Entretien avec Jean-Sébastien Pierre, président de la FNLP

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Dimanche 14 juin 2015

Auditrices, auditeurs, bonjour.

Je suis Michel Godicheau membre du Bureau Exécutif de la Fédération Nationale de la Libre Pensée, membre également de sa Commission Sciences, et j’accueille aujourd’hui Jean-Sébastien Pierre, Président de notre Fédération Nationale, Professeur émérite à l’Université de Rennes 1 et bien évidemment un des animateurs du travail de la Libre Pensée avec les scientifiques.

Commençons par l’actualité. 
Quelques jours après cette émission, le Pape Bergoglio publiera la première encyclique écrite de sa main. L’encyclique Laudato si. Elle est annoncée comme première « Encyclique sur l’écologie », et programmée explicitement pour peser sur le prochain sommet sur le climat, mais elle porte aussi, selon le quotidien La Croix sur : « l’écologie humaine », thème plus large que la défense de la nature et qui touche la manière dont la société gère « la création de Dieu », et la distribue aux hommes. 
Que vous inspire cette initiative ?

J.S. Pierre  : Effectivement on annonce la publication de l’encyclique pour le 18 juin, et pour préparer cette sortie le journal La Croix intitule son dossier « Chrétiens et écologie, la réconciliation ? ». Ce qui tend à laisser penser qu’il y avait une certaine tension entre l’écologie et l’Eglise catholique. 
Quels en sont les contours ? On ne le sait pas encore mais on peut tout de même le deviner à partir de certaines déclarations préalables dont certaines remontent à 2007 telle que la suivante : « La meilleure façon de respecter la nature est de promouvoir une écologie humaine ouverte à la transcendance qui en respectant la personne et la famille, l’environnement et les grandes villes, suit l’indication paulinienne de récapituler toute chose dans le Christ et de louer le père avec lui. » (Source : Aparecida 2007 – publication de l’épiscopat latino-américain). 
L’écologie humaine est présentée comme une vision intégrale de l’écologie. Après l’écologie profonde voici l’écologie intégrale de l’Eglise romaine. 
Notons tout de suite que, avant même l’environnement, dans la petite litanie de ce qui va être traité qui est une nouveauté encore que, si je me souviens bien, le Pape précédent avait déjà fait de la pollution un péché il y a « personne », « famille » et il y a de très grandes chances que le Pape se saisisse de l’écologie, devenue pensée dominante à l’heure actuelle, pour brandir une règle « naturelle » à imposer à tous contre le mariage universel, la sexualité libre, la maitrise de la procréation etc… Par ailleurs c’est l’occasion idéale de brandir le Bien Commun de la Doctrine sociale de l’Eglise contre les égoïsmes individuels. C’est au nom de ce Bien Commun que Léon XIII, puis Pie XI ont condamné la lutte des classes. 
Il réagirait donc alors à la supplique de Nicolas Hulot qui en appelle aux Eglises pour combattre le changement climatique. On peut se souvenir qu’il y a déjà eu une rencontre entre le Pape actuel et Ban Ki-moon : « Protéger la planète – rendre digne l’humanité », où le secrétaire général de l’ONU a recommandé aux responsables scientifiques et religieux d’agir ensemble pour sensibiliser au changement climatique, qui est selon lui le grand enjeu de ce temps car il touche à la « justice sociale, aux droits de l’Homme et à l’éthique fondamentale ». « La science et la religion sont entièrement alignées sur le changement climatique » a-t-il ajouté, en saluant les efforts du Pape et de l’Eglise pour attire l’attention sur l’urgence de promouvoir un développement durable.

M.G.  : Si je comprends bien votre propos les dangers d’une résurgence de l’influence cléricale sur la science sont un peu là. 
Nous avons depuis 2011 réalisé ensemble un certain nombre de colloques internationaux réunissant scientifiques, juristes, philosophes et citoyens sous l’égide du mot d’ordre : « Liberté pour la science ». Mais on nous oppose souvent le terme de « bioéthique » qui, dans le langage courant tend à s’imposer et pourtant la FNLP continue de considérer que ce terme est un mot piège. N’y a-t-il pas contradiction entre ce travail, notamment avec la Fédération Humaniste Européenne, sur les questions de bioéthique et les principes que défend la Libre Pensée par ailleurs ?

J.S.P. : Entendons-nous. Nous considérons que le terme de bioéthique est un mot piège parce que derrière ce terme il y a en réalité une mise en accusation de la science et de la médecine qui justifierait d’un mode de contrôle particulier. C’est la logique qui a prévalu à l’instauration des comités d’éthique nationaux et internationaux. Ce qui ne veut pas dire que les problèmes sociaux émanant des possibilités scientifiques et techniques n’existent pas et ne doivent pas être abordés et c’est sur ce terrain-là que nous nous retrouvons assez facilement avec la FHE, ainsi qu’avec de nombreux juristes et médecins, qui tout en étant soucieux de ces problèmes, souhaitent une approche rationnelle et laïque de ceux cis.
Par exemple : l’embryon humain. L’Eglise s’est saisie de la bioéthique et de sa prétention à imposer son éthique transcendante à l’ensemble de la société. En France, pays régit par la laïcité, loi de 1905 en particuliers, elle y a réussi pendant plus de vingt ans en bloquant la recherche notamment sur les cellules souches embryonnaires et le colloque que nous avons organisé à Nancy l’an dernier fut particulièrement éclairant sur ce sujet. Les actes sont à paraitre et j’invite les auditeurs à se les procurer dès que se sera possible.

M.G. : Nous étions effectivement ensemble à Nancy mais depuis nous sommes allés à Varsovie et je voudrais en dire deux mots pour introduire ensuite une question. 
Nous sommes allés à Varsovie à l’invitation de la Coordination Athée Polonaise qui réunit un certain nombre d’organisations athées et anticléricales, et nous avons eu un débat intéressant au cœur même du parlement, ce qui n’est pas sûr d’être possible en France, et d’un autre côté, le colloque sur l’embryon humain dont vous venez de parler a eu un caractère à la fois porté sur la liberté de la science et aussi un souci de vulgarisation. 
Ces deux aspects, combat pour la liberté de la science et association des citoyens au débat scientifique sont importants tous les deux n’est-ce pas ?

J.S.P. : Tout à fait. Au cours de ces Journées Athées de Varsovie qui ont duré quatre jours, nous avons eu un après-midi de confrontation sur des questions générale de bioéthique avec une discussion tout à fait intéressante puisque, en ce qui concerne l’indépendance de la recherche et de sa liberté par rapport aux Eglises, nous étions tout à fait sur la même longueur d’onde que nos amis de la FHE. Mais dans le cours de cette discussion nous avons eu une déclaration d’un collègue polonais qui affirmait nettement, ce qui a suscité débat, que l’Eglise et l’Union Européenne n’avaient strictement aucun rôle à l’heure actuelle dans le contrôle de la science et en particulier de la médecine. 
Cela a créé une discussion car il était relativement facile de montrer à quel point en Pologne, (et les collègues polonais ont pu répondre sur cette question-là), en France et dans divers pays européens, la pression des catholiques et des lobbys de l’Eglises sont extrêmement puissants dans ce domaine et à quel point ils sont relayés par l’Union Européenne, en particulier avec la création du Comité d’Ethique Européen dans lequel, sur 24 membres, il y en a 17 qui viennent explicitement des religions, des milieux théologiques ou cléricaux. La France y est représentée, ce qui est tout à fait édifiant, par une dame qui appartient à la congrégation des Vierges consacrées.

M.G. : Je me souviens que le professeur Charles Susanne a répondu avec beaucoup d’efficacité à cette argumentation. 
Un de nos soucis est de faire en sorte, notamment vis-à-vis des comités de bioéthique que l’on met en place souvent de façon frauduleuse car je me souviens concernant les questions qui se sont développées autour de la recherche sur l’embryon humain, ils étaient soigneusement sélectionnés. Mais au-delà de cet aspect-là comment les citoyens peuvent ils s’emparer de ces discussions ? Je me permet de préciser la question : nous avons deux aspects, que j’ai indiqués tout à l’heure, le premier c’est le fait de discuter entre spécialistes, scientifiques mais aussi à la marge des juristes, philosophes et autres personnes en principe qualifiées qui ont une parole de spécialistes, et en même temps, comme à Nancy nous avons le soucis d’éclairer les citoyens sur l’état de la recherche de façon accessible, de façon à ce que dans le débat politique ils puissent jouer leur rôle de citoyens précisément.

JSP : Le colloque de Nancy était tout à fait éclairant de ce point de vue là puisqu’en ce qui concerne la vulgarisation les professeurs Pechanski et De Vos notamment, ont montré qu’il était extrêmement facile d’exposer l’ensemble des méthodes et des problèmes de la recherche scientifique qui concernent à la fois la procréation médicalement assistée et la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Ce travail est tout à fait indispensable. 
En ce qui concerne les citoyens je pense que c’est le travail des associations laïques, et d’une façon générale de tous les laïques en France, que de répercuter ce genre d’informations de manière à résister à la pression cléricale que l’on connait aujourd’hui.

MG. : Revenons pour terminer à cette série dans le quotidien la Croix : nos adversaires cléricaux savent manœuvrer mais ont aussi le sens pratique. C’est ainsi que la Catho d’Angers a déjà un master économie et développement durable qui grâce à l’encyclique à venir et aux COMUE risque d’être financé sur des fonds publics. L’Institut catholique de Lyon, quant à lui, met en œuvre un projet plus ambitieux : l’ouverture d’une chaire « pour une vision chrétienne de l’écologie intégrale : théologie, éthique et spiritualité » qui associe faculté des sciences et faculté de Théologie. N’est-ce pas inquiétant ?

JSP. : Ce ne serait pas inquiétant si la chose restait absolument délimitée dans les frontières de cet institut qui n’a d’ailleurs pas le droit de s’appeler Université, qui s’appelle frauduleusement université puisqu’une loi de 1884 interdit aux établissements catholiques et privés en général, de porter le nom d’université. 
Il est tout à fait clair, outre le droit absolu d’enseigner ce qu’ils veulent dans le cadre stricte de l’enseignement privé, que derrière cette création il y a un appel à l’enseignement public et que cet appel se fait par l’intermédiaire de ce qu’on intitule les communautés d’universités et d’établissements (COMUE) qui sont actuellement mises en place. C’est là que c’est inquiétant.
La faculté des sciences dont il est question dans les articles qui annoncent la création de cette chaire, c’est l’université des sciences de la Faculté catholique. Mais ils annoncent également, et je n’ai pas pu en vérifier la véracité, que dans la création de cette chaire il y aurait l’IRSTE (Institut de Recherche Scientifique et Technique sur l’Environnement) qui pour ceux qui le connaissait est l’ex CEMAGREF, qui lui est un institut public. On ne peut pas actuellement compte tenu des documents disponibles, vérifier la véracité de la chose, mais bien évidemment si tel était le cas il y aurait une rupture avec la laïcité de l’enseignement supérieur et de la recherche.

MG. : C’est la raison pour laquelle, comme nous avons pris la responsabilité d’un numéro spécial de l’Idée Libre intitulé « Main basse sur l’université », il y a lieu non seulement de dresser le bilan des attaques en cours mais également le bilan des forces susceptibles de s’y opposer. 
Sur ce plan, pouvez-vous nous dire où en est, en deux mots, la mise en place de ces Communautés d’Universités et d’Etablissements ?

JSP. : Cette mise en place est extrêmement active du point de vue du ministère qui incite très fortement toutes les Universités à se couler dans ce moule et à constituer ces « supers ensembles » qui sont monstrueux car ils vont parfois regrouper deux à trois régions : la COMUE ouest-Bretagne engloberait tous les établissements publics et privés aussi bien de la Bretagne que des Pays de Loire. Toutes les autres sont de dimensions tout à fait comparables. Il y a donc beaucoup d’agitations et il y a à l’heure actuelle près d’une quinzaine de COMUE qui a été proposée. Ce qui est extrêmement encourageant c’est que jusqu’à présent aucune n’a été ratifiée par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche.

MG. : Il y a donc une place pour la résistance ?

JSP. : Il y a une place pour la résistance et j’espère pour ma part que cette résistance s’exprimera.

MG. : Merci. Je vous rappelle la parution des actes du colloque de Nancy aux Presses Universitaires de Nancy dans les prochains jours.