La Libre Pensée reçoit Maurice Montet, de l’Union Pacifiste et Yves-Jean Gallas du Mouvement de la Paix

13 novembre 2016

Émission animée par Nicole Aurigy, vice-président de la Fédération Nationale de la Libre Pensée.

N.A. : Bonjour, pouvez-vous présenter vos associations en quelques phrases ?
M.M. : L’Union Pacifiste, regroupe en France les pacifistes intégraux. Nous refusons toutes les guerres quelques soient leurs justifications. Elle est née en 1961 dans la lignée de mouvements plus anciens en particulier la Ligue Internationale des Combattants de la Paix, très active entre les deux guerres mondiales. L’Union Pacifiste est la section française de l’Internationale des Résistants à la Guerre fondée en 1921, dont le siège est à Londres et dont la déclaration est : « La guerre est un crime contre l’humanité. Pour cette raison nous sommes résolus à n’aider aucune espèce de guerre et à lutter pour l’abolition de toutes ses causes. Nous dénonçons la militarisation de la société, la fabrication et la vente des armes, l’assassinat de civils pour de sordides intérêts économiques, les protocoles armée/école, les investissements de budgets énormes pour la guerre au détriment des budgets et besoins sociaux. Nous soutenons particulièrement les objecteurs de conscience, les insoumis, les déserteurs de tous les pays du monde et de toutes les époques. Nous considérons que toute l’énergie et tous les investissements pour la guerre devraient l’être pour la paix. »
N.A. : Merci Maurice Montet. Yves-Jean Gallas pour le Mouvement de la Paix.
YJ.G. : Le Mouvement de la Paix a été créé juste après la guerre par des résistants, notamment du Conseil National de la Résistance, et nous sommes très fiers d’avoir dans les signataires des premiers statuts Lucie et Raymond Aubrac.
Dans notre ADN, la lutte contre l’arme nucléaire, l’appel de Stockholm sont des éléments très importants qui restent, hélas, toujours d’actualité.
Nous luttons également contre le commerce des armes, pour la clarification de l’ensemble de ces réseaux opaques, et depuis une dizaine d’années un élément important de notre activité est dans la culture de la paix telle qu’elle a été énoncée par les Nations Unies et l’UNESCO. Le Mouvement de la Paix regroupe environ 3500 adhérents dans 150 comités répartis en France et nous participons à divers collectifs internationaux contre l’arme nucléaire, pour la paix ou dans des objectifs très précis.
N.A. : Merci. Depuis une trentaine d’années la Libre Pensée a repris le combat des Fusillés pour l’exemple et chaque année c’est une centaine de rassemblements, autour de cette question, qui sont organisés en France. Comment et pourquoi vos associations se sont engagées dans ce combat et en quoi ce combat pour les Fusillés est-il pour vous actuel ?
M.M. : Pour nous les Fusillés pour l’exemple de la Guerre 14/18 représentent une des plus grandes injustices de l’histoire de notre humanité. Elle s’ajoute à l’absurdité de la guerre. Déjà dans les années 1930 nos anciens s’étaient engagés auprès de familles, en particulier Roger Monclin, auteur de « Les Damnés de la Guerre », a soutenu Blanche Maupas dans son combat pour la réhabilitation de son mari et de ses camarades. Notre Internationale, dès 1921, demandait la réhabilitation des fusillés, des mutins et des réfractaires. Nous pensons que la réhabilitation collective des Fusillés pour l’exemple serait un acte de justice qui devrait s’imposer. Il nous a paru opportun de nous joindre à un collectif d’associations pour défendre cette cause. Puisque les autorités du pays n’ont pas prononcé cette réhabilitation, c’est à nous, les associations de la société civile, de rendre hommage aux Fusillés pour l’exemple. C’est pour cela que l’Union Pacifiste s’associe à l’initiative d’ériger un monument à la mémoire de ces doubles victimes de la guerre.
Pour l’Union Pacifiste ce combat reste actuel puisque l’injustice demeure envers ces hommes et envers leurs familles.
Après la guerre de 14/18 on disait : « plus jamais la guerre ». Aujourd’hui on assiste à une recrudescence du nationalisme et du militarisme, à de nombreuses guerres dans le monde avec des victimes civiles.
La France s’enorgueillie de vendre des armes dans le monde entier, consacre des sommes folles pour préparer la guerre, au détriment des besoins sociaux. Nous devons prévenir les guerres et investir pour la paix.
YJ.G. : Nous savons bien maintenant l’étendue des massacres de civiles et de militaires tout au long de la première guerre mondiale. Les commémorations actuelles de son centenaire viennent opportunément nous les rappeler pour que nous n’oublions pas.
Nous savons aussi maintenant comment le Traité de Versailles est directement à l’origine de la deuxième Guerre Mondiale, et comment celui de Sèvres, suivi par celui de Lausanne, est à l’origine de la décomposition du Moyen-Orient dont nous vivons actuellement un paroxysme.
Les mouvements qui ont existés notamment en 1917 parmi les civiles et les soldats français sur le front étaient significatifs de la prise de conscience de la l’abomination et de l’aberration de cette guerre. Parmi les Fusillés pour l’exemple figurent des soldats qui avaient compris ce qui était en jeu dans ce massacre organisé, mais la majorité d’entre eux a été choisie au hasard ou pour des raisons de rivalité personnelle. Leurs familles ont toutes vécues l’enfer de l’opprobre de leurs concitoyens et elles ont souvent été obligées de déménager.
Il n’est que temps que justice soit rendue à ces victimes de la folie des généraux et qu’enfin ces hommes soient réhabilités par la République et leurs noms inscrits sur les monuments aux morts pour y être honorés.
Il n’est que temps que l’on puisse enfin affirmer, en rappelant cet épisode peu glorieux de l’histoire de France, que nous devons remplacer les réflexes de violence qui n’engendrent que la violence, par une éducation à la culture de la paix et par la mise en œuvre de ses huit domaines d’actions concrètes comme nous y invite avec force les Nations Unies.
Les milliers de personnes qui ont marché pour la paix le 24 septembre dernier à l’initiative du Mouvement de la Paix, envoient bien ce message de paix qui est une demande de plus en plus forte.
En quoi ce combat est-il actuel ? Les Fusillés pour l’exemple sont l’exemple suprême de la censure de la parole de paix. Sans aller jusqu’à cette extrémité, il est important que les militants de la paix de toutes les organisations, dont les nôtres autour de cette table, soient écoutés dans un vrai dialogue.
N.A. : Concernant la Libre Pensée, nous avons appelé toutes les autorités à réhabiliter les Fusillés pour l’exemple.
Le mot réhabilitation, depuis deux ans que nous commémorons la guerre de 14 n’a toujours pas été prononcé et en revanche le Président de la République a pris l’initiative de réaliser une salle consacrée en partie aux Fusillés au musée de l’Armée et du coup les fusillés se retrouvent aux côtés des généraux fusilleurs. Cela est inacceptable ! C’est pourquoi la Libre Pensée a décidé d’ériger un monument en l’honneur des Fusillés pour l’exemple, sur la ligne de front dans le département de l’Aisne. Un monument en pierre de 4 mètres de haut de façon à ce qu’on le voit bien et que l’on puisse ainsi rendre hommage à tous ces hommes.
Nous constatons depuis le début des commémorations que la question des fusillés est une question qui ne passe pas. Dans beaucoup de villages dont sont originaires un certain nombre de soldats, on érige des stèles, on appose des plaques pour commémorer leur combat, leur martyr.
La Libre Pensée rend aujourd’hui publique une lettre, un Appel à la République, signé par les familles des descendants des Fusillés pour l’Exemple. On trouve par exemple les noms des descendants de Blanche Maupas, de Lucien Bersot, des fusillés de Vingré et des mutins de 1917.
Nous lançons aujourd’hui un appel aux familles des descendants de fusillés qui voudraient prendre contact avec nous pour signer cet appel. Elles peuvent le faire en contactant la Libre Pensée 10/12 rue des Fossés St Jacques 75005 Paris.
D’autre part nous organisons un colloque relatif à la guerre qui aura lieu à Toulouse et le thème sera : « La lutte entre les nations, la guerre contre les nations ».
Si vous voulez participer à l’érection du monument vous pouvez envoyer des dons à La Libre Pensée. A partir de 50 euros vous recevrez un reçu fiscal pour une déduction de 66 %.
YJ. G. : Il est grand temps que cette sinistre histoire des Fusillés pour l’exemple sorte, que toutes ces personnes sortent de l’anonymat et que partout on les prenne pour ce qu’ils sont c’est-à-dire des martyrs de la paix et non pas comme des traitres comme on a essayé de le faire.
La voix doit être donnée partout à ces paroles de paix pour remplacer tous les bruits de bottes un petit peu partout dans le monde. Et d’une certaine manière, la censure qui est faite souvent sur les véritables raisons de conflits doit cesser et parole doit être donnée à tous ceux qui veulent avancer réellement vers la concorde, la paix contre la violence.
N.A. : Ce combat pour la réhabilitation des fusillés pour l’exemple, il a été mené dès la fin de la fin de la guerre de 14 par les associations et notamment la Ligue des Droits de l’Homme. Ce combat a obtenu au cours des années qui ont suivi la guerre, jusque dans les années 30, la réhabilitation de 38 ou 39 fusillés. Il en reste donc aujourd’hui plus de 600, répertoriés par le Ministère des Armées comme fusillés pour désobéissance militaire, à réhabiliter.
M.M. : Je crois effectivement qu’il est temps de réparer cette injustice.
YJ.G. : Je pense effectivement que tous ces hommes méritent d’être réhabilités et que la nation, tous les citoyens, dont nous sommes, reconnaisse cette erreur absolument abominable qui a été faite à leur égard.
N.A. : Je pense qu’il faut insister sur le fait que nous demandons la réhabilitation collective et non pas au cas par cas. Aujourd’hui bien des dossiers ont été perdu, il n’y a plus de témoins possibles de cela, mais nous connaissons l’immense chagrin, la honte subit par les familles de ces soldats, au point qu’aujourd’hui encore certaines n’osent pas se faire connaître, et certaines ignorent le sort de leur ancêtre.
Nous savons aussi que pour les familles qui osent aujourd’hui prendre la parole, c’est pour elles, comme elles nous le disent, un grand apaisement, un réconfort de voir que l’honneur peut être rendu à leurs ancêtres qui n’ont rien fait d’autre que d’être des hommes et de dire non à la boucherie dans laquelle ils étaient engagés lors de la guerre de 14/18.
Je voudrais également parler du rassemblement national qui a eu lieu à Gentioux, ainsi que l’hommage rendu aux soldats de La Courtine. Soldats russes rassemblés en 1917 à La Courtine et qui ont été ensuite bombardés. Eux aussi refusaient la guerre, eux aussi s’étaient organisé pour la paix et cela n’a pas été toléré.
Cela a été le cas également pour les soldats qui en 17, au chemin des Dames, se sont organisé, ont manifesté, demandaient la paix, voulaient aller à Paris pour faire part de cette volonté. Ils ont bien sûr été arrêtés avant, passés devant les conseils de guerre et fusillés.
Les rassemblements autour du 11 novembre dans toute la France vont permettre aux citoyens de montrer leur attachement à la paix, et comme l’ont dit Maurice Montet et Yves-Jean Gallas, il ne s’agit pas seulement de la paix il y a 100 ans mais de la paix aujourd’hui. De refuser aujourd’hui les guerres, de refuser les « va-t’en guerre », de faire en sorte que la paix puisse s’instaurer dans les pays.
Je voudrais remercier les citoyens, citoyennes, auditeurs et auditrices d’avoir écouté cette émission et vous invite à participer aux rassemblements et à faire des dons pour l’érection du monument en hommage aux Fusillés.
Merci à Maurice Montet et à Yves-Jean Gallas pour leur participation.
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Nos amis de l’Association Républicaine des Anciens Combattants n’ont pu venir à notre émission de Novembre. Ils nous ont fait parvenir leurs réponses à nos questions :
L’ARAC : Association des Anciens Combattants et Victimes de Guerre. Combattants pour l’Amitié, la Solidarité, la Mémoire, l’Antifascisme et la Paix, est née en novembre 1917, en pleine Guerre 1914 1917.
Il est intéressant d’étudier comment cette rencontre entre, George Bruyère l’ouvrier qui en avait eu l’idée, les deux jeunes intellectuels Raymond Lefebvre et Paul Vaillant Couturier,amis de jeunesse, tous deux élèves au lycée Jeanson de Sailly, a abouti à solliciter Henri Barbusse , l’auteur du « Feu » prix Goncourt de Novembre 1916, au début de l’année 1917 pour créer cette association.
Paul Vaillant Couturier parle d’Henri Barbusse « Il délivrait nos consciences de combattants. L’esprit des tranchées s’exprimait en lui. De notre rencontre, dans un entracte du meurtre est née l’ARAC. Ensuite ce fut un engagement total au service des idées de Paix et de Progrès en France et dans le Monde. Encore aujourd’hui l’ARAC est au cœur des débats républicains, elle œuvre pour un monde de Paix et d’Amitié entre les peuples, défend la dignité humaine, mène une bataille pour la Mémoire, c’est aussi une défense des Droits des Anciens Combattants et Victime de Guerre.
Depuis sa création elle mène le Combat des Fusillés pour l’Exemple. Cela a commencé par le récit du Chapitre « X » Argoval dans le « Feu ». Il décrit le cas du poilu Cajard qui avait été fusillé le matin même. Ils étaient deux, coupant aux tranchées et rentrés en douce au campement. Pour faire l’exemple l’un avait écopé de deux ans et Cajard qui avait de mauvais antécédents a été fusillé pour l’exemple. Sur le poteau, une croix de guerre gribouillée par les soldats : « A Cajard, mobilisé depuis août 1914, la France reconnaissante ».
C’est aussi la lutte incessante depuis 100 ans pour réhabiliter les 639 poilus fusillés pour l’exemple.
Pour la protection du combattant, dès la naissance de l’association, elle fut réalisée de diverses façons, mais notamment par une collaboration personnelle et restée jusqu’ici inconnue, avec le ministre de la Guerre Paul Painlevé une navette avait été entre le Cabinet du Ministre et l’ARAC- Painlevé demandait que lui fussent signalés tous les faits survenus dans les unités qui nous paraissaient regrettables ou scandaleux.
Il s’en produisait tellement que la liaison fut quotidienne. Naturellement, nous ne donnions aucune indication de provenance. Informés les uns et les autres par les permissionnaires et nos correspondants, nous indiquions les faits, avec plus de précisions qu’il se pouvait. Cette liaison s’est poursuivie après la chute du ministère Ribot et jusqu’à l’événement « clémencisme » – Painlevé, entre temps, avait pris la présidence du Conseil. Peu avant sa mort, Painlevé nous disait encore quel souvenir il avait gardé de ces mois où il put, grâce à nos informations, empêcher bien des exécutions, prévenir bien des incidents, préserver bien des combattants- d’une façon hélas ! Insuffisante, trop de pouvoirs restant délégués au Grand Quartier Général (CQG).
Depuis pendant cent ans : Ce sont les familles de ces malheureux. C’est juste rendre l’honneur perdu à celui qui a été fusillé et à sa famille qui pourra être enfin apaisée. C’est la gauche militante indignée : les hommes, les femmes dont des associations militantes, l’ARAC, la Libre Pensée la Ligue des Droits de l’Homme, qui, tout au long des années après la fin de cette guerre, à l’occasion du 11 novembre, se réunissent pour honorer dans plusieurs communes de France la mémoire de ces « sacrifiés ». Comme le beau rassemblement dans la Creuse.
Ce sont de nombreux livres depuis.
C’est aussi le cinéma. Censuré au départ, il a témoigné sur ces tristes événements.
C’est la télévision.
Ce sont les bandes dessinées.
Ce sont les propos de Lionel Jospin, Premier Ministre en 1998 à Craonne.
C’est en 2008, Nicolas Sarkozy, Président de la République qui évoque ces poilus.
Il est nécessaire d’aller plus loin car lors de l’arrivée d François Hollande comme Président, nous pensions que notre demande allait être exaucée lors de la première année de commémoration de la guerre 1914- 1918 souhaitée par le gouvernement.
Il ne parle pas de réhabilitation, mais juste une reconnaissance dans une salle qui leur sera consacrée dans le musée des Invalides. Depuis il semblerait que le dossier soit clos. On ne peut en rester là. L’ARAC et d’autres associations amies considèrent que seule la réhabilitation générale de l’ensemble des fusillés pour l’exemple pourra clore définitivement le dossier. 100 ans après il n’est pas question de juger mais de comprendre pour aboutir à apaiser les familles concernées et faire des poilus « fusillés pour l’exemple » de morts par la France des morts pour la France.
Seul le Président de la République pourra le faire, manifestant ainsi son courage politique. N’oublions pas qu’en 2009 en tant que président du Conseil Général de Corrèze il a fait voter cette résolution « Reconnaître les fusillés pour l’exemple comme des soldats à part entière, de façon à permettre que leurs noms puissent être légitimement inscrit sur les monuments aux morts… » A chacun sa prise de responsabilités.
Pour conclure L’ARAC va fêter en 2017 son Centenaire. Je me réfère aux mots de la fin du livre de Pierre Paraf « L’Aventure continue ». « Oserai-je à mes dernières lignes de mes rendez-vous avec le siècle donner la parole à l’étoile de ma route, celle qui apparaissait pour moi en 1916 dans le ciel de ma tranchée que je retrouvais en 1940 … Renouvelant sa promesse de ne jamais abandonner ceux qui croient aux lendemains qui chantent, au progrès et au bonheur de l’homme ».
Il l’a partagé avec nos fondateurs et cent ans après l’ARAC d’aujourd’hui porte toujours l’héritage.
Villejuif le 16 Novembre 2016.