La Libre Pensée reçoit Christian Baqué, président de l’Association nationale des élus locaux amis de la Libre Pensée.

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Dimanche 9 avril 2017

David Gozlan : Bonjour Christian, peux-tu te présenter aux auditeurs ainsi que l’association dont tu es président ?

Christian Baqué : Bonjour. Je suis adjoint au maire de MOMBRIER, une petite commune au nord de Bordeaux, près de l’estuaire de la Gironde, dans les Côtes de Bourg. Et je suis président de l’Association nationale des élus locaux amis de la Libre Pensée, une association qui aura bientôt 20 ans.

Il s’agit pour nous d’établir des liens entre les élus locaux, républicains, laïques, libres-penseurs, entre tous ceux qui veulent conserver le caractère laïque de notre République, et à fortiori celui de nos collectivités locales et territoriales.

Elus municipaux, nous sommes en première ligne, car nos communes sont le socle de la République.

Nous sommes donc les garants de la laïcité au niveau local. Le Maire, en particulier, est le responsable du personnel (fonctionnaires), il doit garantir la laïcité des services de l’administration de sa commune, mais aussi la liberté de conscience des citoyens. Liberté de conscience, et non liberté de religion. J’insiste car c’est une « tendance » forte actuellement. La liberté de conscience ne se borne pas à la liberté des religions.

Nous avons récemment édité sur ces questions, avec la Libre pensée et ses fédérations, un « Guide de la laïcité » destiné aux élus et aux citoyens.

Ce Guide donne de multiples exemples non seulement d’entorses à la laïcité, mais du combat des libres penseurs et de leurs victoires, ou de leurs échecs, et parfois un éclairage juridique. Nous nous sommes d’ailleurs félicités de voir que, sur bon nombre de points, un accord pouvait être trouvé avec l’Association des Maires de France.

Pour sa part, l’ANELALP regroupe donc des élus locaux, adhérents ou sympathisants de la Libre Pensée, qui peuvent être maires, conseillers municipaux, conseillers départementaux, ou conseillers régionaux aussi bien en activité qu’anciens élus, tous profondément attachés à la laïcité des institutions de ce pays, à la loi de1905 de séparation des églises et de l’état.

Comme la Libre Pensée, l’Association nationale des élus locaux n’est ni un parti ni un syndicat. Ses membres sont individuellement libres d’adhérer ou non au parti politique de leur choix, au syndicat de leur choix, mais elle est indépendante de tous les partis et syndicats.

D.G. :On voit de nombreux élus participer es-qualité à des messes, des processions religieuses. Dans un récent sondage 77% des français estiment que l’on parle trop de religion. Quel doit-être l’attitude d’un élu face aux cultes ?

Ch.B : Dans une commune, les citoyens que nous représentons sont divers, et tous ne sont pas croyants, loin de là. Nous sommes élus, nous avons à respecter leur liberté de conscience à tous. Donc quand un élu, un maire, dans le cadre de sa fonction, participe à une cérémonie religieuse, une messe, ou va à la mosquée, c’est choquant.

Bien entendu, à titre privé, chacun est libre de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer le culte de son choix. Mais c’est une affaire privée qui ne saurait engager la collectivité publique.

Au contraire, dans une cérémonie religieuse, un élu engage, au nom de la collectivité nationale ou territoriale, la Nation ou une portion de la Nation. Il ne respecte pas l’article 2 de la loi de séparation de 1905 : «La République ne reconnaît aucun culte…» et il viole ainsi la laïcité.

Nous pensons que les écharpes tricolores dans les églises, ou d’autres lieux de culte, mosquées, synagogues, pour des messes le 11 novembre, pour célébrer les saints des gendarmes ou des pompiers, n’ont donc pas lieu d’être.

L’exemple hélas vient de haut, puisque ministres et président de la République n’hésitent pas à se produire dans des offices religieux à de nombreuses occasions, multipliant les visites dans les lieux de culte, quelle que soit la religion. Souvent imités localement par d’autres représentants de l’État, Préfets ou sous-préfets.

Dans une Lettre ouverte au Président de la République, leCongrès national FNLP, en 2012, exigeait : « l’interdiction de la présence ès qualités de représentants de l’État ou d’élus de la République dans des cérémonies religieuses ; et en particulier lors des manifestations placées sous les auspices des autorités religieuses (…). »

D.G. :Quelles sont les principaux problèmes attenant à la laïcité auxquels sont confrontés les maires ou les élus ?

Ch.B : Les situations sont multiples, car les maires reçoivent de fortes pressions, par exemple pour le financement d’activités cultuelles dissimulées en activités culturelles. Ou le financement d’associations de même nature. Et les associations se sont multipliées, intervenant dans la politique de la ville, dans les hôpitaux, l’animation en milieu rural… Nous pensons qu’il faut être vigilants, ne pas confondre cultuel et culturel, car il est anormal que des fonds publics alimentent des activités relevant du domaine spirituel, avec un certain prosélytisme. Pour résister aux pressions, les maires ont besoin de connaître la loi, Puis de la respecter et de l’appliquer.

Certains maires peuvent ainsi faire des erreurs dues à une méconnaissance des textes de loi. Si parfois c’est volontaire, parfois c’est simplement de l’ignorance…

Ainsi un maire du Médoc avait autorisé le curé à faire la messe dans la salle du conseil municipal le jour de la Ste Barbe des pompiers sous prétexte de travaux dans l’église. Il a été condamné au TA.

Un autre a fait bénir le coq qui devait trôner en haut du clocher de l’église, par le curé, dans la salle du conseil municipal !

Plus grave : quand je lis une délibération qui supprime les repas de substitution quand il y a du porc à la cantine, et qui vise clairement les musulmans, je cite : « Actuellement, sur les trois cantines, les élèves de confession musulmane reçoivent un aliment de remplacement du porc en plat principal » « Afin de permettre à chaque enfant de bénéficier d’une alimentation adaptée, il est décidé qu’il ne sera pas donné de suite favorable aux demandes particulières (régime, allergie, autre), sauf dans le cadre d’un plan d’accueil individualisé (…) »

C’est un principe fondamental en République qui est violé : nul ne peut être contraint dans ses opinions. C’est le principe même du respect de la liberté de conscience (Article Premier de la loi de 1905) qui est ainsi bafoué. Forcer des enfants à manger (ou les obliger de s’abstenir de manger) ce qu’ils ne veulent pas est une violation de la laïcité, qui, elle, permet à chacun de vivre selon ses convictions «  à condition qu’elle ne trouble pas l’ordre public ». Où est le « trouble à l’ordre public » quand un enfant ne veut pas manger de porc ? C’est au contraire le retrait de ces repas qui cause un « trouble à l’ordre public »!

L’actualité nous a donné de multiples exemples, dont la presse oublie souvent de parler, surtout lorsque la Libre Pensée obtient des résultats positifs pour la laïcité devant les tribunaux.

D.G. :En décembre dernier, nous avons vu des élus mettre en place des crèches de la nativité dans le hall des Bâtiments de la République, allant ainsi à l’encontre de la décision du conseil d’État interdisant les crèches religieuses dans un bâtiment de la République. D’ailleurs, certains ont déjà été condamnés comme à Hénin Beaumont, d’autres ont été attaqués juridiquement face à cette entorse. On voit aussi des élus qui instrumentalisent les cultes, favorisant le dialogue avec les cultes, finançant les bâtiments. Quels sont les dangers ?

Ch.B : Ta question amène plusieurs réponses, et nous pourrions consacrer une émission à chacune. La question des crèches dans les bâtiments de la République a en effet été réglée par le Conseil d’État. Comme celle, récente, des statues de vierges installées sur le domaine public, comme à Publier, en Savoie et nous sommes en attente de jugement pour la statut de Jean-Paul II à Plöermel.

Parlons du dialogue interreligieux. La laïcité n’a rien à voir avec le dialogue interreligieux, mais la confusion règne, nous en avons de nombreux exemples récents à Bordeaux comme à Paris. La laïcité est réduite à la formule passe-partout du « vivre ensemble ». Donc vivre ensemble, c’est vivre avec les religions ! Et ce sont des maires qui réunissent les chefs religieux, tout à coup proclamés représentants légitimes des citoyens. Et des élus qui proposent aux citoyens des rencontres afin de mieux connaître les religions (!), pour les encourager à modifier leurs attitudes vis à vis de ces communautés religieuses. Nous entrons dans une sorte de concordat qui n’a plus rien à voir avec la République. Que deviennent alors les citoyens qui ne se reconnaissent pas dans ces cultes, ni dans aucun culte ? Que deviennent les athées, les agnostiques et les libres penseurs dans un tel système ? Des citoyens de seconde zone ? Des citoyens invités pour le moins à se reconnaître ou à se sentir représentés par un des chefs de communautés membres du comité interreligieux, voire à s’incorporer dans l’une ou l’autre des options religieuses présentée comme conforme au « vivre ensemble ».

Le rôle d’un Maire, élu de la République, n’est pas d’être un organisateur du dialogue inter-religieux. La politique interreligieuse ne lui appartient pas. Elle relève des seules religions elles-mêmes. L’État chez lui, les religions chez elles. Un maire doit agir au compte de tous les citoyens, contribuer au respect de l’égalité des droits entre citoyens. Il doit veiller à ce que le libre exercice des cultes ne trouble pas l’ordre public, et non s’ériger en médiateur des communautés religieuses, en promoteur des cultes, en fait en promoteur du communautarisme : cette addition d’intérêts religieux particuliers, est la négation de la concorde civile entre citoyens libres et égaux en droits voulue par la loi de Séparation des Églises et de l’État de 1905.

Concernant les édifices du culte, en théorie il s’agit d’une faculté d’entretien et non d’une obligation. Mais en pratique, les mairies sont tenues d’assurer à leurs frais le bon état de ces dépendances de leur domaine public, car le défaut d’entretien est susceptible, en cas de dommages aux personnes ou aux biens, d’engager leur responsabilité. C’est donc vrai que nos 36.000 communes ont de lourdes obligations en matière d’entretien des églises construites avant la loi de séparation de 1905. D’autant plus avec des budgets en constante régression et manque de subventions.

Mais le nettoyage, les embellissements ou agrandissements ne sont pas susceptibles d’être pris en charge. Est illégale la prise en charge par une commune de la part des dépenses d’électricité, ou de chauffage, etc. La loi doit être respectée.

Un problème fréquemment rencontré, la construction de nouveaux lieux de culte. Le respect de la liberté de conscience suppose que la liberté de construire des lieux de culte soit respectée par les autorités publiques, c’est à dire par l’État et les collectivités locales, par l’attribution de permis de construire. Les musulmans, par exemple, ont droit à des lieux de culte pour célébrer leur religion.

En revanche, en aucun cas l’État et les collectivités publiques ne sont autorisées à participer au financement d’un tel édifice religieux, la loi de 1905 l’interdit formellement dans son article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. »

Ce financement ne peut être que privé, cela veut dire que les fonds ne doivent provenir que des fidèles.

Il revient donc à une communauté religieuse, musulmane, catholique ou autre, d’assurer le financement de la construction d’un lieu de culte sur fonds privés.

Autre exemple : celui des carrés confessionnels dans les cimetières. Ils sont interdits par la loi. Malheureusement une circulaire ministérielle de Mme Alliot-Marie, il y a quelques années, invite à les mettre en place. Même dans la mort on veut communautariser et diviser les citoyens.

Il y a un autre exemple que l’on pourrait développer : la loi Debré. Question très épineuse car aucun gouvernement depuis 1959 n’a voulu abroger cette loi contre laquelle pourtant en 1959 avaient voté la SFIO et le PCF. Aujourd’hui des Maires, par méconnaissance ou volontairement, donnent plus aux écoles privées que ce que la loi les contraint à faire. C’est un vrai problème car cela s’ajoute aux 10 milliards d’euros que les écoles, essentiellement catholiques, reçoivent de l’Etat.

D.G. :Dernière question : Où pouvons-nous joindre l’association et qui peut y adhérer ?

Ch.B :Tout élu local peut adhérer à notre association. Il peut nous contacter à la FNLP 10/12 rue des Fossés St Jacques 75005 Paris.

Possibilité également de nous contacter via le site internet de la FNLP. Juste avant de nous quitter je vous présente le livre du mois : La France n’a pas de racines chrétiennes de Jean-Marc Schiappa aux Editions Libertaires et Editions de la Libre Pensée. Vous pouvez vous le procurer à la Librairie de la Libre Pensée pour la modique somme de 14 euros.

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