Le débat médiatique se nourrit aujourd’hui de peu de choses : ainsi en va-t-il de la question de l’accompagnement des sorties et voyages scolaires par des mères de famille portant un foulard pour des raisons de conviction. Les cas ayant donné lieu à contestation, tout au plus quelques dizaines en 5 ans pour des milliers de sorties scolaires, sont montés en épingle, tant par les lobbies religieux que par les politiques qui militent pour un Etat fort ; ce sont d’ailleurs parfois les mêmes.
Il y a pourtant une réponse simple : l’accompagnement des sorties scolaires par les usagers n’est qu’un pis-aller : le respect de la norme, c’est-à-dire l’accompagnement exclusif par des agents du service public nommés en nombre suffisant, astreints à la neutralité, ne pourrait donner naissance à aucune polémique. L’affaire n’a certes pas été facilitée par la circulaire du ministre Chatel (ministre de l’Education nationale dans les gouvernements Fillon) du 27 mars 2012 qui s’inscrit au contraire dans la « coéducation avec les parents », effectivement lourde de menaces contre la laïcité par la dissolution de l’Ecole qu’elle préconise. Ce texte n’a pas été abrogé par Madame Vallaud-Belkacem.
Cette circulaire, qui ne dit rien sur le foulard, recommande aux établissements de modifier le Règlement intérieur pour rendre applicables des mesures de restriction présentées comme laïques. Elle a été précédée et suivie de décisions de jurisprudence contradictoires. Par un jugement du 22 novembre 2011, le Tribunal administratif de Montreuil avait ainsi jugé qu’une mère d’élève, accompagnant une sortie scolaire, pouvait être considérée comme une collaboratrice occasionnelle du service public, et donc soumise à la neutralité vestimentaire ; le 9 juin 2015, le Tribunal administratif de Nice rendait une décision de sens contraire, en annulant le refus de l’offre d’accompagnement présentée par une mère portant le voile. Entre les deux, le ministre Chatel avait pris sa circulaire confortant une possibilité d’interdiction selon les termes du Règlement intérieur de l’école, mais peu de mois après, le Conseil d’État, saisi par le Défenseur des Droits, publiait le 20 septembre 2013 une étude qui, sans critiquer explicitement le jugement du TA de Montreuil, ni porter d’appréciation sur la circulaire Chatel, refusait de créer entre agents et usagers une troisième catégorie de « collaborateurs » ou « participants, qui serait soumise en tant que telle à l’exigence de neutralité religieuse ».1
Le TA de Nice a donc bien lu le point de vue qu’entendait mettre en avant le Conseil d’État. Cela n’empêche aucune polémique, certains lobbies continuant à réclamer, voire à exciper de là un «droit au foulard» dépourvu de sens, d’autres à poursuivre une entreprise de réduction des droits individuels qui impliquerait qu’un usager, c’est-à-dire une personne privée, pourrait voir sa liberté systématiquement entravée dans ce cas d’espèce, alors même que l’étude du Conseil d’État ne prévoit rien de tel, mais tout au plus, si le cas se présente, des recommandations.
Mais pour préconiser une restriction systématique des libertés, il faut nier la portée de l’étude du Conseil d’État dont s’inspire le jugement de Nice en prétendant lui faire dire le contraire de ce qu’elle énonce. On peut la critiquer sur plusieurs points ! Elle ne fait pourtant ici que s’appuyer sur une tradition bien résumée par le professeur Chapus qui a inspiré moult rapporteurs publics : « il est naturel que l’atteinte portée aux libertés ne soit légale que si elle est nécessaire ».2 Le Conseil d’État l’indique : son étude n’est pas normative, elle veut refléter l’état du droit, elle a déjà été corroborée par une jurisprudence ; toute autre lecture paraît purement polémique.
La Fédération Nationale de la Libre Pensée rappelle l’esprit qui prévalait, notamment chez son illustre prédécesseur, le libre penseur Ferdinand Buisson, lorsque l’Ecole laïque faisait ses premiers pas, bien avant la Séparation, il s’agissait d’abord de convaincre que la République n’entendait pas s’en prendre aux libertés : « L’important est que les populations reconnaissent que vous n’avez d’autres arrière-pensées que de rendre leurs enfants plus instruits et meilleurs…alors la cause de l’Ecole laïque sera gagnée » (Lettre signée Jules Ferry– 27 novembre 1883).
Paris, le 14 novembre 2016