10 juillet 2016
Il y a 250 ans, le 1er juillet 1766 à Abbevile, le chevalier François-Jean Lefebvre de La Barre était supplicié. Il subit la question ordinaire et les brodequins qui consistent à lui broyer les jambes. Après ce supplice il sera décapité sur la place publique, son corps sera jeté dans le bucher ainsi qu’un exemplaire du Dictionnaire philosophique de Voltaire.
Le chevalier de La Barre était âgé alors de 20 ans. Pourquoi mourir à 20 ans ? Parce qu’il est soupçonné de ne pas avoir retiré son chapeau devant une procession.
Il y a trois ans, le réalisateur Dominique Dattola, signe un récit-documentaire musical de 110 minutes intitulé « Les trois vies du Chevalier ».
Bonjour Dominique.
D.D. : Bonjour David.
D.G. : « Les trois vies du chevalier », il s’agit bien du chevalier de La Barre mais pas seulement. Pourquoi partir de ce chevalier et pour aller où ?
D.D. : J’ai souhaité raconté l’histoire de la liberté de penser en France depuis l’Ancien Régime. Une histoire qui petit à petit, en cours de route, devient l’histoire de la laïcité. Le chevalier de La Barre qui a été exécuté en 1766, ne pouvait représenter qu’un épisode de l’Ancien Régime mais tous les défenseurs qui se sont intéressés à son sort, qui ont essayé de le réhabiliter à titre posthume, tous les penseurs qui ont pris le chevalier de La Barre pour exemple jusqu’à aujourd’hui, m’ont été d’un grand secours pour construire le fil conducteur de cette grande histoire de la liberté de penser en France depuis le Siècle des Lumières jusqu’à aujourd’hui.
D.G. : On voit effectivement qu’il y a un récit autour du chevalier de La Barre. En ces temps d’intolérance ton récit-documentaire est vraiment d’une actualité prégnante car aujourd’hui cette question de l’intolérance est sur le devant de la scène.
Comment ce film a été reçu ? Est-ce qu’il a été plébiscité ? Je sais notamment que tu as reçu le prix de l’initiative laïque 2013 aux rendez-vous de l’histoire de Blois.
Peux-tu nous dire quel a été l’accueil de la part des citoyens et citoyennes et revenir sur ce prix, ce qu’il t’a apporté ?
D.D. : Produire un film sur la liberté de penser c’est une gageure ! Il n’y a pas eu grand monde, producteurs et diffuseurs, qui se soit précipiter pour financer cet ouvrage.
Le film est sorti assez confidentiellement le 1er mai 2013. La sortie nationale dans les salles de cinéma s’est faite en avril 2014. Tous ceci s’est passé assez discrètement mais entre les deux il y a eu ce prix d’initiative laïque des Rendez-vous de l’histoire de Blois. C’est un prix prestigieux mais qui est surtout le plébiscite de l’Education Nationale. L’exposition de ce film a donc été petit à petit grandissante. De plus en plus de citoyens et citoyennes se sont intéressés à l’ouvrage malheureusement au fil des événements tragiques qui ont émaillés la vie de notre république. Je parle des attentats de Charlie et bien évidemment des attentats au Bataclan.
Au fur et à mesure que l’interrogation allait grandissante sur « qu’est-ce que c’est que la laïcité ? » – tu sais comme moi que l’on a à peu près entendu tout et n’importe quoi – il y a eu de la part des institutions, des organisations laïques, un besoin d’outils ressource pour expliquer correctement ce que c’était que la laïcité. Bien entendu je ne suis pas le seul à avoir créé des outils ressource, mais ce film a retenu l’attention par exemple des EFPE (écoles de formation des enseignants) qui se sont emparées de ce film pour enseigner la laïcité aux jeunes enseignants.
C’est un film qui a démarré lentement et qui petit à petit trouve son essor à travers une multitude de projections – débat : 90 séances au jour d’aujourd’hui, quelques projections à l’étranger notamment au Québec.
D.G. : C’est intéressant ! Cela veut dire qu’il y a une dimension universelle du film non ?
D.D. : Je pense que le problème est planétaire et que tout le monde est à la recherche d’outils.
Si je compte l’AHQ (Association des Humanistes du Québec), en discussion avec le gouvernement sur la fameuse Charte des valeurs, qui serait notre laïcité à la québécoise, eux avaient besoin de ce film pour pouvoir s’éclairer les uns les autres.
Je reviens de Singapour où j’ai été faire une projection à la demande de la Sorbonne et de l’Ambassade de France, pour conclure un débat sur Islam et laïcité. C’est la première projection que je fais dans ce sens-là. Il est bien évident que le film ne parle pas du tout de l’islam. Je ne suis pas du tout spécialiste, je ne suis pas journaliste mais réalisateur. J’ai fait un film, un film de mémoire sur une période historique. Je suis bien content que l’on commence à comprendre que les dérives d’une religion, en l’occurrence la religion catholique, éclairent les dérives d’autres religions.
D.G. : Je sais aussi qu’il y a eu des projections en Belgique même si elles sont plus minimes.
Dans les 90 projections qu’il y a eu sur le territoire national quel a été le ressentit des citoyens et citoyennes, quelles ont été les questions ? Est-ce que certains en sont sortis enrichis d’une expérience ?
D.D. : Pour être tout à fait sincère, les projections ont démarré dans « l’entre soi ». C’est-à-dire que les premiers intéressés étaient les associations laïques que ce soit l’Union Rationaliste, la Libre Pensée – qui je dois l’avouer m’a beaucoup aidée sur ce projet sans jamais faire pression sur moi, sur la ligne éditoriale, ce qui n’a pas été le cas de tout le monde – ou bien d’autres organisations comme la Ligue de l’Enseignement ou la Ligue des Droits de l’Homme qui ont souhaité organiser des projections du film.
Il est bien évident que tous ce public-là était avant tout un public de prescripteurs donc déjà avertis du sujet et qui l’ont plébiscité y compris les réseaux universitaires qui ont validé le film.
Petit à petit du « vrai public » est venu et là se fut des bonnes surprises. Le mot laïcité qui était jusqu’à présent assez ringard, qui venait d’un coup dans le feu des projecteurs, on leur en donnait une explication et on leur proposait un débat à la fin des projections. Il n’y a pas eu énormément de débats houleux. Il y en a eu quelques-uns mais les commentaires autour des projections ont plus été faits autour de l’actualité. C’est-à-dire comment le film pouvait éclairer l’actualité.
C’était mon but : faire un film d’ouverture au débat citoyen. M’arrêter volontairement en 2005. Ne pas traiter l’actualité, non pas par lâcheté mais parce que je n’en suis pas dépositaire, et laisser au champ du débat la possibilité de pouvoir exprimer les opinions, les craintes du moment.
D.G. : La date de 2005 n’est pas un hasard, c’est le 100ème anniversaire de la loi de 1905 et les manifestations et célébrations qui ont eu lieu.
Quelle est pour toi la prochaine étape ? Le film a vécu à travers les débats, à travers les projections, il vit au niveau international, mais quelle est la prochaine étape, en que réalisateur pour « ton enfant ». On peut en parler comme ça.
D.D. : Oui on peut en parler comme ça. Pour avoir travaillé pendant 15 ans sur ce sujet, avoir agrégé plus de 150 personnes pour pouvoir fabriquer ce film en dehors des circuits classiques de production : oui on peut parler d’un enfant.
Maintenant l’enfant grandi, je peux commencer à le lâcher. Je continu à participer à des projections-débat mais la prochaine étape c’est quand même l’international puisque nous avons une copie en anglais réalisée par une scénariste américaine, pure voltairienne et enthousiasmée par le film. On peut donc diffuser le film à l’étranger.
On parle maintenant des éditions DVD. La première édition montée en partenariat avec la MAIF et la MGEN sera distribuée gratuitement aux lycées à la rentrée de septembre.
Une deuxième édition à destination des médiathèques, des collectivités territoriales y compris celles qui sont sous l’emprise du Ministère des affaires étrangères, est déjà en place depuis le 1er mai.
L’édition grand public sera mise en place dans les bonnes librairies, dont celle de la Libre Pensée à Paris, à la rentrée.
D.G. : Tu as dit « J’ai souhaité en faire un film grand public, un film d’ouverture au débat citoyen » et ça je pense que tu l’as démontré dans tes propos, et tu as également dit aussi « un film dédié à l’éternelle jeunesse ». Est-ce que tu peux revenir en quelques mots là-dessus s’il te plait ?
D.D. : Comme tu l’as dit en début d’émission, le chevalier de La Barre est mort entre 19 et 20 ans. Il a été la victime expiatoire d’un système qui avait besoin de faire un exemple car ils n’arrivaient pas à attraper Voltaire. Comme l’avait dit le juge à l’époque : « A défaut de bruler les auteurs, nous brulerons leurs lecteurs. ».
Ce chevalier de La Barre qui n’était pas révolutionnaire, ni à proprement parler libre penseur, ni un trublion politique, était un jeune gens de son temps comme tous les jeunes gens de tous les temps.
Si ce film je l’ai dédié à l’éternelle jeunesse c’est bien entendu pour la mettre en garde d’une liberté qu’elle a et qu’on pourrait lui reprendre.
D.G. : Cela veut dire que n’importe quel jeune peut s’y retrouver.
Tu as eu des jeunes dans les débats des différentes projections ?
D.D. : On ne va pas dire que ce soit la jeunesse qui soit spécialement venue aux projections sauf les classes du secondaire et on a eu des débats absolument magnifiques !
D.G. : c’est très intéressant car cela veut dire que les jeunes se sont aussi retrouvés dans cette figure du chevalier de La Barre.
D.D. : Ils se sont non seulement retrouvés mais lorsque j’en était à faire des projections test se sont des jeunes gens qui m’ont orienté sur la façon de terminer le film.
C’est un film collaboratif où des jeunes gens (élèves de Troisième) m’ont fait des suggestions pour les finitions de ce film, qui n’ont pas toutes été adoptées, mais l’ont été dans un grand ensemble.
D.G. : Dominique je te remercie. As-tu quelque chose à ajouter autour de ce film et de son devenir ? Un dernier mot ?
D.D. : La liberté de penser et la première de toutes les libertés !
D.G. : Merci Dominique d’avoir participé à cette émission.
Je rappelle le titre du film : « Les trois vies du chevalier ». Les collectivités territoriales, les collèges, les enseignants savent qu’il est à leur disposition.
Avant de rentre l’antenne je vais vous présenter le livre du mois qui est ce mois-ci la revue Idée Libre de la Libre Pensée. Elle vient de sortir un dossier exceptionnelle intitulé « Le parfum envoutant de la trahison – Quelques figures de renégats ». Ce n’est pas simplement truculent mais extrêmement intéressant d’un point de vue historique de voir ce qu’est un renégat et sa typologie. C’est un dossier qui a été réalisé par Jean-Marc Schiappa, historien et Président de l’IRELP (Institut de Recherche de la Libre Pensée).
Une autre idée de lecture pour votre été : Les religions contre les femmes. Ouvrage collectif sous la direction de Hansi Brémond.
Je vous retrouve en septembre. Bon été !