, c’est tout le contraire qui s’est produit.

Nous avons eu la chance que, peu de temps avant notre rapport aux Nations unies, l’enquête de l’Église (CIASE) ait publié son rapport final. Il décrit les abus endémiques et formule de nombreuses recommandations, certaines plus réalistes que d’autres. Nous avons attiré l’attention des Nations unies sur des aspects essentiels du rapport de la CIASE.

Le CIASE a estimé à 330 000 le nombre d’enfants victimes d’abus cléricaux en France au cours des soixante-dix dernières années, ce qui signifie qu’il y a eu environ un million d’abus.

Le CIASE a averti que ces abus se poursuivent. La réponse préventive la plus élémentaire serait d’exiger que toutes les accusations raisonnables d’abus soient transmises à la police, comme la loi française l’exige depuis 2000. Il est inexcusable (le mot le plus poli que je puisse utiliser) que le CIASE n’ait pas recommandé cela. La hiérarchie de l’Église ne l’a pas fait non plus ; à ce jour, elle fait le contraire en imposant une omertà absolue sur la divulgation des abus. Cela laisse les abuseurs libres de continuer à abuser presque en toute impunité légale.

Certains aspects du rapport final du CIASE étaient louables, mais l’omission susmentionnée n’est qu’un des nombreux facteurs qui nous amènent à remettre en question l’impartialité du CIASE. Néanmoins, à la décharge du CAISE, tant son président, J-M Sauvé, que la présidente de la Conférence des moines et moniales, Véronique Margron, ont fait référence à la criminalité dans l’Église.

Quelle autre organisation pourrait s’en tirer comme ça, à part peut-être la mafia ?

Une autre atrocité concerne l’indemnisation des victimes, dont la vie a été ruinée par les abus. Jusqu’à présent, très peu ont été indemnisées, et les sommes reçues ont été dérisoires, justifiées de manière fallacieuse par la hiérarchie de l’Église qui prétend faussement qu’elle est appauvrie. Pourtant, comme la Libre Pensée et France 2 l’ont brillamment exposé, les actifs disponibles de l’Église dépassent les 8 milliards d’euros. (Je vous invite à vous procurer l’excellent livre que la Libre Pensée vient de publier et qui détaille les résultats fascinants de ses enquêtes judiciaires sur l’étonnante richesse de l’Eglise. (INSÉRER LES DÉTAILS.))

Dans ces conditions, il est scandaleux, d’un point de vue moral et juridique, que 60 000 euros soient le maximum que l’Église soit disposée à payer (mais qu’elle ne le fasse que rarement). Une somme plus juste serait plus proche de vingt fois ce montant.

Nous avons également soulevé auprès de l’ONU les obstacles juridiquement discutables qui empêchent l’Église d’être poursuivie devant les tribunaux français en vue d’obtenir une indemnisation équitable. Le CIASE, et c’est tout à son honneur, a soulevé cette question.

LPF : Sur votre suggestion, la commission a demandé au gouvernement français de traiter ces questions dans son rapport, ce qu’il était tenu de faire, même si cela ne lui avait pas été demandé. L’a-t-il fait ?

KPF : La criminalité endémique concernant les abus commis par des clercs sur des mineurs dans l’Église française a été moins surprenante que la complicité de l’État, y compris de toutes les branches de la justice, à grande échelle au cours de ces sept décennies.

Permettez-moi de ne citer que deux exemples parmi de nombreux autres.

  1. Le million d’abus environ (dont un grand nombre depuis que la déclaration est devenue obligatoire en 2000) n’a donné lieu qu’à 214 condamnations, soit 0,02 %. Qualifier ce chiffre d’acte d’accusation contre la justice française est un euphémisme.
  2. L’ancien plus haut responsable catholique de France, le cardinal Barbarin, a été reconnu coupable de ne pas avoir signalé les abus commis par un ecclésiastique qui s’était autoproclamé chef scout et qui, pendant des décennies, a gravement et méthodiquement abusé de plus de 3 000 scouts, dont certains n’avaient pas plus de sept ans. Les preuves sont accablantes et trop terribles pour être répétées ici. Il ne fait aucun doute que Barbarin était au courant de ces faits dans les moindres détails.

Le fait que Barbarin ait été condamné démontre la solidité de l’affaire ; alors pourquoi le ministère public a-t-il même refusé de se saisir de l’affaire ?
Parce qu’il ne l’a pas fait, nous (et d’autres) avons dû payer un procureur privé. Bien que le cardinal n’ait pas nié avoir eu connaissance des abus, les juridictions supérieures ont annulé la condamnation. Après avoir lu les transcriptions de leurs délibérations, je reste incrédule.

En vertu de la Convention des droits de l’enfant, les États sont tenus de signaler “les difficultés … affectant le degré d’accomplissement de leurs obligations au titre de la … Convention”. Déterminés à ce que cette question soit correctement examinée, nous avons suggéré au Comité de demander formellement à la France de l’aborder dans son prochain rapport. Le Comité l’a fait, mais incroyablement, malgré cela, l’Etat n’a toujours pas fait référence aux abus cléricaux dans son rapport.

Pourquoi l’Etat n’a-t-il pas considéré que les 330 000 enfants victimes d’abus en milieu catholique depuis 1950 cités par le CIASE constituaient une difficulté ? Jusqu’à quel niveau ce nombre aurait-il dû aller pour être considéré comme tel ?

Tout aussi insondable, la Libre Pensée a fait en sorte qu’un député pose une question écrite au gouvernement français à l’Assemblée nationale sur l’absence de réponse à l’ONU. Le député a demandé quand le gouvernement répondrait à cette demande légitime. Comme on pouvait s’y attendre, même après des mois, aucune réponse n’a été donnée.

Ces deux absences de réponse soulèvent des questions fondamentales et profondément troublantes sur la mesure dans laquelle l’État prétendument laïque :

  1. n’assume aucune responsabilité dans l’administration de la justice pour les enfants victimes et contre les auteurs d’abus,
  2. considère que l’Église est au-dessus de la loi, comme me l’a dit un prêtre respecté qui pense qu’elle l’est en pratique, et
  3. continue à décerner régulièrement la Légion d’honneur à des évêques et même à un fonctionnaire papal, tout en ayant connaissance de cette criminalité endémique. Pourquoi ?

Que se passe-t-il ?

LPF : Comment voyez-vous la poursuite de l’action pour rendre justice aux victimes du clergé catholique (300 000 rien qu’en France) ?

KPW : 

  1. Nous encourageons toute personne ayant connaissance d’abus commis par des clercs sur des mineurs à attirer l’attention de la justice civile, et surtout des médias et des groupes de victimes nationaux et internationaux. Nous pouvons vous aider à cet égard.
  2. Nous encourageons les laïques et les libres penseurs à aider les associations de victimes et à faire connaître ces affaires. Le groupe de la Libre Pensée à Lyon l’a fait avec beaucoup de succès à l’égard de plusieurs auteurs de crimes. Je rends hommage à leur action. Ils sont un exemple à suivre. J’apporterai mon aide dans la mesure du possible, comme je l’ai fait à Lyon.
  3. Nous continuerons, comme d’autres, je l’espère, à soulever ces questions à l’ONU. Je suis heureux que le FNLP, l’IALP et des groupes locaux et internationaux de lutte contre les abus soient devenus cosignataires de notre mémoire à l’ONU. Cela la rendra beaucoup plus convaincante et je suis persuadé que les Nations unies la prennent au sérieux.
  4. Nous encourageons ceux qui, au sein de l’Église, luttent contre les abus.
    Le cléricalisme est le grand ennemi de la justice, tant pour les victimes que pour les auteurs : l’épiscopat se protège lui-même.

Il y a une lueur d’espoir dans le mouvement émergent de la synodalité, surtout répandu en Allemagne. Ce mouvement commence à exercer le pouvoir des laïques contre l’hégémonie du cléricalisme.