Bertrand Russel (1872-1970) : Pourquoi je ne suis pas chrétien

Bertrand Russel (3e comte Russell !), est un épistémologue, mathématicien, logicien, philosophe, homme politique et moraliste britannique. Considéré comme l’un des plus importants philosophes du XXe siècle, il popularisa la philosophie grâce à certains de ses ouvrages qui étaient accessibles à tous (Essais sceptiques, Pourquoi je ne suis pas chrétien, Pourquoi je ne suis pas communiste, Science et Religion… qui le firent qualifier de Voltaire anglais. Anarcho-syndicaliste dans ses premiers temps, toujours ardent dans la polémique, il milita pour des idées proches du socialisme de tendance libertaire, mais surtout avec une grande passion pour la vérité sociale et historique. Il admirait beaucoup Thomas Paine (source : Essais sceptiques).

Il organisa le tribunal Sartre-Russell contre les crimes survenus pendant la guerre du Viêt Nam. Il reçut le prix Nobel de littérature en 1950 pour l’ensemble de son œuvre, en particulier pour son engagement humaniste et comme libre penseur. Enfin, il devint membre du Parlement britannique.

La crainte base de la religion

La religion est fondée d’abord et surtout sur la crainte. C’est en partie l’effroi devant l’inconnu et en partie le désir de sentir qu’une sorte de frère aîné se tiendra à vos côtés quant vous aurez des soucis ou des conflits. La crainte est au départ de cette affaire – crainte de l’échec, crainte de la mort. La crainte engendre la cruauté. Aussi n’est il pas étonnant de voir la cruauté et la religion aller de pair. La crainte est à la base de l’une et de l’autre. En ce monde, nous commençons à comprendre les choses, à les maîtriser un peu à l’aide de la science – qui s’est frayée peu à peu un chemin malgré l’opposition de la religion chrétienne, des Églises en général, et de toutes les superstitions. La science peut nous aider à surmonter cette lâche crainte au sein de laquelle l’humanité a vécu pendant tant de générations. La science peut nous enseigner, et je pense que notre propre cœur peut nous enseigner aussi à ne plus rechercher autour de nous des appuis imaginaires, à ne plus nous forger des alliés dans le ciel, mais plutôt à concentrer nos efforts ici bas afin de faire de ce monde un lieu où l’on puisse vivre convenablement, contrairement à ce qu’ont fait les Églises au cours des siècles.

Ce que nous devons faire

Nous voulons demeurer debout par nos propres moyens et regarder franchement le monde, ses hauts faits, ses bassesses, ses beautés et ses laideurs ; voir le monde tel qu’il est, sans avoir peur. Conquérir le monde par l’intelligence et non pas être soumis comme des esclaves par suite de la terreur qu’il fait naître . Toute la conception de Dieu est une conception tirée du vieux despotisme oriental. C’est une conception absolument indigne d’hommes libres. Quand je vois des gens qui se courbent à l’église en confessant qu’ils sont de misérables pécheurs, et tout ce qui s’ensuit, je juge cela méprisable, indigne du respect qu’on se doit à soi même. Nous devons au contraire nous redresser et regarder le monde bien en face. Nous devons faire du mieux que nous pouvons en ce monde, et s’il n’est pas aussi bon après nous que nous l’avons désiré, il sera malgré tout encore meilleur que ce qu’en ont fait les autres dans le passé. Un monde à notre mesure exige du savoir de la bonté et du courage ; il n’exige pas une intense nostalgie du passé, ni que la libre intelligence subisse les entraves imposées par les formules qu’inventèrent autrefois des ignorants. Il exige une perpective d’avenir dégagée de toute crainte et une vue claire des choses. Il exige l’espoir en l’avenir et qu’on ne se retourne pas sans cesse vers un passé mort, qui, nous en sommes sûrs, sera de beaucoup surpassé par l’avenir que notre intelligence est capable de créer.

(extraits – les deux derniers paragraphes – de la conférence donnée le 6 mars 1927 à Battersea sous les auspices de la South London Branch of the National Secular Society)