Meeting du 5 décembre 2015 : Discours de Françoise Olivier-Utard

Administratrice de l’Union rationaliste au meeting laïque du 5 décembre 2015

Mesdames, Messieurs, chers ami(e)s,

L’Union Rationaliste a été fondée en 1930 pour lutter contre toutes les formes d’irrationalisme. Elle a toujours mis en avant la défense et la promotion d’un enseignement et d’une recherches libres de tous préjugés, s’appuyant sur les faits, le raisonnement et l’expérience scientifique, non sur des idéologies préconçues. C’est pourquoi, elle a toujours milité pour ce qu’elle considère comme une grande conquête de l’esprit humain, la laïcité dans sa conception française, c’est-à-dire la liberté de conscience et la Séparation des Églises et de l’État, trop souvent remises en cause et pas même appliquées dans certains départements du territoire. Je pense en particulier à l’Alsace-Moselle, dont vous apercevez les banderoles, où existent encore le délit de blasphème, le financement des cultes par les impôts de tous, l’obligation de suivre un enseignement religieux au sein de l’école publique et des facultés de théologie dans l’université publique. Les militants laïques se battent pour faire introduire la loi émancipatrice de 1905. Leur combat est courageux, car ils se heurtent jusqu’à présent à un manque de courage politique au nom d’un consensus qui cache mal la complaisance à l’égard du pouvoir politique des religions officielles reconnues.

L’expérience, y compris celle de tous les jours, a montré que dès qu’une idéologie est appuyée financièrement par l’État, dès qu’elle dispose des moyens de coercition de cet État, dès que, bénéficiant de la reconnaissance de l’État et en tirant autorité, elle peut empêcher tout point de vue contraire de s’exprimer, elle le fait. En France nous avons l’expérience de l’Église catholique et de son combat, à travers l’Index et les tribunaux, pour empêcher la diffusion de toute idée contraire à la religion et aux bonnes mœurs, comme on disait. Aujourd’hui encore des groupes qui se réclament d’elle et qui ont l’appui de la hiérarchie catholique livrent des combats pour retarder l’enseignement de la sexualité et du concept de genre, la promotion de l’égalité entre hommes et femmes, la contraception, l’avortement etc. C’est un combat d’arrière-garde en France car la société française est déchristianisée, mais l’Église catholique le mène avec plus de succès dans les pays où elle reste influente, aux USA, en Afrique etc.

Les religions diffèrent des autres idéologies en ce qu’elles se réclament de la volonté divine. Elles tiennent leur autorité de la foi, non de la raison et dès qu’elles le peuvent, refusent d’être mises en cause par des arguments rationnels. C’est au nom de la toute puissance de Dieu qu’elles tentent, par nature, d’imposer leurs conceptions à l’ensemble de la société. L’histoire montre que lorsqu’elles sont en position de force, elles n’hésitent pas à recourir au bras armé de l’État quand elles le contrôlent, à la violence des foules fanatisées quand elles cherchent à lui imposer leurs volontés. La « manif pour tous » nous a donné encore très récemment un exemple de cette pratique dans un pays qui heureusement l’a rejetée. Mais il suffit de regarder à l’étranger pour voir combien le lien entre religion et État peut être nocif, en pays majoritairement catholique où l’avortement est en général interdit, en pays bouddhiste (Birmanie, Thaïlande, Shri Lanka) où les non-bouddhistes sont maintenus en état d’infériorité, dans l’Inde d’aujourd’hui où un parti ouvertement hindou, aujourd’hui au pouvoir, laisse des foules fanatisées s’attaquer aux très fortes minorités musulmanes et chrétiennes et excuse leurs exactions. Ces exactions atteignent leur comble en pays musulman. La conversion ou l’abandon de toute religion, baptisée apostasie, est punie de mort au Qatar, en Arabie saoudite, en Afghanistan. La loi du blasphème permet de mettre à mort tout non-musulman et même tout musulman en lui attribuant des délits fictifs : destruction de pages du Coran, manque de respect au Prophète etc. Quant aux femmes, leur place est à la maison, pour y être soumises aux hommes de la famille et y faire des enfants.

Il ne faut pas aller loin en arrière pour voir la même idéologie à l’œuvre en pays catholique. C’est celle de l’Inquisition qui s’appuyait sur le bras armé de l’État. Il y aura 250 ans l’an prochain que le Chevalier de La Barre fut exécuté par le bourreau royal, à la demande de l’Église catholique, pour avoir refusé de se découvrir devant une procession et sur l’accusation non prouvée de sacrilège. Daesh, aujourd’hui, n’agit pas autrement. Simplement Daesh s’épargne les frais d’un procès. Et nous savons que Daesh veut étendre son pouvoir sur l’ensemble du monde musulman et même du monde non musulman.

Ceci impose une double réflexion. Il existe en France, mais aussi dans d’autres pays européens, une forte minorité musulmane. L’Islam y bénéficie parfois de fonds publics comme en Grande-Bretagne ou en Belgique. En France l’État se borne à aider, par des voies détournées, au financement de la construction de mosquées. Mais on sait que les attaques les plus violentes contre la laïcité et la loi de 1905 viennent de milieux musulmans, que la place des filles dans les écoles et l’enseignement de certaines matières sont parfois difficiles. Que peut le discours d’un professeur contre la volonté de Dieu répercutée par la famille ou un personnage charismatique ? Le danger est réel, même si l’on peut constater que l’école a fait reculer ces conceptions rétrogrades chez la plupart des musulmans. N’oublions pas que les musulmans sont les premières victimes de Daesh, justement parce qu’ayant évolué et s’étant adaptés au monde moderne, ils ne suivent plus le Coran et la Shari’a à la lettre. Ne faisons pas retomber sur eux la responsabilité d’excès sanguinaires dont ils sont les premiers à souffrir, directement des mains de Daesh (ou de la police religieuse du Qatar et de l’Arabie saoudite) quand ils sont en son pouvoir, indirectement quand ils sont une minorité aisément reconnaissable dans un pays non-musulman et qu’ils sont considérés, à cause de Daesh, comme de potentiels assassins. Nous vivons tous les jours à côté de catholiques, protestants, juifs, prêtres ou laïcs, profondément croyants ou simplement pratiquants d’occasion, sans les tenir pour responsables de l’Inquisition ou de la mort de Jésus. Faisons de même avec les musulmans de France. Respectons-les et faisons confiance à la raison, si l’État fait son devoir et accorde à l’école, l’Université et la recherche les moyens de se développer.

Le respect que nous devons aux croyants ne doit pas nous empêcher de nous interroger sur leurs croyances. Il ne doit pas y avoir de tabou, pas plus sur la Vie de Jésus que sur celle de Mahomet. La laïcité française est là pour protéger les chercheurs. On conçoit que cette liberté accordée à de pauvres humains gêne ceux pour qui tout dogme, même obsolète, est d’origine divine, du péché originel jusqu’à la messe en latin et l’interdiction du divorce. La laïcité est là pour nous protéger de leurs interdits. Que l’histoire, la cosmographie et la biologie démontrent l’inanité de conceptions proclamées pendant des siècles, c’est leur problème, pas le nôtre. Il ne s’agit pas de blasphème. On peut dire la vérité sans recourir à l’injure et en discuter. Mais les fanatiques n’aiment pas la discussion et ne l’acceptent, comme jadis l’Église catholique, que contraints et forcés.

La laïcité a permis l’essor d’une discipline aujourd’hui bien attaquée, l’histoire des religions. Car faire l’histoire d’une idéologie religieuse et de la pratique de ceux qui s’en réclament aboutit à mettre en cause l’origine divine de cette idéologie et de cette pratique en montrant que toutes deux ont évolué au cours des temps. Or, comment faire admettre que la parole d’un Dieu éternel et tout puissant n’ait de valeur que passagère et doive être constamment réinterprétée ? Les religieux réinterprètent constamment leurs textes et leur histoire, mais avec retard, contraints et forcés car la terre tourne, contrairement à ce que la Bible suggère. Il faut du temps et une pression énorme pour renoncer à une croyance inculquée depuis des siècles. Laisser les Églises influencer l’enseignement et la recherche en leur accordant le soutien politique et financier de l’État, c’est leur donner le moyen de retarder le progrès.

Certains croyants n’acceptent pas de remettre en cause les vérités révélées ou prétendues telles, ce sont les fondamentalistes dont sont issus les groupes les plus fanatiques. Pour eux, ceux qui cherchent à adapter leur croyance au monde dans lequel ils vivent et aux vérités d’évidence auxquelles ils sont confrontés, sont des traîtres à la parole de Dieu, qui ne saurait mentir, des blasphémateurs qui ne méritent que l’anathème et la violence. L’Église officielle n’a jamais ramené à la raison ses fanatiques, l’école non plus. Mais l’Ecole laïque, enseignant les vérités de la science et les démontrant, peut les empêcher de faire des prosélytes et de recruter parmi les esprits les plus faibles. Encore faut-il qu’elle soit vraiment laïque et qu’elle ait les moyens financiers et humains de le faire. Ceux qui ont commis les attentats du 13 novembre étaient nés Français ou Belges. Ils avaient fait leurs études dans des écoles laïques où peut-être, par légitime respect pour les croyants, on n’avait pas voulu aborder de front les sujets qui fâchent. Il faudra pourtant bien se souvenir que la laïcité, c’est aussi cela. Rien n’est jamais acquis. Il était important de nous rassembler aujourd’hui pour le rappeler.