A l’initiative du Groupe La Barre de la Libre Pensée d’Abbeville, se tient chaque année un rassemblement et une manifestation en hommage au Chevalier de la Barre, assassiné par la réaction cléricalo-monarchiste et brulé en place publique, le 1er juillet 1766. Une centaine de laïques et de libres penseurs étaient présents à Abbeville le 3 juillet 2016.
« Citoyennes, citoyens, chers amis, cher camarades,
Un des attendus du jugement qui a amené le Chevalier de La Barre au bûcher était « d’avoir rendu le respect à des livres infâmes au nombre desquels se trouvait le Dictionnaire philosophique du sieur Voltaire. » Et ce livre, nous le savons, fut brûlé en même temps que le Chevalier.
Voltaire a publié le « Dictionnaire philosophique » en 1764, et ce dictionnaire « portatif », comme il fut appelé ensuite, eut un grand succès et se répandit rapidement dans la société du XVIIIè siècle. Furieuse, l’Eglise condamna le dictionnaire « au feu » dès 1765, mais elle décida aussi de répondre par un livre qui eut pour titre : Anti-dictionnaire philosophique.
J’ai eu l’occasion de feuilleter cet ouvrage, et dans la préface de 1775, on peut lire : « Le Parlement de Paris condamna ce livre au feu par son arrêt du 17 mars 1765, comme une satyre scandaleuse des Mystères, de la Morale et de la discipline du Christianisme ; comme un cours complet de Matérialisme, comme un recueil de blasphèmes mille fois répétés par les Impies, et mille fois réfutés depuis dix-huit siècles. Ces illustres magistrats firent plus encore en 1766, lors de l’exécution du Chevalier de la Barre à Abbeville. Ils ordonnèrent que cette production sacrilège serait brûlée sur le corps du jeune criminel qu’elle avait séduit. » En 1775, les religieux ne craignent donc pas de tirer gloire à la fois de la destruction du dictionnaire philosophique et du supplice du Chevalier.
Mais, 14 ans plus tard, en 1789, la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen affirme que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » et que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses. »
C’est le combat de la Libre Pensée depuis plus de 150 ans, car elle considère que la France n’est pas la « fille aînée de l’Eglise », mais la fille des Lumières, de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, des lois laïques de 1881-1886, de la loi de 1905 de Séparation des Eglises et de l’Etat.
C’est pourquoi la Fédération nationale de la Libre Pensée se félicite du rassemblement du 5 décembre 2015 pour l’abrogation de la loi Debré et la défense de la loi de 1905. Malgré l’état d’urgence, l’interdiction de la manifestation, le rassemblement de plusieurs milliers de laïques s’est tenu. A l’initiative de la Libre Pensée, ont participé à ce rassemblement la Ligue de l’Enseignement, la Ligue des Droits de l’Homme, la Confédération Force Ouvrière, la FERC-CGT, l’Union rationaliste, l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité., Laïcité-Liberté. Toutes ces organisations ont pu développer leur point de vue et expliquer pourquoi elles revendiquent l’abrogation de la loi Debré et pourquoi elles défendent la loi de 1905.
On le voit : le mouvement laïque se restructure autour d’un axe dont la Libre Pensée est une composante importante, parce qu’elle est restée ferme sur la définition de la laïcité, qui n’est ni plurielle, ni ouverte, ni xénophobe, ni communautariste, ni « chrétienne et blanche », et parce qu’elle défend la loi de 1905, se refusant à confondre sphère publique et sphère privée.
Défendre la loi de 1905, c’est défendre la République contre le communautarisme ; c’est refuser de voir chaque personne s’enfermer dans sa communauté supposée ; c’est refuser de revenir à l’Ancien-Régime où chaque individu appartenait obligatoirement à un Ordre.
Revendiquer l’abrogation de la loi Debré, c’est revendiquer les fonds publics exclusivement à l’Ecole publique. Il convient donc de dénoncer, une fois de plus, le budget en faveur de l’enseignement privé, en hausse en 2016 : plus de dix milliards de fonds publics détournés pour l’école privée à 97 % catholique. La Libre Pensée invite ses Fédérations à établir l’inventaire des fonds publics détournés et à rendre ces chiffres publics.
Défendre la laïcité de l’Ecole, c’est aussi exiger l’abrogation du Concordat qui instaure en Alsace-Moselle, non pas un droit local cultuel, mais un régime clérical d’exception. Abandonner cette exigence serait laisser la porte ouverte à ceux qui, comme Bernard Cazeneuve, voudraient intégrer la religion musulmane et éventuellement le culte évangélique avant d’étendre le Concordat à tout le pays.
Défendre la laïcité de l’Ecole, c’est combattre la loi Peillon, la réforme des rythmes scolaires, la réforme du collège. La « refondation » de l’Ecole inverse, elle aussi, la hiérarchie des normes : la territorialisation, le projet local, l’autonomie vont à l’encontre des programmes, des examens nationaux, à l’encontre de l’égalité, à l’encontre de la laïcité. La FNLP a appuyé le combat contre ces réformes rejetées massivement par les enseignants et les parents. Elle se félicite que les organisations représentant 80 % des personnels aient exigé l’abandon de la réforme du collège.
Avec la loi El Khomri, on voit une tentative insidieuse de mettre en place un ordre corporatiste, directement inspiré de la Doctrine sociale de l’Eglise, via l’Europe vaticane. Les salariés ne seraient plus considérés comme une classe sociale, et l’inversion de la hiérarchie des normes aboutirait à leur atomisation.
Pour parfaire le piège dans lequel on voudrait les enfermer, le Sénat, avec l’accord du gouvernement, vient de réintroduire dans la loi El Khomri la disposition sur l’extension de la « laïcité » dans les entreprises privées. « Le règlement intérieur peut, par accord d’entreprise, contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés, si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »
Comme on le voit, il s’agit de chercher à interdire toute expression d’une conviction religieuse, syndicale, politique. C’est une remise en cause d’un droit démocratique : la liberté d’expression. Dans cette acception, la laïcité n’est plus le système institutionnel qui garantit à tous la liberté de conscience et d’expression ; elle est ravalée au rang de simple opinion. On tue la laïcité au nom de la « laïcité ».
En cette année 2016, centenaire des batailles sanglantes de Verdun et de la Somme, je voudrais rappeler un autre combat de la Libre Pensée : pour la réhabilitation collective des Fusillés pour l’exemple. Devant ce monument en hommage au Chevalier de La Barre, nous nous souvenons de tous les efforts qu’il a fallu pour récolter sou après sou les sommes nécessaires à sa réalisation. C’est un exemple et un encouragement pour nous qui avons lancé une souscription nationale pour rendre hommage aux 639 Fusillés grâce à un monument en pierre sur la ligne de front.
Depuis un an, les batailles n’ont pas manqué ;
- Le gouvernement voulait introduire l’état d’urgence dans la Constitution. Il n’a pas réussi.
- Le gouvernement a voulu interdire les manifestations syndicales. Il n’a pas réussi.
- Il n’a pas trouvé le consensus qu’il recherchait pour faire aboutir ses contre-réformes.
- Et contre la loi Travail, la mobilisation continue.
Nous commémorons aujourd’hui le 250è anniversaire du supplice du Chevalier de La Barre.
Contre la loi Debré, pour la défense de la loi de 1905, « pour l’émancipation intégrale de la pensée humaine » comme le proclame fièrement ce monument, l’union laïque est en marche. »