19 février 2017
Libre Pensée (Jean-Marc Schiappa) : Bonjour Jean-Luc Romero. Vous êtes le Président de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité et vous êtes aussi, tout le monde le sait, un élu. Pourriez-vous vous présenter plus complétement ?
Jean-Luc Romero : Vous avez dit l’essentiel. Je suis ici d’abord au titre de Président de l’ADMD et je remercie la Libre Pensée pour sa collaboration pour partager cette cause. Je suis comme vous le dites Elu, à la fois maire-adjoint du 12ème et conseiller régional Ile-de-France, et un militant aussi pour la lutte contre le SIDA depuis très longtemps. Globalement, je suis un activiste contre le SIDA, pour le droit de mourir dans la dignité et aussi contre les discriminations et contre l’homophobie.
LP : Quelle est la position, certainement connue, mais les choses connues doivent être encore plus rappelées qu’on ne le croit, sur ce que l’on appelle communément parlant l’euthanasie et surtout sur l’aide active à mourir ?
JLR : En fait, l’ADMD réunit aujourd’hui un peu plus de 68 000 adhérents, c’est dire à quel point cette cause intéresse et passionne les français. Il faut dire que tout le monde est concerné par la fin de vie. 100 % d’entre nous allons mourir. J’espère ne pas annoncer de mauvaises nouvelles à vos auditeurs. Notre association se bat pour qu’il y ait une loi de liberté, une loi qui place la volonté de celui qui est en fin de vie au centre des décisions. C’est cela tout notre combat. Quelle que soit d’ailleurs sa décision. Alors qu’aujourd’hui on sait très bien que ce sont ceux qui sont autour du lit, les héritiers, les médecins, qui souvent décident pour la personne en fin de vie. On veut une nouvelle loi qui change de logique. Jusqu’à présent on a eu les lois Leonetti, on en est à la troisième loi Leonetti, qui est une loi faite par les médecins pour les médecins. Nous on veut enfin une loi de liberté pour celui qui meurt. C’est-à-dire une loi qui permette d’un côté l’accès universel aux soins palliatifs, et là-dessus c’est un grand échec des pouvoirs publics sur cette question-là, puisque à peine 20% des gens qui en ont besoin en bénéficie. Cela veut dire que 80% d’entre nous ne pourrons pas accéder à des soins palliatifs, quand on en aura besoin. On sait aussi que les soins palliatifs, dans certaines circonstances, ce n’est pas suffisant. Il faut qu’il y ait donc à côté l’euthanasie, le suicide assisté et c’est une des grandes batailles de l’ADMD que d’avoir ce choix ultime comme des pays qui nous entourent l’ont : Pays-Bas, Belgique, le Luxembourg et la Suisse qui a le suicide assisté.
Voilà le combat de l’ADMD, c’est-à-dire avoir une loi qui respecte la volonté de celui qui est en fin de vie, si il veut mourir le plus tard possible ou si il n’en peut plus de ses souffrances qu’il puisse bénéficier d’une euthanasie ou d’un suicide assisté, parce qu’il n’existe pas dans une république laïque un principe supérieur qui vous oblige à mourir le plus tard possible et notamment dans la souffrance.
LP : C’est un combat essentiellement humaniste qui est au cœur même des préoccupations de la Libre Pensée qui sont des préoccupations humanistes, démocratiques, et plus particulièrement pour nous Libre Pensée, mais ce n’est que notre point de vue, nous pensons que le droit de choisir sa fin de vie est une liberté démocratique essentielle parce que rien ne peut être au-dessus d’un être humain. C’est notre point de vue et vous qu’en pensez-vous ?
JLR : L’ADMD et la Libre Pensée là-dessus sont tout à fait d’accord. On partage le même principe. C’est une question qui ne dépend que de la personne concernée. On peut avoir par exemple des convictions religieuses, mais ces convictions on se les applique à soi-même, mais elles ne doivent pas forcément s’appliquer aux autres. On a un peu l’impression, que sur cette question, cela a été à la fois l’avis d’un certain nombre de grands mandarins qui ne veulent pas que ce soit la personne en fin de vie qui décide et puis l’avis de religieux qui ont décidé que ce n’étaient pas aux hommes de décider. Ceux qui croient peuvent le faire, mais ils ne peuvent pas l’imposer aux autres. Et c’est tout à fait notre combat aujourd’hui de faire comprendre que cette loi s’inscrit dans la laïcité parce qu’elle respecte tous les points de vue, mais elle permet enfin à des libres penseurs, à des gens qui n’ont pas de convictions religieuses ou qui en ont, de décider car rien n’indique que l’on soit obligé de mourir dans la souffrance.
LP : Rien ne peut être imposé et je souscris totalement à vos propos et à votre démarche. Ce n’est pas secondaire que vous soyez l’auteur d’un nouveau J’accuse !. Là aussi J’accuse !, pour reprendre cette bonne vieille formulation terriblement évidente, terriblement essentielle, cela veut dire qu’on ne peut pas accepter des choses qui sont inacceptables. Pourriez-vous nous parler de ce nouveau J’accuse ! ?
JLR : L’ADMD a voulu lancer un J’accuse ! en interpellant tous les responsables politiques, du Président de la République aux parlementaires notamment, parce que dans notre pays on meurt mal, et la loi qui existe en France donne comme seule possibilité d’arrêter les traitements, d’arrêter de vous alimenter, d’arrêter de vous hydrater. C’est-à-dire qu’en 2017, on vous offre comme seule possibilité quand vous n’en pouvez plus de vos souffrances, de mourir de faim et de soif ! Cela ne plaît pas à certains, mais c’est cette réalité.
On accuse aujourd’hui les pouvoirs publics et la plus part des partis politiques qui ne veulent pas entendre notre revendication, de laisser, dans le pays des droits de l’homme, les gens mourir de faim et de soif. J’espère que dans le cadre de cette présidentielle et de ces législatives certains vont nous entendre et qu’on va enfin avoir cette loi d’ultime liberté qui est, je le rappelle, une loi républicaine et une loi qui s’inscrit dans la laïcité.
LP : Vous avez eu parfaitement raison de le signaler, dans le cadre de ce débat faussement politique, de ce débat politicien qu’est celui des présidentielles et des législatives, vous lancez un pavé dans la mare. L’ADMD a décidé d’organiser le 18 mars 2017 une grande journée de mobilisation pour faire avancer vos revendications et vous faire connaître. Pouvez-vous nous présenter cette journée et ses objectifs précis ?
JLR : Le 18 mars, nous avons décidé de faire à la fois une mobilisation place de la République à 13h et donc d’inviter celles et ceux qui défendent l’ultime liberté et je sais que la Libre Pensée sera à nos côtés comme elle l’est souvent … … Et d’autres associations laïques, d’autres français qui partagent cette préoccupation. A partir de 14h30 nous serons au Cirque d’Hiver pour interpeller les candidats aux élections présidentielles. Nous allons inviter tous les candidats à venir dire leur position sur la question de la fin de vie et les interpeller réellement sur cette question parce que c’est important.
C’est important que les français sachent quelles sont les positions des candidats, quelles sont les positions des partis politiques, car quand on doit voter on ne vote pas seulement pour la « binette » de quelqu’un on vote d’abord pour un programme, en tous les cas je l’espère, ce n’est peut-être pas toujours le cas …
LP : Vous êtes peut-être le dernier à l’espérer !
JLR : Oui, mais en tous cas pour nous le programme est important et sur cette question-là, nous allons les interpeller et les Français connaîtrons leur position. Nous allons d’ailleurs créer un site d’interpellation qui permettra aux Français par un simple clic d’interpeLler les candidats aux élections présidentielles et ensuite les candidats aux législatives pour connaître leur position et pour voter en toute conscience.
Le 18 mars, j’appelle, et aussi avec la Libre Pensée qui a répondu à cet appel, tous ceux qui défendent la liberté, tous les humanistes à être à nos côtés pour manifester cette demande d’ultime liberté. On voit suffisamment de gens revenir en arrière sur plein de choses et notamment tous ces militants anti-avortement que l’on n’a jamais autant entendus qu’actuellement. Que ceux qui sont pour que les femmes puissent dire « mon corps m’appartient » soient là et ceux qui ont envie de dire « ma mort m’appartient » je leur donne rendez-vous le 18 mars, République à 13h et après au Cirque d’Hiver pour entendre les candidats aux présidentielles.
LP : C’est un beau lieu, c’est un lieu symbolique la place de la République et ce n’est pas uniquement combat franco-français. Ce qui s’est passé en Pologne ou ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis nous montre que c’est une revendication humaine et humaniste essentielle, absolue et qu’il y a en face de nous des résistances très très fortes. De ce point de vue, une fois de plus, l’actualité éditoriale qui est la vôtre est importante. Vous venez de publier un ouvrage qui s’appelle « Survivant » et j’aimerai que vous puissiez préciser, les auditeurs ne l’entendent pas, dans « SurVivant », à la fois le fond de cet ouvrage et puis cette présentation en termes de jeu sur les caractères n’est pas qu’une présentation allégorique ou secondaire ou marginale. Il y a quelque chose d’essentiel, de prenant si chose dire sur ce titre.
Quelques mots, et plus, sur le titre et le fond de l’ouvrage. Votre combat en tant qu’individu et votre combat personnel contre le SIDA et contre toutes les politiques qui auraient tendance à faire comme si c’était une sorte de fatalité, quelque chose qui nous est imposée, une malédiction. J’aimerai, mon cher Jean-Luc que vous puissiez nous dire quelques mots sur cet ouvrage qui vous est personnel et intime.
JLR : SurVivant, c’est le récit de 30 ans de vie avec le VIH puisque je vis depuis 30 ans avec ce virus. Les gens ne savent plus ce que c’est, puisque cette maladie est invisible. C’est aussi l’histoire du SIDA que je raconte. L’histoire vue par une personne qui vie avec ce virus, parce que je vois que notamment les plus jeunes ne savent pas quel a été ce combat, à quel point les personnes séropositives ont été rejetées. Et puis, c’est aussi un livre d’espoir à double titre : j’y explique, et c’est valable pour toutes les personnes qui vivent avec des pathologies de longue durée, comment on vit avec une maladie grave. On ne m’a pas donné les conseils, quand j’ai appris très jeune, je ne croyais même pas voir mes trente ans, que j’allais vivre avec une maladie grave. J’essaie de donner des conseils et en même temps je parle de ce que l’on n’évoque pas, notamment dans le cadre de cette présidentielle, c’est qu’aujourd’hui le SIDA peut disparaitre. En 2030 comme l’a proposé l’ONUSIDA, on peut vivre dans un monde sans SIDA. Vous imaginez qu’il peut y avoir des enfants qui vont naitre en 2030, le SIDA n’existera plus. En France, on n’est dans les objectifs de l’ONUSIDA qui sont notamment d’avoir 90% des personnes dépistées en 2030. Aujourd’hui on est autour de 81 – 82% mais il existe 30 000 personnes qui ne le sont pas. Tant que ces personnes ne seront pas dépistées le SIDA continuera dans notre pays. Il faut leur dire que c’est important pour eux, important pour les autres et dire à tout le monde : n’ayez pas peur, aujourd’hui on peut faire disparaître le SIDA.
J’espère qu’il va y avoir un candidat ou une candidate qui va dire « Je serais le Président – la Présidente d’une France sans SIDA et je ferai tout après pour que l’on est un monde sans SIDA ». C’est un objectif atteignable en France, objectif de 2030. Encore faut-il de la volonté politique, encore faut-il qu’on en parle. C’est vrai que dans tous ce que l’on a pu voir, dans tous ces discours jusqu’à aujourd’hui, pas un mot sur le SIDA alors qu’il n’y a jamais eu autant de gens qui vivent avec dans le monde et en France – plus de 150 000 personnes – on continue à avoir des infections aujourd’hui dans notre pays – entre 6 000 et 7 000 par an.
Je pense que cela doit être aussi un des débats de la présidentielle et autant avec l’ADMD nous allons interpeler, mettre des moyens vis-à-vis des candidats, sous une autre casquette, celle de Président d’ « Elus locaux contre le Sida » nous allons aussi interpeller les candidats pour leur dire « serez-vous le candidat d’une France sans SIDA ? ».
Voilà ce livre ! C’est un combat individuel devenu collectif et c’est aussi une façon de débanaliser la vie avec le VIH – 3 petits cachets tous va bien – ce n’est pas vrai. Nous on vit dans un pays riche, mais aujourd’hui, pendant que l’on fait cette émission, il y a 3 200 personnes qui vont mourir du SIDA dans une indifférence glacée alors qu’aujourd’hui cela ne devrait plus être possible. Derrière le mot SIDA se sont des hommes et des femmes qui sont cachés en France, qui n’osent même pas le dire à leurs proches, leurs parents, leurs amis tellement ils ont peur. C’est leur dire que l’on peut vivre avec le virus. J’ai voulu donner de l’espoir à travers ce livre, à tous les gens malades. Nous sommes dans une société où il y a de plus en plus de gens malades et on ne s’adresse pas à eux.
Ce livre est un message pour les personnes qui vivent avec le virus, un message pour les politiques, et un message à tous les malades : oui aujourd’hui, le malade dans la cité doit être pris en compte et qu’il ne l’est pas. C’est aussi un cri contre cela, car ce n’est pas normal, dans notre société, quand il y a plus d’un français sur 6 qui vit avec une pathologie de longue durée, on ne fasse rien pour lui permettre de mieux s’intégrer dans la société, professionnellement. C’est un livre d’espoir, en tous cas, je l’espère.
LP : Merci Jean-Luc Romero. Après ces phrases particulièrement fortes, on peut dire que ces chiffres dans leur brutalité sèche, indiquent le combat nécessaire, le combat politique au sens le plus noble du terme, l’espoir. Il y a beaucoup de choses que vous nous avez indiqué et qui de notre point de vue comme Libre Pensée nous conforte dans toute notre activité, sur le fait de refuser tous les dogmes et ce n’est pas du tout secondaire que le livre du mois que nous vous conseillons soit « SurVivant » de Jean-Luc Romero. Vous pouvez le commander à la librairie de la Libre Pensée 10/12 rue des Fossés St Jacques 75005 Paris.