Journée commémorant les 130 ans du monolithe républicain de Villebois (Ain)

Intervention de Pierre Roy, président de la Fédération nationale des Associations des Amis des monuments pacifistes, républicains et anticléricaux, lors de la journée commémorant les 130 ans du monolithe républicain de Villebois dans l’Ain, le samedi 12 septembre 2020

 


Chers amis, chers camarades

Il ne faut pas s’étonner de voir la Fédération Nationale Laïque des Amis des monuments pacifistes, républicains et anticléricaux célébrer le monolithe de Villebois érigé en l’honneur des volontaires de 1792.

Il s’est agi d’une guerre très particulière quand on la replace dans son contexte. Guerre pour des libertés nouvellement conquises, en marche vers la proclamation de la République et objets d’une hostilité farouche de la part de toutes les monarchies européennes coalisées.

Guerre de libération nationale qui a servi de précédent, sinon de modèle, à toutes les guerres de ce genre qui ont été nombreuses, notamment après la deuxième guerre mondiale de la part des pays colonisés.


Le pays des droits de l’homme et de l’abolition de l’esclavage en 1793 a certes ensuite connu une période de terrible régression, caractérisée par le rétablissement de l’esclavage sur les possessions coloniales par Napoléon 1er et aussi par un esprit de conquête, d’exploitation éhontée des ressources et des colonisés, puis de refus des indépendances des colonies accaparées brutalement, notamment par les monarchies restaurées, mais aussi par la 3è République, au mépris des principes en vigueur au moment où la première République s’est fondée (septembre 1792).

A Villebois, avec l’hommage aux Volontaires de 1792, il ne s’agit évidemment pas de justifier la guerre « en soi » comme les acteurs de l’Histoire romaine antique ont pu le faire pour agrandir le territoire de l’imperium romanum et recruter en masse de la main d’œuvre servile ou comme les théologiens du christianisme et de l’islam ont pu le faire à leur tour au Moyen-Age.

Non, Il ne s’agit pas de reprendre pour ce que nous commémorons des modèles correspondant à des stades antérieurs du développement de l’Humanité.

Non. En aucun cas. Il s’agit, replaçant les choses dans leur contexte de saluer la levée en masse véritablement populaire qui se produisit alors pour sauver la Grande Révolution comme l’a appelé Kropotkine dans le bel ouvrage qu’il lui a consacré.

Nous le savons bien : cette révolution était fille des Lumières. Elle avait été préparée dans ses choix philosophiques au sens large, par une extraordinaire activité intellectuelle dont la Révolution s’empara. Certes les manifestants du 14 juillet 1789 se portant à la prison de la Bastille n’étaient pas des gens instruits. Comment auraient-ils pu l’être ? A l’époque, l’instruction était aux mains du clergé, porteur d’obscurantisme pour les masses et timidement ouvert à quelques conquêtes du savoir réservées aux seules élites. Le peuple était maintenu dans une ignorance épaisse. Ce qui est extraordinaire, c’est que s’est affirmée dès cette époque, la jonction entre le peuple entré en rébellion contre un système féodal qui perdurait avec mille et une situations disparates, avec une centralisation monarchique lourde et brutale, avec une incapacité démontrée d’un tel système de nourrir convenablement la majorité de la population et de lui assurer un accès minimal à la connaissance, ce qui est extraordinaire c’est que la jonction s’est opérée entre ce peuple et les intérêts de l’humanité tout entière.

Certes les idées de Lumières, si elles étaient restées à l’état d’idées, n’auraient pu changer le monde de cette époque. Il fallait que le peuple, d’instinct, pour renverser l’ordre établi, réalise dans les faits les potentialités dont ces idées étaient porteuses. Déjà il faut le reconnaître, la classe montante, au cours des siècles où elle avait plus ou moins investi la société féodale, puis le système monarchiste qui en était issu, sans pouvoir changer les structures profondes du monde ancien où ce système s’implanta, cette classe montante – qu’on appela la bourgeoisie – avait occupé des positions importantes. Mais tout cela restait en quelque sorte précaire, marqué par l’inachevé, l’instabilité, l’inadapté, impropre au développement réel d’une économie puissante et conquérante.

La révolution commencée fut comme une houle venue du large, en provenance des profondeurs de l’océan social. Elle commença à balayer le pays tout entier, la société tout entière.

C’est la prise de la Bastille qui rendit possible peu après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mettons-bien les évènements dans l’ordre de leur survenue. Sans l’impulsion populaire, pas de déclaration des droits. On peut prendre toutes les conquêtes de la Révolution française les unes après les autres. Elles ont été des droits humains conquis. Et comme tels, des droits inaliénables.

La Nation fut alors une conquête. Non pas qu’elle fût un terme inventé : mais ça n’est que par le processus de fédération volontaire des populations diverses du royaume en un tout organique que cet ensemble mérita alors, et seulement alors, le nom de Nation.

Voilà ce qu’il s’agissait de préserver. Non pas des privilèges, des coutumes, des distinctions sociales matérialisées dans ce qui s’appelait jusqu’alors des états : noblesse, clergé, tiers-état, mais le contenu humain de chaque individu.

Chers amis, chers camarades,

On est en droit de dire qu’en déclarant la paix au monde le 12 mai 1790 les Constituants ont affirmé que seule la guerre de défense est légitime, que désormais le peuple français refuse tout rapport de domination à l’égard d’un autre peuple, tout rapport de conquête. La liberté réciproque entre individus composant chaque peuple souverain, la reconnaissance mutuelle entre peuples doivent faire advenir une nouvelle fraternité. Une « cosmopolitique », dira Emmanuel Kant en 1795 dans son Projet de paix perpétuelle. Chaque citoyen libre est devenu responsable de son gouvernement et chaque peuple libre de la paix dans le monde.

Telle était du moins la théorie.

Mais on sait que la réalité est plus complexe. Grise est la théorie, et seul est vert l’arbre éternel de la vie, fera dire Goethe à Méphisto, incarnant le défi permanent de l’humanité aux forces de destruction.

En 1792, c’est de cela qu’il s’agit. Face aux monarchies européennes coalisées, le choix devient tragiquement simple :

ou la Révolution peut continuer d’avancer et il faut alors bander les forces du peuple pour résister à la contre-révolution venue de l’étranger hostile,

ou la Révolution est condamnée à mort, et avec elle, la promesse d’émancipation humaine universelle dont elle est porteuse.

Ce sera alors la levée en masse qui s’opérera sur décision de l’Assemblée législative et qui sera de nouveau mise à l’ordre du jour de la Convention – par nécessité encore une fois – pour s’opposer à la contre-révolution européenne.

Armée de volontaires, armée encore très insuffisamment démocratique, mais désireuse de l’être vraiment pour pouvoir à l’avenir élire ses officiers et en finir avec les officiers agents de l’aristocratie. Armée du peuple en armes. Armée animée d’un esprit de résistance et non de conquêtes territoriales quelconques. C’est cet événement que célèbrent les pacifistes regroupés dans des associations membres de la Fédération Nationale Laïque des Associations des Amis des Monuments pacifistes, républicains et anticléricaux, dont l’association autour du monolithe de Villebois est un membre actif.

Les pacifistes raisonnés d’une telle association ont toute leur place dans ce regroupement national. Car pacifisme ne veut pas dire inertie sacrificielle.

Je voudrais insister sur ce point.

Il s’agit de condamner et de rejeter les guerres de conquête, les guerres de pillage, les guerres d’asservissement d’autres peuples et les guerres impérialistes.

Mais les situations nouées par le développement historique, on le sait, sont complexes.

Car, au-dessus de tout, il y a la sauvegarde de l’humanité.

N’hésitons pas à le dire, la sauvegarde de l’humanité exigeait la résistance au nazisme et en même temps, pour être véritablement porteuse d’un humanisme plein et entier, cette résistance exigeait que ne soit pas confondu avec ses bourreaux le peuple allemand, première victime de la barbarie hitlérienne qui avait parqué les opposants politiques, syndicaux, humanistes, dans les tristement célèbres camps de concentration, futurs camps de la mort. La solution dite finale contre les Juifs procédait de cette logique exterminatrice déjà mis en œuvre contre les ennemis politiques du nazisme.

Cela aussi, il ne fallait pas l’oublier.

Sinon on procédait d’une autre logique exterminatrice qui conduisit aux bombardements au phosphore terrifiants de Dresde et à la crémation de toute une ville et de ses habitants comme ce fut le cas à Hiroshima et Nagasaki.

Camps de la mort d’un côté, avec Auschwitz, Birkenau, Stettin etc., horreurs en tous genres qui ont pour noms Varsovie, Oradour-sur-Glane, villes et localités martyres de toutes sortes et, de l’autre côté, répression dans les colonies comme au Liban, bombardements de Dresde, Hiroshima, Nagasaki. Il ne s’agit pas de comparer terme à terme, mais il s’agit d’être objectif, donc lucide.

La logique de la terreur réactionnaire n’est-elle pas présente ici et présente là ?

Chers camarades

La guerre est un terrible fléau. Aujourd’hui l’armée française, sur décision présidentielle de François Hollande, décision réaffirmée par Emmanuel Macron dès son élection, pour en souligner le caractère prioritaire, cette armée française s’est prise au piège d’un conflit qui couvre au moins trois pays de l’Afrique sub-saharienne. C’est ce que l’on appelle une OPEX ou opération extérieure. Son nom est Barkhane et elle a connu un épisode appelé Serval. Les peuples de ces nations où se déploie cette OPEX connaissent une vie très difficile et ils n’acceptent pas cette ingérence de la France. Déjà un certain nombre de soldats du côté de l’armée française ont payé de leur vie cette OPEX sans avenir. Ce fut encore le cas tout récemment.

C’est pourquoi, avec détermination, la Fédération que je représente, en accord avec la Fédération nationale de la Libre Pensée, se prononce pour la fin de cette intervention. Et donc pour le retrait des troupes françaises piégées dans cette nasse et piégeant des populations pacifiques avec elles.

Vive les levées en masse révolutionnaires de 1792 et 1793 !

Vive la colonne commémorative de Villebois !

Vive les conquêtes civilisatrices de la révolution française !

Vive la démocratie ! Vive la liberté ! Vive la paix !

Je vous remercie.

Pierre Roy