La vérité sur la laïcité au Luxembourg

Sans doute, non sans arrières pensées pour nous préparer un concordat « light » sur l’ensemble du territoire de la France, sur le modèle du Statut clérical d’exception d’Alsace-Moselle, une certaine campagne médiatique a vu le jour pour nous informer que la Séparation des Eglises et de l’Etat avait triomphé au Grand-Duché du Luxembourg. Pas moins …..
Aussi, La Raison – revue de la Libre Pensée française – a interviewé Edouard Kutten, Président de la Libre Pensée du Luxembourg, sans doute la plus vieille association laïque au Luxembourg pour connaître la réalité de la situation. Il y a loin de la coupe aux lèvres …..

En direct avec Edouard Kutten, Président de la Libre Pensée du Luxembourg

La Raison : Pourrais-tu te présenter et ainsi que la Libre Pensée du Luxembourg ?

Edouard Kutten : Je suis né en 1945 au Luxembourg. Je suis professeur en lettres et sciences humaines retraité. Depuis 2011, je suis le Président de la Libre Pensée luxembourgeoise qui a été fondée en octobre 1904. L’association comptait à ce moment 24 membres. Aujourd’hui on compte +/- 350 membres inscrits. Le combat de la Libre Pensée luxembourgeoise est resté le même depuis sa création, c’est-à-dire pour une séparation stricte de l’Etat et des Eglises, ainsi que l’évolution d’une société démocratique et sociale.

LR : Quelle est la situation de la laïcité au Luxembourg ?

Edouard Kutten : Le Luxembourg est une monarchie constitutionnelle avec une très grande tradition catholique, la maison grand-ducale est le garant de la défense de la foi et de l’Eglise catholique. Cela se reflète dans la politique, l’organisation de la vie sociétale ou l’enseignement national. Ainsi la constitution du Grand-Duché de Luxembourg stipule par exemple dans l’article 20 : Nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d’un culte, ni d’en observer les jours de repos.

Mais c’est de la théorie, en réalité toutes les vacances scolaires sont régies en fonction de jours de cérémonie de la religion catholique, les administrations de l’Etat sont fermées pendant ces jours fériés et toute la vie sociétale se plie à cette règle. Le Luxembourg a été gouverné la plupart du temps par un gouvernement clérico-démocrate qui a tout mis en œuvre pour que la laïcité au Luxembourg ne reste qu’un article théorique dans la constitution.

LR : On parle d’avancées importantes vers la Séparation des Eglises et de l’Etat au Luxembourg. Qu’en est-il vraiment ?

Edouard Kutten : Le nouveau gouvernement élu en 2013 regroupant des politiciens du Parti des Démocrates, du Parti socialiste, ainsi que du Parti des Ecologistes, avait promis une vraie séparation de l’Etat et des Eglises, c’était une de leurs promesses électorales phares. Et tous les ministres concernés n’en finissent pas de se vanter de cette prouesse politicienne, qui en fait est une bourde, étant donné que pour changer la constitution, il faut disposer d’une majorité des 2/3 au parlement, ce qui n’est pas le cas.

En réalité, cette « séparation » se limite à une réécriture de la convention existante entre l’Etat et les Eglises des religions monothéistes au Luxembourg. Certains privilèges de l’Eglise catholique ont certes été éliminés, ainsi l’Etat ne payera plus les salaires des curés et les bâtiments religieux ont été mis en grande partie sous gérance d’un fonds spécial. Ce fonds est cependant géré par les responsables des fabriques d’Eglise qui ont été regroupées et qui seront dès à présent responsables de la gestion de ces bâtiments.

En ce qui concerne le financement, l’Etat continue d’attribuer des financements (moindres, mais quand même conséquents) à toutes les religions monothéistes et l’Eglise catholique reçoit toujours le « grand pactole ».

 

session du parlement du Luxembourg

Dans l’enseignement les élèves pouvaient jusqu’à présent choisir entre un cours de religion ou un cours de morale laïque. Ces 2 cours ont été supprimés pour être remplacés par un « cours de valeurs neutres » obligatoire pour tout élève du fondamental jusqu’à l’enseignement secondaire. Or, la structure de ce cours a dans un premier temps été élaboré par un « éminent » spécialiste suisse, connu pour ses convictions pro-religieuses. Après de maintes réclamations il a été remplacé par les « spécialistes » du Ministère de l’Education nationale, en étroite collaboration avec des attachés « recrutés » chez l’évêché

Certaines associations laïques (dont la Libre Pensée luxembourgeoise) se sont regroupées pour former un contrepoids et de ce fait pouvoir intervenir également dans l’élaboration de ce cours. On a eu une seule entrevue avec le Premier Ministre et certains ministres du gouvernement, mais on a dû constater que notre point de vue n’a nullement influencé la mise en place d’un cours que nous voulions fondé sur des bases de philosophie et de sciences humaines. Ce cours est pour l’instant devenu une « heure de discussion » avec les élèves sur tout et n’importe quoi, en plus on doit craindre que dans beaucoup d’établissements ce cours soit donné par des anciens « enseignants de religions ».

Alors, à part la création d’une cérémonie civile lors de la fête nationale du Luxembourg, cette séparation tant vantée entre l’Etat et les Eglises est une farce politicienne.

LR : Quelles sont les revendications laïques de la Libre Pensée du Luxembourg ?

Edouard Kutten  : La Libre Pensée luxembourgeoise est anticléricale, démocratique et sociale. Notre conception de la laïcité est très claire et basée sur la définition même du mot: « Conception et organisation de la société fondée sur la Séparation de l’Eglise et de l’Etat et qui exclut les Eglises de l’exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l’organisation de l’enseignement ».

LR : Souhaites-tu rajouter quelque chose ?

Edouard Kutten : Voilà je tiens personnellement à ajouter qu’il faut mettre fin à l’abus politicien qui est fait au nom de la « laïcité ». Il faut avoir le courage politique d’exiger une Séparation stricte des États et des Églises sans compromis. Dans cet esprit,  je remercie la Libre Pensée française pour la bonne collaboration qu’on a pu établir au cours des dernières années, car le combat pour la laïcité se fait aussi sur le plan international.

Luxembourg, le 23 mai 2017