La Libre Pensée reçoit Malik Salemkour, Président de la Ligue des Droits de l’Homme.

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8 octobre 2017

Emission animée par David Gozlan, secrétaire général de la Libre Pensée

David Gozlan : Bonjour Malik. Avant que tu te présentes je voudrais juste faire un rappel par rapport à notre émission du mois dernier. Nous avons tenu notre congrès de l’Association Internationale de la Libre Pensée qui a été un succès tant par le nombre de participants que par le nombre d’orateurs (32 interventions).
C’est un congrès qui va mener la bataille principalement sur la question des financements publics des Eglises et autres organisations privées.

Place maintenant à la L.DH. et à son nouveau Président. Pourrais-tu te présenter à nos auditeurs ?

Malik Salemkour : J’ai été élu au congrès de juin à Grenoble après pratiquement 30 ans d’engagements à la LDH où j’ai commencé comme militant de base face à l’émotion d’une situation de sans-domicile fixe qu’il y avait dans ma ville. J’ai vu qu’il fallait, au-delà de l’humanitaire, parler de fond, et là en l’espèce c’était qu’une personne n’a pas de territoire quand elle est SDF et qu’elle devrait être accueillie, que le droit au logement devrait être mis en œuvre par les pouvoirs publics, avec les citoyens et avec les intéressés eux-mêmes. Et donc on a monté un centre d’accueil de jour puis un centre d’accueil de nuit.
Cela m’a créé un petit réseau. La LDH s’y est associée. Je suis rentré à la LDH, puis j’ai été élu président de la section et puis on m’a dit qu’il y avait des choses à faire au niveau départemental : sans-papiers, habitat, gens du voyage. Je me suis beaucoup impliqué sur ces sujets. Puis au niveau national on a noté que mon travail et mes connaissances sur les gens du voyage et sur les Roms était utile et pouvait aider à mieux comprendre l’égalité et la fraternité. On m’a donc nommé responsable national de cette question.
En 1995, Henri Leclerc m’a proposé de rentrer au Bureau National comme trésorier.
J’ai commencé à faire mes classes autour de gens comme Madeleine Rebérioux, Henri Leclerc, Michel Tubiana…

D.G. : Des grands noms de la LDH !

M.S. : Des grands nom qui m’ont formé. Les années ont passées, j’ai continué mon engagement en m’occupant de discrimination, de citoyenneté, de laïcité, des minorités et comme je le dit souvent, de tous ceux que l’on regarde mal (prostituées, toxicomanes, étrangers). Au fond de moi j’ai du mal à regarder l’autre autrement que comme une partie de moi.

D.G. : Tu deviens Président de la LDH en cette année marquée par une actualité autour des migrants et, c’est ce qui nous concerne aujourd’hui, autour de la question de l’état d’urgence.
On dit, l’état d’urgence est abandonné, l’état d’urgence est tombé parce qu’il y a une loi qui est mise en place mais :
– Est-ce la réalité ? Est-ce la fin de l’état d’urgence ?
– Est-ce un mouvement inverse où l’état d’urgence devient un état de fait, quelque chose d’inscrit dans la permanence et dans le quotidien des citoyens français ?

M.S. : Lorsque j’ai été élu j’avais espéré que l’élection de M. Macron, surtout face à Marine Le Pen, allait nous amener un peu de sérénité notamment sur les droits et libertés.
Quelle ne fut pas ma surprise de constater qu’au 1er attentat (celui de Manchester), en France, celui qui avait dit que l’état d’urgence devait être évaluer, que ces mesures d’exception ne pouvaient pas être reconduites, déclarait : je le prolonge, je le continue, je fais une nouvelle loi.
La, non seulement cette loi n’est pas pour donner plus de moyens aux services de renseignements, pas plus de moyens et d’effectif à la police, c’est une loi qui finalement camoufle l’état d’urgence dans le droit commun.
C’est cela qui est particulièrement grave. En dépit de l’alerte de tous, CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme), Défenseur des droits, Rapporteuse générale de l’ONU, tous les acteurs du droit disent attention, on est en train d’ébranler notre Etat de droit. C’est quoi un Etat de droit ? C’est le fait que les pouvoirs se contrôlent, que l’administration est contrôlée par la justice, que la sureté, droit fondamental posé par les Déclarations des Droits de l’Homme, protège de l’arbitraire, permet que la justice des Hommes puisse se faire non pas dans la passion mais sur la base de faits.
Là, cette loi vise à faire quoi ?
Elle vise à donner plus de pouvoirs et quasiment tous les pouvoirs, aux Préfets et au Ministre de l’Intérieur.

D.G. : Qu’est-ce que vous pouvez reprocher à cette nouvelle loi ?

M.S. : De donner des pouvoirs à l’administration sans contrôle des juges.
Aujourd’hui, on a un Président de la République, qui nous a mis la main sur le cœur en disant : cette loi ne sera appliquée que contre le terrorisme islamiste.
Sauf que la loi elle s’applique dès qu’elle est mise en œuvre et elle va être mise en œuvre par tous les Préfets de France. Et demain qui sera Ministre de l’Intérieur ?
Quand j’ai discuté avec M. Macron je lui ai rappelé qui était en face de lui : c’était M. Le Pen. Imaginez ce que ça voudrait dire de mettre ces outils dans les mains d’un tel régime ?
Les Préfets auront libre capacité d’assigner à résidence, de contrôler les gens, de saisir des codes …

D.G. : ça se fait déjà !

M.S. : Bien sûr que ça peut se faire. Et c’est ce que nous disons : cette loi est inutile car aujourd’hui toutes les dispositions peuvent être faites dans le droit commun, dans le respect du droit et d’une justice équitable qui évite l’arbitraire.
On peut aujourd’hui fermer les mosquées pour trouble à l’ordre public ou incitation à la haine raciale. On peut aujourd’hui créer des périmètres de sécurité. D’ailleurs bien avant l’état d’urgence on avait déjà des filtres à l’entrée des magasins.

D.G. : Sans l’état d’urgence.

M.S : Sans l’état d’urgence. De la même façon l’opération « Sentinelle » n’est pas dans l’état d’urgence.
Heureusement qu’il y avait des policiers, que l’on a pu agir vite, dans le cas de l’assassinat ignoble de Marseille. Mais ce n’est pas l’état d’urgence ça. C’est le fait d’avoir des policiers sur le terrain.
Et c’est pour cela que là je suis d’accord avec M. Collomb quand il annonce une police de proximité qui connait les gens, qui est sur le territoire, plutôt que des militaires qui sont lâchés dans la nature et qui peuvent tirer.

D.G. : On le voit bien c’est la nature de l’Etat qui change. Quels sont les abus que vous avez pu, en tant que LDH, signaler sur la première partie de l’état d’urgence sous l’ère Hollande ?

M.S. : D’abord l’état d’urgence a été utilisé à autre chose que la lutte contre le terrorisme quand on a empêché des manifestations contre la loi Travail, quand on a empêché des militants de protester au moment de la COP 21 et de ses débats. De fait ça a été détourné et ça, ce sera encore plus possible demain. Un Préfet pourra décider, par des périmètres de sécurité, de filtrer les gens, de les empêcher de rentrer, et ceci sans durée, sans contrôle, sans possibilité de contester et en plus la possibilité d’être pénalisé si on refuse d’obtempérer.
Cette loi va poser une logique du soupçon et plus celle de la preuve. Ce qui est mis en place, et a été déjà mis en place, c’est une surveillance généralisée. Ce sont des contrôles de masse. Sauf qu’en pratique qui est-ce que l’on contrôle ? Ça a même été mis dans la loi : on va contrôler selon le comportement mais aussi selon la physionomie des personnes.
On pense, et on laisse à penser par cette loi que le terroriste à un visage et, concrètement, celui de l’islam et de l’étranger.
Hélas, parmi tous ceux qui ont commis ces actes épouvantables il y avait tous types de visages, d’âges, de nationalités. Certains n’étaient ni barbus, ni musulmans ni étrangers. On voit bien que cette loi distille un poison dangereux pour notre démocratie.
Les terroristes visaient 3 choses : faire peur, diviser la communauté nationale, détruire notre Etat de droit et notre fonctionnement démocratique.
Avec cette loi on leur donne raison.

D.G. : J’ai beaucoup travaillé sur la question de l’ennemi intérieur, et en t’écoutant j’ai vraiment l’impression que nous nous retrouvons dans cette situation là. C’est une question où l’étranger, un archétype nord-africain, ces contrôles au faciès, qui existaient déjà, vont être légalisés.
Quels sont les recours pour les citoyens pour se protéger, parce que cela veut dire que plus personne ne peut sortir ? Même si vous êtes de type caucasien, blanc et jeune vous êtes soupçonnés et soupçonnable. Le danger est véritablement là.

MS. : C’est pour cela que nous avons alerté solennellement les députés au moment du vote de mardi et nous le referons pour le vote définitif.
On joue avec le feu. J’ai confiance dans les forces de l’ordre mais dès lors qu’on leur donne des consignes qui sont perverses je ne peux pas attendre autre chose que des abus, des dérives.
Et c’est cela qui nous inquiète.
Concrètement qu’est-ce que ça va donner dans les quartiers ? Qu’est-ce que ça va donner au sein de ces populations qui vont être à nouveau contrôlées ?
Les dispositifs, à l’initiative des Préfets, ne permettent pas véritablement la garantie d’une justice égale pour tous, d’une police de proximité capable de donner confiance à tous. Là, on crée véritablement un poison qui est dangereux pour notre unité nationale et avec ces pratiques je suis inquiet des réactions. On l’a vu déjà dans l’état d’urgence avec les associations de défense des musulmans et avec les associations de défense des droits en général : combien ont été arrêté pour rien ? Simplement parce qu’ils étaient là au mauvais moment et surtout parce qu’ils avaient un « mauvais visage ».

D.G. : La nature de l’Etat change. Que propose la LDH par rapport à cette nouvelle situation ?

M.S. : Déjà, de manière persévérante et obstinée, d’expliquer.
D’expliquer qu’aujourd’hui les attentats qui ont été déjoués ne l’ont pas été grâce à l’état d’urgence. Ils l’ont été grâce à un partenariat efficace entre les juges, les procureurs, les policiers, les services de renseignement. Dans le bilan même donné par les rapports parlementaires sur l’état d’urgence, on a vu que ce qui avait abouti à des procédures anti-terroristes l’avait été dans le cadre normal du droit commun.
On a lâché un filet et on essaie de rattraper tout le monde sauf que l’on n’a pas attrapé beaucoup de terroristes dans ces dispositions là où l’on s’est essentiellement trompé. C’est ça que nous allons dire. Expliquer que ces mesures ne sont pas bonnes et essayer d’éviter qu’elles soient mises en œuvre.
Après nous saisirons la justice pour essayer de faire condamner les abus et les faire contester.
Surtout ce que l’on veut c’est sortir de cette panique sécuritaire qui fait que l’on pense qu’à chaque attentat, à chaque drame il faut une nouvelle loi, il faut réduire nos libertés.
Il faut hélas que nous nous habituions à des faits de terrorisme pendant quelques années. Les causes en sont profondes et elles sont étrangères à la France. Elles ne sont pas liées à une situation politique territoriale. On n’est pas sur des revendications particulières d’un territoire. On est sur des groupes armés, des groupes terroristes qui veulent détruire notre société, notre mode de vie. Ça, ça passe par du renseignement, par de l’information et surtout par de la solidarité entre les français, entre tous ceux qui vivent en France. C’est ce que j’appelle la communauté nationale. Et ce n’est certainement pas en pointant telle ou telle religion qu’on le fera.

D.G. : On l’a compris votre position est d’expliquer, réexpliquer, saisir la justice, éduquer à la citoyenneté, c’est le maitre mot, et surtout ne pas suspecter son voisin.
Quelles sont les autres grandes batailles de la LDH actuellement ?

M.S. : Hélas, avec cette loi sur l’état d’urgence on a fait un amalgame avec les ressortissants étrangers. Le sujet des migrants est aussi celui qui est dans notre actualité.

D.G. : C’est 70 000 migrants qui sont morts en méditerranée nous sommes d’accord ?

M.S. : Oui plusieurs dizaines de milliers et en tous les cas c’est toujours un de trop.

D.G. : Bien sûr mais c’est un chiffre important !

M.S. : C’est un chiffre énorme et qui montre surtout que quelques soient les frontières quelques soient les difficultés on arrivera pas à empêcher ses mouvements. Nous avons des causes qui amènent des gens à mettre leur vie en péril. Il y a dans cette loi la possibilité de renforcer les contrôles aux frontières comme si l’étranger était potentiellement dangereux.
Il y a des gens qui fuient la guerre, une guerre que nous soutenons en tant que régime occidental, et il faut que nous assumions ces responsabilités et que l’on traite les réfugiés comme ils doivent l’être. C’est-à-dire dignement comme des victimes de guerres et non pas comme des terroristes.

D.G. : Je te remercie pour cet échange.
Je remercie la LDH avec qui la FNLP s’est battue sur cette question de l’état d’urgence avec plus d’une centaine d’associations et des milliers de citoyens.

 

 

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