A propos de l’affaire du Burkini : En direct avec Michel Tubiana,

La Libre Pensée :   L’actualité récente a été marquée par ce que l’on a appelé le « Burkini ».  Plusieurs municipalités ont pris des arrêtés clairement liberticides avec une forte consonance sous-jacente  xénophobe. Quelle est l’analyse de la Ligue des Droits de l’Homme ?

Michel Tubiana : Ces arrêtés ont trois points communs : établir un lien entre les actes de terrorisme et une forme de pratique culturelle ou religieuse de l’Islam, prétendre imposer une doxa culturelle et religieuse, même si elle n’est en apparence ici que vestimentaire, affirmer que les personnes qui pratiquent l’Islam ne peuvent pas être des Français comme les autres. D’où, ensuite, ce qui est dans le prolongement direct de ces arrêtés, s’en prendre au port du « voile » dans l’espace public. Le tout dans un contexte de surenchère électorale partagée par les auteurs de ces arrêtés et le Premier ministre par exemple…

LP : Pour la LDH, les rues, les plages, les piscines, les magasins, les cinémas font-ils partie de la sphère ou de l’espace public dans lesquels devrait s’appliquer la laïcité ?

MT : A l’évidence, non. Appliquer pleinement la loi de 1905, c’est exiger que l’autorité publique, à tous les niveaux, soit dégagée, y compris dans sa représentation, de toute forme ou allégeance religieuse. Le reste relève de la liberté individuelle de chacun sur laquelle la puissance publique n’a pas à intervenir, sauf à faire respecter les règles qui permettent de vivre ensemble et à chacun de s’exprimer dans le respect de l’ordre public. Cette « extension du domaine de la laïcité » n’est pas seulement un travestissement éhonté de la volonté de Jaurès et de Briand et de la lettre et de l’esprit de la loi de 1905, elle porte en elle toutes les atteintes aux libertés individuelles imaginables. En soutenant que l’espace public devrait être « neutre », au-delà de l’imbécilité de cette affirmation, c’est notre capacité commune à s’exprimer librement, à être comme nous entendons être qui, demain, sera soumise à la volonté de tel ou tel. Etre laïque, c’est au contraire, favoriser le débat dans l’espace public et donc l’expression des opinions de toute nature dans les limites que j’ai déjà évoquées. Y compris, s’il s’agit de formuler des critiques contre le signifiant de ce vêtement de bains tant décrié. Défendre le droit de ces femmes à s’habiller comme elles le veulent, ce n’est pas s’abstenir de critiquer cet aspect des choses. Mais pour que la critique vaille, faut-il d’abord que leur droit soit respecté. Pour tout dire, cette vision du corps des femmes n’est pas du tout la mienne ; Mais, je n’ai aucune raison, surtout aucune légitimité à vouloir régenter leur esprit.

 

 

LP : Il est quelque peu  surprenant que des hommes politiques comme Nicolas Sarkozy, Eric Ciotti, Marine Le Pen et d’autres aussi à « Gauche » se déclarent très laïques quand il s’agit des musulmans, mais plus du tout quand il s’agit de l’Eglise catholique. On a même vu Nicolas Sarkozy faire des signes de croix chrétiens dans l’exercice de sa fonction présidentielle. Comment expliquez-vous cette schizophrénie politique ?

MT : Je ne vois là rien de surprenant ! Ces personnes n’ont jamais été laïques ! Historiquement, comme aujourd’hui, elles ont toujours été attachées à une vision chrétienne de la France, à laquelle elles ont fini par ajouter le terme « judéo » pour tenter de relativiser le vieil et solide antisémitisme chrétien qui a eu sa part de responsabilité dans la destruction des juifs d’Europe. Aujourd’hui, l’ennemi principal c’est l’Islam, les musulmans, etc…Ils ne font que reproduire les mêmes schémas d’exclusion, avec leurs variantes contemporaines et héritières du colonialisme.
En fait, la laïcité est utilisée, ici, comme le féminisme, comme un paravent pour tenter de justifier l’exclusion de plusieurs millions de personnes en raison de leur altérité et de leur situation sociale.
Et comme ce « soutien » à la laïcité va de pair avec l’accusation de favoriser le communautarisme, un mot à ce propos. Là encore, cessons d’employer des mots à tort et à travers. Le communautarisme, c’est d’abord édicter un dispositif légal dans lequel des droits seraient reconnus à des individus selon leur appartenance à une communauté. Au-delà des droits spécifiques qui résultent de situations spécifiques (congés de maternité, situation de santé, de handicap, etc), je mets au défi de trouver dans notre législation une disposition qui fasse dépendre l’exercice d’un droit de l’appartenance à une communauté.
Le reste, c’est la tendance naturelle de tout groupe humain à se reconnaître en une communauté dont la nature est, par hypothèse, diverse : la communauté des libres penseurs, des amateurs d’andouillette, etc. En l’espèce, nous accuser de favoriser le communautarisme en se battant pour le droit de ses femmes à s’habiller comme elles le veulent à la plage, revient à ignorer que les replis identitaires qui existent ont d’abord pour cause les discriminations infligées au nom de la République. De plus, je persiste à penser qu’il vaut mieux que ces attitudes soient publiques et fassent donc l’objet d’un débat public plutôt que d’y ajouter un enfermement dans la sphère la plus privée.

LP : Que pensez-vous de l’attitude de Manuel Valls qui se déclare « laïque intransigeant » quand il s’agit de l’Islam, mais plus du tout quand il va au Vatican assister à la canonisation de deux papes ?

MT : J’ai déjà eu l’occasion de dire que l’actuel Premier ministre était un dangereux pyromane. Je me contenterai maintenant de dire que c’est un homme dangereux. Sa conception des choses, son paternalisme colonial à l’égard des musulmans (la bienveillance de la République à l’égard des musulmans !). son mépris des libertés publiques et individuelles, tout cela fait que sous les oripeaux de la « gauche », il enfourche toutes les antiennes les plus appropriées pour diviser la société entre « bons et mauvais Français ». En cela, avec les thématiques qui sont les siennes, avec ses interrogations sur la compatibilité de l’Islam et de la République, Manuel Valls fait furieusement penser à la SFIO de Guy Mollet. On sait dans quelle faillite morale et institutionnelle, elle nous a entraînée.

LP : Comment la LDH envisage l’avenir juridique de ces arrêtés liberticides, le Conseil d’Etat ayant jugé en référé, mais par encore sur le fonds ?

MT : la Ligue des Droits de l’Homme poursuivra l’abrogation des arrêtés qui ne seraient pas retirés d’office par les maires. J’observe à ce propos deux choses. La première est que ces maires qui font de la « résistance » sont ceux qui passent leur temps à dénoncer l’absence d’autorité de l’Etat, autorité qu’il s’empresse d’abaisser en méprisant la décision du Conseil d’Etat. La deuxième est la complicité avérée du Ministre de l’Intérieur avec ces Elus car c’est à lui, et non aux associations, qu’il incombe de faire respecter cette décision ce qu’il s’abstient volontairement de faire. Le ministre des cultes a ainsi choisi son camp… Enfin, nous réfléchissons à agir sur le terrain pénal sur la base de la discrimination à raison d’une pratique religieuse, mais aussi, et peut-être surtout, sur la base de l’article 432-4 du Code pénal qui réprime les atteintes aux libertés par des agents publics.

 

 

LP : Mon cher Michel, merci d’avoir répondu à nos questions.

Propos recueillis par Christian Eyschen

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