Que faire aujourd’hui ?

À tout point de vue nous sommes dans une situation extraordinaire où tout est possible, le pire comme le meilleur. Jamais sans doute, et sans extrapoler à outrance, le dilemme « Socialisme ou barbarie » n’a été aussi vrai, tant sur le plan national qu’international.

La guerre qui a déjà commencé en Europe, la guerre qui va s’amplifier sur tous les plans entre la Chine et les USA, la guerre qui génocide le Peuple palestinien et détruit le Liban, la Guerre partout, tel est le lot quotidien. L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis ne peut qu’accélérer le processus de la montée à la généralisation de la guerre dans le monde. Dès 2021, la Libre Pensée écrivait, des mois avant l’ouverture du conflit entre l’Ukraine et la Russie, « La Guerre qui vient ». Les faits nous ont donné raison, malheureusement.

Nous ne nous sommes pas convertis à la divination, mais nous avions aussi écrit les premiers que « le Gouvernement Barnier va mériter son surnom : il ne passera pas l’hiver ». Nous y sommes. Tout est possible, le pire comme le meilleur. Nous avons aussi depuis longtemps pronostiqué qu’Emmanuel Macron sera contraint pour durer (c’est sa seule préoccupation) au compte du Capital notamment financier pour frapper et frapper encore, à recourir à un Coup d’État. Seuls la date et la forme sont encore inconnus à ce jour.

Romaric Godin ne dit pas autre chose quand il écrit dans Médiapart le 2 décembre 2024 :

Du point de vue du capital, les choses deviennent fort claires. Puisque l’austérité sociale est la seule option acceptable pour lui et que la société n’en veut pas, il faut l’imposer malgré la société. Autrement dit, la seule politique possible devient une politique autoritaire.

La crise politique française actuelle traduit ce fait : la démocratie et le parlementarisme deviennent des entraves pour le capitalisme français. Bien sûr, ce phénomène n’est pas nouveau, il est le produit d’un long processus où, durant les deux quinquennats d’Emmanuel Macron, l’autoritarisme au service du Capital n’a cessé de croître. Mais en cette fin d’année 2024, plus aucun doute n’est permis.

Il y a alors deux issues possibles. Soit une suspension de fait des instances démocratiques comme cela a été le cas durant la crise de la dette de la zone euro dans plusieurs pays, entre 2010 et 2015. Dans ce cas, l’issue des élections est indifférente, la pression des marchés financiers conduit à un ralliement de fait des forces politiques autour de la politique désirée par le Capital. Un Gouvernement technique ou un gouvernement d’unité nationale peut assumer une telle option. Mais la gauche peut aussi jouer ce rôle si besoin comme en Grèce en 2015 ou au Sri Lanka aujourd’hui.

La deuxième option est celle de l’extrême-droite. Dans ce cas, l’austérité est dissimulée derrière une politique de répression à l’égard des minorités. Dans le contexte de « jeu à somme nulle » actuel, une partie du monde du travail peut alors se rallier à l’option voulue par le Capital pour le seul avantage de voir une partie de la société être plus mal traitée que lui.

Le contexte culturel et politique actuel fait de cette option une possibilité pour la France à laquelle une partie du Capital peut se rallier. Rappelons que, lors de la campagne des législatives au mois de juin, le Président du RN, Jordan Bardella, avait préparé le terrain avec son « audit des finances publiques » préalable à toute politique d’austérité sévère qu’il feint de rejeter aujourd’hui.

Le contexte français n’est pas isolé. Il confirme que la situation actuelle met fin à l’illusion que capitalisme et démocratie sont indissociables. Bien au contraire, l’enjeu désormais est de prendre conscience de l’impasse où mènent les intérêts du Capital pour saisir que la défense de l’État de droit et des libertés passe par une lutte envisageant une transformation économique et sociale profonde.

En clair, la rupture sur tous les plans et nous partageons ce constat et cette perspective.

Alors oui, que faire aujourd’hui ?

La seule solution pour barrer la route à l’extrême-droite et au totalitarisme ne réside pas dans la seule unité du mouvement ouvrier, comme en 1934 en France ou en défaut de manque en 1933 en Allemagne. Si cette dimension est nécessaire, et si elle se transporte un peu sur le mouvement syndical, vu la crise de déconfiture de la « gauche », elle ne peut régler à elle toute seule le problème qui nous est posé. La situation étant totalement inédite, une pale réédition des solutions passées serait inefficace voire dangereuse.

Il faut redonner la parole au peuple par l’élection d’une Constituante souveraine qui déterminera quelles institutions il faut pour un Gouvernement du Peuple, par le Peuple, pour le Peuple. C’est pourquoi la Libre Pensée ne cesse de marteler que c’est la seule voie possible positive pour dénouer la crise politique qui ne pourra que s’amplifier.

C’est pour débattre de tous ces problèmes que nous avons avancé l’idée d’une Rencontre nationale militante, non pour décider de quoi que ce soit, mais pour débattre d’abord entre militants de différentes appartenances. Nous pensons profondément que toute la situation tend vers cela. C’est pourquoi nous publions dans ce Cahier N°9 cette proposition. À vous d’en juger.

Carrefour de toujours de rencontres de militants ouvriers, politiques, syndicaux, associatifs, laïques, la Libre Pensée se devait de proposer cette initiative, car nous sommes convaincus que cela aura lieu nécessairement. Il est donc hautement positif de le proposer aujourd’hui. Nous voyons de plus en plus que les anciennes barrières « organisationnelles » ne sont plus des obstacles à libre discussion entre militants.

Comment ne pas voir aussi que toutes les actions, les initiatives  se font dans le prisme de l’unité et de l’union, c’est quasiment devenu incontournable pour entreprendre quoique ce soit. La division, le sectarisme, le repli sur soi n’est plus une option aujourd’hui pour agir réellement dans la situation actuelle.

Il reste bien encore quelques îlots de sectaires qui, pour se convaincre d’avoir raison, doivent prouver à toute force que les autres ont tort. Il y a là incontestablement une dimension religieuse très nette : ils sont le « Bien » et ils doivent donc marteler que les autres sont le « Mal » pour justifier par l’absurde leur existence. Leur avenir est inscrit dans le formol des bocaux où on les mettra pour montrer aux futures générations que de telles monstruosités ont existé, car personne alors ne voudra le croire.

De tels comportements sectaires de division vont à l’encontre de tout ce qui se passe dans la réalité, c’est pourquoi, ils ne peuvent avoir aucune prise sur les mouvements en cours qui agissent comme des forces telluriques. Les conséquences liberticides de la loi « Séparatisme » du 24 août 2024 amènent une situation totalement nouvelle pour toutes les organisations. Avant, c’était le cadre des lois de 1884 (syndicats), de 1901 (associations et partis politiques), 1905/1907 (cultes) qui régissaient leurs fonctionnements. Aujourd’hui il y a un glissement qui s’opère inéluctablement.

Par exemple, tout le monde est confronté à une question : quand vous n’avez pas de locaux pour vous réunir, si vous demandez une salle publique à une collectivité publique, vous devez dans la plupart des cas signer un Contrat d’engagement républicain qui vous engage à respecter et à promouvoir une idéologie d’État et des valeurs qui ne sont pas forcément les vôtres. Nous sommes véritablement face à un totalitarisme en marche.

C’est pourquoi nous constatons avec satisfaction que les anciens clivages de distinction des organisations tendent à disparaître sur un certain plan par la mise en place d’une « certaine solidarité de salles », les uns prêtant aux autres leurs salles de réunions en fonction des possibilités de locaux de chacun. Une fracture s’opère, selon le terme d’Auguste Comte, galvaudé par Charles Maurras ensuite, entre le pays légal et le pays réel.

Ne pas le faire, au nom de principes « éthérés et de toute éternité » serait en fait prêter la main à la loi « Séparatisme » et à l’idéologie d’État. Refuser l’élémentaire solidarité militante entre organisations participerait à cette œuvre liberticide qu’est la Macronie.

C’est « l’underground militant » qui se met en place. Comment ne pas constater que quelque chose de totalement nouveau se construit au fur et à mesure, en marge de tous les vieux schémas préétablis. S’il y a un rejet des Appareils et un profond dégoût pour leurs manœuvres qui, en empêchant une véritable mobilisation unie, apparaissent pour ce qu’elles sont réellement : un soutien au Capital et à la Macronie par le refus d’une véritable rupture qui est la seule solution, il n’y a aucun rejet des Organisations, qui restent le cadre normal et premier de la mobilisation des masses.

On peut même penser que cet « underground militant » va engager tôt ou tard une bataille pour la débureaucratisation des organisations pour les régénérer et les reconquérir en quelque sorte. Pour les plus anciens, nous avons tous lu cela dans les livres, cela s’appelait « la lutte antibureaucratique », et il se pourrait que l’Esprit devienne Matière, que la Lettre construise l’Action.

Face à l’oppression totalitaire et la répression pour faire accepter une idéologie d’État qui n’ose pas dire son nom (et toute idéologie d’État est totalitaire par essence et par nature), une solidarité et une résistance se constitue. Il ne s’agit pas de remettre en cause les Principes de la Charte d’Amiens (ils sont pour nous intangibles) à laquelle nous sommes tous attachés et que nous devons défendre dans ses fondements, mais de s’adapter à la nouvelle situation. D’un certain point de vue même, on serait alors là paradoxalement plus pleinement dans la « double tâche » que s’assignait la Charte d’Amiens. Indépendance n’a jamais voulu dire autonomie et mondes séparés.

Extrapolons au pire pour nous faire comprendre. Si demain, malheureusement, tous les militants étaient dans des camps, ne faudra-t-il pas alors mettre en œuvre une solidarité, une résistance, une coopération quelque soient les appartenances des uns et des autres ? Ou alors claironner à tue-tête :  » Casse-toi, t’es pas de ma bande «  ? Ce qui reviendrait à prêter la main aux totalitaires gardiens des camps.

Si on admet ce raisonnement, dans une situation « exceptionnelle« , on peut l’admettre aussi, à notre avis, quand s’en dessine les prolégomènes. Ceci peut amener à passer des frontières étanches (qui ne le sont jamais vraiment). D’ailleurs, allons plus loin, le mythe de la « Frontière » aux USA, contrairement à ce que dit cet âne bâté de Trump, est un appel incessant au dépassement, à aller plus loin et à la franchir pour découvrir de nouvelles contrées.

Nous publions dans ce Cahier N°9 l’Hommage à Marc Blondel qui a représenté toutes les facettes des engagements militants, syndicalistes, laïques, humanistes sur tous les plans et qui ont culminè en les synthétisant, quand il est devenu Président de la Libre Pensée

Évidemment, nous ne faisons qu’effleurer la question de la « fausse indépendance » qui mérite de longues explications et qui est souvent synonyme de capitulation pour ne pas participer au combat nécessaire pour engager une véritable rupture avec le système.


Et puisque nous en sommes là, et pour terminer sur une note optimiste, relisons Victor Hugo dans son roman « Quatre-vingt treize » : « Vous voulez le service militaire obligatoire. Contre qui ? Contre d’autres hommes. Moi, je ne veux pas de service militaire. Je veux la paix. Vous voulez les misérables secourus, moi je veux la misère supprimée. Vous voulez l’impôt proportionnel. Je ne veux point d‘impôts du tout. Je veux la dépense commune réduite à sa plus simple expression et payée par la plus-value sociale. »

Il faut « d’abord supprimer les parasitismes ; le parasitisme du prêtre, le parasitisme du juge, le parasitisme du soldat. Ensuite, tirez parti de vos richesses ; vous jetez l’engrais à l’égout, jetez-le au sillon. Les trois-quarts du sol sont en friche, défrichez la France, supprimez les vaines pâtures ; partagez les terres communales. Que tout homme ait une terre, et que toute terre ait un homme. Vous centuplerez le produit social.

La France, à cette heure, ne donne à ses paysans que quatre jours de viande par an ; bien cultivée, elle nourrirait trois cents millions d’hommes, toute l’Europe. Utilisez la nature, cette immense auxiliaire dédaignée. Faites travailler pour vous tous les souffles de vent, toutes les chutes d’eau, tous les effluves magnétiques.

Le globe a un réseau veineux souterrain ; il y a dans ce réseau une circulation prodigieuse d’eau, d’huile, de feu ; piquez la veine du globe, et faites jaillir cette eau pour vos fontaines, cette huile pour vos lampes, ce feu pour vos foyers. Réfléchissez au mouvement des vagues, au flux et reflux, au va-et-vient des marées. Qu’est-ce que l’océan ? Une énorme force perdue. Comme la terre est bête ! Ne pas employer l’océan. »

Voici là un beau programme que pourrait mettre en œuvre une Constituante élue et souveraine. Cela sera le mot de la fin.

Christian Eyschen

(Editorial à paraître dans le n°9 du Cahier de l’Observatoire Social de la Libre Pensée)

TELECHARGER AU FORMAT PDF