De tous côtés, on n’entend plus que cela : « la laïcité serait une notion chrétienne ». La preuve avancée: « Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu ». On trouve cette formule dans les Evangiles de Marc, Mathieu et Luc, mais pas dans celui de Jean. Constatons, une fois de plus, que la source dite « historique » de l’existence du Jésus-Christ est quelque peu divergente.
Aujourd’hui, de l’extrême-droite à la gauche, c’est le même refrain, la litanie pourrait-on dire, qui est égrené pour tenter de montrer que le Christianisme est compatible avec la laïcité (il l’aurait même inventée !) et que, par contre, l’Islam est totalement incompatible avec la Séparation des Eglises et de l’Etat.
Cette curieuse lecture de l’Histoire est donc instrumentalisée à des fins xénophobes évidentes. Elle s‘inscrit dans la théorie du Choc des civilisations, et ne peut donc qu’alimenter un conflit de guerre civile sur des bases communautaristes. Il y a la bonne « communauté », celle des bas du front rigoristes et catholiques qui ont donné la victoire à François Fillon lors de la primaire de la droite et qui pourraient la donner à Marine Le Pen aussi, et, bien sûr, la mauvaise « communauté », celle des musulmans, suspecte d’être terroriste, réactionnaire, antidémocratique par essence.
Si le Christianisme est l’inventeur de la laïcité, on se pose alors la question, incontournable : quand l’Eglise chrétienne (dans ses différentes obédiences) avait le pouvoir et qu’elle marchait sur la tête des rois, des empereurs et des peuples, pourquoi n’a-t-elle jamais mis en œuvre ce principe au cours des 1 500 ans de domination sur les peuples et Etats en Europe ? Pourquoi tous les papes n’ont cessé de qualifier la liberté de conscience et la Séparation des Eglises et de l’Etat comme « une infamie et un délire » et ont jeté contre elles l’anathème (Le Syllabus en 1864, par exemple).
La Laïcité et la Séparation des Eglises et de l’Etat n’ont jamais été instituées avec le concours de l’Eglise, mais toujours, dans un combat âpre et féroce, contre elle !
Une offre de service aux puissants
Cette formule évangélistique sur Dieu et César n’est qu’une offre de service aux puissants des mondes d’hier et d’aujourd’hui. « Partageons-nous le pouvoir », ce qui est entré dans l’Histoire comme la théorie des Deux glaives en Occident et comme la Symphonie des pouvoirs en Orient. C’est le contenu véritable de la Doctrine sociale de l’Eglise, proclamée dans l’Epitre de Paul aux Romains : « Il n’y a pas d’autorité légitime qui ne vienne de Dieu ou qui ne soit librement consentie par lui. En conséquence, l’esclave doit obéir au maitre et la femme à son mari. »
Distinct ou uni, le Glaive de Dieu est au-dessus du pouvoir, quel qu’il soit. C’est lui qui donne la légitimité au pouvoir, comme le montre l’épopée romancée et mythique du baptême de Clovis. Les rois se sont fait oindre ensuite à Reims, car sans cela ils n’avaient pas de légitimité. Est-ce cela la laïcité ?
« Rendre à Dieu et à César » leurs parts respectives, cela s’appelle partager le butin entre coquins. C’est la Cosa nostra entre la brute et le truand sur le dos du bon.
Une contradiction insoutenable pour les falsificateurs de l’Histoire
Toute l’opération politicienne des révisionnistes historiques repose sur cette phrase tirée des Evangiles et c’est bien mince et inconsistant. Pour parfaire leur culture, si c‘est possible, nous leur livrons volontiers ce qui est écrit dans le Coran et qui est de même nature. Mahomet dit : « Je ne suis qu’un homme, si je vous ordonne quelque chose de votre religion, suivez-le. Si je vous ordonne quelque chose relevant de mon opinion personnelle, sachez-le, je ne suis qu’un homme » [Sahih de l’imam Muslim, hadith 2361 d’après Râfi’ b. Khudayj. Et encore : « Pour ce qui est des affaires de votre religion, cela me concerne ; pour ce qui est des affaires de votre monde ici-bas, vous êtes mieux à même de le savoir. » (Hadiths)
La distinction entre le spirituel et le temporel est présente dans le texte coranique, tant en matière de terminologie que du récit. Sur le plan du vocabulaire, les mots utilisés l’affirment clairement : din (religion) et dawla (état), aquida (foi) et charî’a (loi), oumour eddin (affaires de la religion) et oumour el-douyna (affaires séculières). (Selon Béchir Chebbah, in PDVI N° 182 – revue de la Grande Loge de France)
Ceci justifie pleinement la position de la Libre Pensée : il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre les différentes religions à propos de la laïcité et de la Séparation des Eglises et de l’Etat. Toutes les religions monothéistes sont théocratiques par essence. C’est le combat des peuples qui, seul, peut leur imposer de reculer et d’accepter la démocratie. Cela est valable pour le Catholicisme, cela est valable aussi pour l’Islam.
Pour la République, la démocratie et la laïcité :
Signez l’Appel des laïques :
http://www.petitionpublique.fr/?pi=P2016N49240
Paris, le 28 février 2017